Le très réussi Deux fils, en salles cette semaine, raconte la relation pas comme les autres entre un père et ses deux enfants, un trio incarné par Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste et la révélation Mathieu Capella. Aussi drôle qu'émouvant, le long métrage marque la première réalisation pour le grand écran de Félix Moati, à seulement 28 ans. AlloCiné l'a rencontré pour évoquer cette étape marquante mais également pour passer en revue ses références cinématographiques.
AlloCiné : Quel a été le déclic pour que tu te lances dans la réalisation d'un premier long métrage à même pas 30 ans ?
Félix Moati : Déjà, quand je suis arrivé sur le plateau de LOL, mon premier film en tant qu'acteur, je me suis dit que je voulais vouer ma vie aux métiers d'acteur et de réalisateur. Pour moi, c'est le même métier : on est au service d'une histoire plus forte que nous et à l'arrivée, il faut fabriquer le film. Pour Deux fils, le déclic, c'est d'abord que j'ai trouvé avec un peu plus de précision, vers mes 25/26 ans, le ton que je voulais avoir, ça m'a encouragé. Ensuite, c'est aussi beaucoup mon amitié avec Vincent Lacoste qui me donne envie d'écrire un rôle pour lui et qui rend la possibilité de l'écriture totalement réelle. Je ne suis plus dans l'abstraction, dans un truc qui n'est qu'exclusivement mental, je suis dans quelque chose où je me dis que je peux écrire et que je peux trouver quelqu'un derrière lequel me déguiser. C'est quand même quelque chose d'assez joyeux : trouver des masques, c'est le but de la fiction.
C'est un premier film très personnel qui a un ton très singulier, assez nonchalant, un peu jazzy...
Je pense que la moindre des choses est de faire un film personnel, de parler un peu de soi. Moi, j'aime bien regarder un film, même quand je ne connais pas le réalisateur, et avoir l'impression qu'il me renseigne sur lui. Parce que j'ai envie de voir l'humanité en mouvement. Ca sert à ça, le cinéma. Deux fils, c'est surtout un film sur des gens en manque, sur le manque et l'absence. Ce sont des gens qui courent derrière la place vacante, qui sont en manque de la femme qu'ils aiment.
Les trois acteurs principaux ont en commun une forme de nonchalance très concernée, c'est-à-dire qu'ils sont à la fois totalement là et un peu à côté de leurs personnages. Comme je ne m'intéresse qu'aux personnages, que je ne veux surtout pas être plus fort qu'eux et que je ne veux pas faire une mise en scène démonstrative, je suis leur rythme d'acteur. Ensuite, mon film... Dans la vie, je trouve qu'il y a de l'intensité, où on a l'impression que les choses vont très vite, et puis il y a des moments de latence, où plus rien ne se passe. Moi, j'aime bien ce mélange, cette conjugaison des deux tons.
Ce mélange des tons est quelque chose d'assez propre à Woody Allen. C'est une référence majeure ?
Woody Allen, c'est une référence pour tout. Le peu de morale que j'ai dans la vie, je le dois à Crimes et délits. Woody Allen m'a renseigné sur l'espèce humaine. Comme Ingmar Bergman, comme Martin Scorsese... Woody Allen m'a surtout appris l'importance de la comédie. La comédie, c'est du côté de la vie, du mensonge, du désir. C'est ça qui me plaît dans ce genre.
Ce qui te rapproche de Woody Allen avec "Deux fils", c'est aussi l'attachement à une ville. Lui, c'est bien sûr New York, toi, c'est Paris...
J'aime les cinéastes qui filment l'environnement qu'ils connaissent. Les frères Larrieu qui filment les Pyrénées, Arnaud Desplechin qui filme Roubaix... Il y a comme un pacte tacite avec les spectateurs. Ensuite, Paris, j'y ai toute ma mémoire affective. J'y ai tout vécu. Je suis fou amoureux de cette ville. Par ailleurs, c'est une ville qui a été meurtrie ces derniers temps et je trouvais ça beau de filmer des personnages en errance, en divagation dans cette ville pleine de fantômes.
Il y a Woody Allen, mais est-ce que tu es allé piocher dans d'autres références pour "Deux fils" ?
Bien sûr. Il y a des humeurs dans le film. Le film est quand même une comédie, mais j'aime bien que la comédie soit filmée comme un film noir, comme un film de James Gray. Suivre Vincent Lacoste dans le film comme James Gray suit Joaquin Phoenix dans Two Lovers. James Gray est très important, Woody Allen aussi. Il y a Scorsese, dans son rapport à la ville, à la rapidité, au mensonge, la quête de puissance un peu blessée. Il y a Bergman, pour suivre les personnages. François Truffaut, pour la manière de filmer les enfants. Il y a Noah Baumbach dans les dialogues, cette manière de se dire des choses féroces avec tendresse. Ce sont mes références de spectateur, les films que j'aime, que je vais voir au cinéma. Forcément, ça m'habite, c'est mon musée imaginaire.
