AlloCiné : Quels acteurs vous impressionnaient lorsque vous étiez enfant ?
Udo Kier : Quand j'étais petit, c'était Errol Flynn et les films de pirates. Je suis né à la find e la guerre en Allemagne, on n'avait pas d'argent et le dimanche à 13h, on pouvait aller au cinéma pour une somme modique et ils passaient les films d'Errol Flynn. C'est difficile à comprendre maintenant, mais à l'époque il n'y avait pas la télévision ni les infos. A l'époque, les enfants ne savaient rien des atrocités commises en Allemagne pendant la guerre, par les nazis. J'adorais le cinéma comme divertissement. Ils ne montraient pas de films d'auteurs, ils ne montraient pas M le maudit de Fritz Lang, ils montraient des films commerciaux. Ca nous donnait à voir l'illustion des choses qu'on ne connaissait pas, la mer, l'océan, les bateaux...
Comment avez-vous commencé votre carrière d'acteur ?
A vingt ans, je suis parti à Londres pour apprendre l'anglais et j'ai été repéré pour un film. Je n'avais aucune expérience, mais j'ai fait mon premier film. Ils m'avaient filmé en plans larges pour ne pas m'intimider et lorsque le film est sorti, les magazines ont titré "Le nouveau visage du cinéma" et j'ai obtenu un contrat avec le plus gros agent américain. J'ai immédiatement fait deux films à Vienne, dans le rôle principal et ça m'a plu ! J'ai travaillé avec d'excellents acteurs et j'ai commencé à apprendre en les regardant.
Votre rencontre avec Paul Morrissey a été décisive.
Quand je faisais La Marque du diable, à côté de Vienne en 1970, j'étais dans l'avion et un homme était assis à côté de moi et m'a demandé ce que je faisais. Je lui ai montré ma photo en lui disant que j'étais acteur et il m'a dit : "Donnez-moi votre numéro." Je lui ai alors demandé à mon tour qui il était, et il m'a répondu : "Je suis Paul Morrissey, je travaille pour Andy Warhol, je suis réalisateur." Quelques semaines plus tard, j'ai reçu un appel de Paul, qui m'a dit qu'il faisait un film produit par Carlo Ponti, le mari de Sophia Loren, Chair pour Frankenstein, et qu'il avait un rôle pour moi. Je lui ai demandé quel rôle et il m'a alors dit : "Frankenstein." A la fin du tournage, j'étais à Cinecittà, Fellini tournait juste à côté, je mangeais à la cantine avec ses acteurs ! Andy Warhol a dit : "Tout le monde est célèbre pendant quinze minutes." Je me suis dit que mon quart d'heure de gloire était terminé et Paul Morrissey est entré, et il a dit : "On a notre Dracula allemand !" J'ai demandé : "Qui ?" Il m'a dit : "Toi, mais tu dois perdre du poids !" Et je suis devenu Dracula.
A la fin du tournage, j'étais à Cinecittà, Fellini tournait juste à côté, je mangeais à la cantine avec ses acteurs !
Racontez-nous votre rencontre avec Rainer Werner Fassbinder.
J'étais à Cologne, la ville où j'ai grandi, à côté de la frontière belge. J'avais seize ans, je suis allé dans un bar populaire et j'ai rencontré ce jeune homme, Rainer, qui avait quinze ans. On observait les gens, leur attitude, leurs manières. Plus tard, à Londres, j'ai acheté un magazine, Stern, et il y avait une double page avec une photo de Rainer, qui disait "Rainer Werner Fassbinder, alcoolique et génie", et j'ai réalisé que c'était Rainer, du bar ! Je suis allé en Allemagne, on s'est vus et c'était une rencontre étrange, car il n'avait pas passé de très bons moments à Cologne et il ne voulait pas vraiment qu'on lui rappelle cette époque. Il m'a proposé un premier film, mais j'ai refusé car le rôle de me plaisiait pas. Puis il m'en a proposé un deuxième et j'ai accepté, c'était La Troisième génération.
Plus tard, il y a eu la collaboration avec Lars von Trier...