Tu as été bercé par quel type de cinéma quand tu étais jeune ?
Avant LOL, je lisais beaucoup de livres, mais je ne regardais pas beaucoup de films. J'ai une cinéphilie tardive, qui m'a permis de ne pas sacraliser le cinéma. Et donc de pouvoir m'y cogner, de pouvoir me dire : "C'est possible !" Quand j'ai commencé moi-même à faire des films, que je me suis intéressé au cinéma, je m'en suis voulu de ne pas m'y être intéressé avant. C'est tellement merveilleux. J'y ai trouvé tout ce que je cherche : l'émerveillement, le réenchantement du monde, la camaraderie sur un plateau, la fraternité. C'est tout ce que j'aime.
A partir de cette cinéphilie tardive, quels ont été tes chocs de cinéma ?
Je me suis beaucoup identifié aux personnages de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) d'Arnaud Desplechin. A l'époque, j'étais en hypokhâgne, et je me disais : "C'est marrant de représenter ce milieu-là, à la base pas cinématographique, qu'avec des vieux garçons, très verbeux, mais avec tellement de comédie, de dérision, d'intelligence." C'est éclatant comme film, c'est un film enchanteur. Après, il y a eu toute la découverte de James Gray. J'ai été fasciné par ses films. C'est toujours la même histoire : un type qui essaie de partir mais qui finit toujours par rentrer chez lui. Je trouve ça très beau. Il finit par rentrer chez lui et sa vie est totalement foirée. Et puis après, il y a Woody Allen. Là, c'est compulsif. Tous ses films, je les ai vus plusieurs fois, je les étudie. Je ne sais pas comment on peut faire aussi simple et sophistiqué en même temps. Et puis il y a Bergman. Quand on regarde les cinéastes qu'on aime, on va ensuite regarder les cinéastes que, eux, ont aimés.
Il y a des acteurs que tu apprécies particulièrement ?
Ils sont très variés. Il peut y avoir Max von Sydow. Il peut aussi y avoir Denzel Washington, qui me fascine. Sa manière de marcher... En vrai, un acteur, c'est quelqu'un qui marche. Denzel Washington, dans le plan d'ouverture de Flight, par exemple, la manière qu'il a de marcher dans le couloir de l'hôtel, tu es chez Mick Jagger, il convoque toute une mythologie. Il y a Jesse Eisenberg, aussi... Ce sont des acteurs qui m'apprennent à vivre. Quand ils sont excellents, les acteurs apprennent à vivre.
Il y a des films récents qui t'ont marqué ?
Leto m'a fasciné. Ce film, c'est tout le pouvoir du cinéma, c'est dingue. Le jeu avec la vérité, avec l'illusion, ce noir et blanc somptueux. Pupille m'a touché. J'étais content de voir que les institutions françaises marchaient bien, ça m'a ému. J'ai adoré En liberté ! de Pierre Salvadori. J'ai adoré Guy d'Alex Lutz. C'est bouleversant, très beau, Alex Lutz est monstrueux. J'ai aussi adoré Première année. Alors, il n'y a que des amis dans le film, mais j'étais totalement dans la fiction. Je trouve ce film très joyeux. Dans ce que ça raconte, j'aime bien cette manière d'esquiver le culte de la compétition. Et puis sinon, Une affaire de famille, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
Est-ce que tu es fan de grosses productions américaines ?
Ca dépend. Je n'aime pas les films de super-héros. Si je vois un gars qui, à la première scène, saute d'un balcon et atterrit sur ses pattes, mon système de croyance est aboli. Mais sinon, j'adore le cinéma qui utilise tous les artifices possibles de son art : quand je vois Ready Player One de Spielberg, je suis fasciné. Je me demande comment on fait, j'adore ce que ça raconte, sur la fiction comme échapatoire à la réalité. Mais je suis plus touché par En Liberté !, qui parle du même thème. Comment on échappe au réel par l'enchantement de la fiction, par les histoires que l'on se raconte. Parce que, à un moment donné, je suis ému par les personnages.
Et les séries, tu es fan ?
Je n'en ai pas trop regardé. J'ai regardé Le Bureau des Légendes, car je suis fasciné par l'espionnage. C'est tellement bien, c'est brillant. Les séries, c'est un format séduisant pour les réalisateurs, car ça devient tellement dur de faire des films pour le cinéma... Là, on leur donne de l'argent, on leur fait confiance, on leur donne une vraie liberté et ils peuvent raconter une histoire qui s'étale. Pour des réalisateurs et des acteurs, c'est séduisant.
La bande-annonce de "Deux fils" :