J'étais à Mannheim, pour un festival. J'avais réalisé un court métrage de dix minutes, que j'avais produit et dans lequel je jouais. Fassbinder faisait la voix. Mon film était présenté le premier soir avant Element of Crime, de Lars von Trier. J'ai vu son film et j'étais très impressionné, je ne pouvais plus bouger de mon siège. J'ai dit au directeur du festival que je ne voulais rencontrer qu'une seule personne, celle qui avait réalisé ce film. Je m'attendais à quelqu'un dans le genre de Kubrick ou Fassbinder, d'un peu torturé, de mauvaise humeur, et arrive ce jeune homme. Nous sommes allés boire une bière, nous avons parlé, échangé nos numéros et quelques mois après, il m'a appelé pour me proposer le rôle principal masculin de Medea, d'après l'adaptation d'Euripide par Carl Theodor Dreyer. Il m'a dit : "Le problème, c'est que tu ne ressembles pas du tout à un Viking, donc ne te rase plus pendant un mois, puis viens au Danemark, car je dois convaincre la compagnie qui finance le film que tu peux être un Viking." J'ai eu le rôle et ça a été le début de notre amitié. Je suis dévenu le parrain de son premier enfant et depuis on a fait dix films ensemble !
Vous avez accompagné les débuts d'un autre grand cinéaste, Gus Van Sant.
Je l'ai rencontré au festival de Berlin. Un jeune homme vient vers moi et il se présent : "Je m'appelle Gus Van Sant, j'ai un film ici au festival de Berlin et je prépare mon prochain film avec Keanu Reeves et River Phoenix - dont je n'avais jamais entendu parler en Allemagne -, My Own Private Idaho et j'aimerais vous proposer le rôle de Hans." Les gens parlent beaucoup en festival, mais ce n'est pas toujours suivi d'effet alors je n'y coyais pas vraiment, mais il a gardé contact, m'a écrit des lettres, m'a obtenu le permis de travail et je suis allé en Amérique. Après le tournage, je suis rentré en Allemagne, puis je suis retourné aux Etats-Unis pour la première du film et je m'apprêtais à repartir. J'avais fait mes bagages et une amie m'a dit : "Pourquoi tu ne resterais pas ici ?" C'est ce que j'ai fait et ça fait maintenant vingt-quatre ans que je vis aux Etats-Unis. Il y a quelques mois, j'ai invité Gus Van Sant chez moi à Palm Springs et je lui ai dit : "Tu sais, tout ce que j'ai aujourd'hui, je te le dois, car si tu ne m'avais pas fait venir en Amérique, je n'y serais jamais allé ! Maintenant, je vis ici et je mourrai ici !"
Quelle est la chose la plus importante que vous ayez apprise en tant qu'acteur ?
Je pense que c'est que talent n'est pas quelque chose qui s'apprend. On peut apprendre une technique, mais le talent, ça ne s'apprend pas. Et surtout, j'ai appris en jouant que c'était ce que j'aimais faire et ce que je voulais faire. Je le fais depuis cinquante ans et j'ai la chance d'avoir travaillé avec de grands réalisateurs, dont certains ne pourront jamais faire un mauvais film ! J'ai aussi appris à être indépendant, à rester moi-même et à m'approprier les rôles.
Vous avez joué de nombreux méchants. Quand vous jouez un méchant, est-ce que vous en retirez un plaisir particulier ?
Oui, bien sûr ! Il y a deux manières de jouer un méchant. Vous avez un flingue, que vous pointez vers quelqu'un en disant : "Je vais te buter !" Et vous tirez. Ce que je préfère, c'est avoir le flingue sur la table devant moi, me polir les ongles en disant : "Tu sais quoi ? Quand j'aurai terminé, je vais te tuer." Là, les gens trouvent ça vraiment horrible. C'est pour ça que j'adore Christoph Waltz, on joue le mal de la même façon, en prenant plaisir à faire le mal. Si on est juste méchant, tout le monde s'en fout, mais si on est sympathique et qu'on fait quelque chose d'extrêmement brutal, c'est beaucoup plus choquant pour le public ! Les gens adorent les bons méchants !
Du sang pour Dracula de Paul Morrissey :