AlloCiné : En tant que spectateur, d'où vient cette affection que vous nourrissez pour les films de genre ?
Eli Roth : Je les adorais quand j'étais enfant. Les films qui gagnaient des Oscars ne m'intéressaient pas. Je me souviens avoir essayé de regarder Gandhi quand j'étais petit, et ça m'a profondément ennuyé. Les films que j'avais envie de voir c'étaient ceux de Steven Spielberg et de George Lucas, et mes goûts n'ont pas changé depuis. J'adorais Guillermo del Toro, Tim Burton, Terry Gilliam. Ca a toujours été le genre de films que j'ai eu envie de faire et les films d'horreur sont mes préférés. Il y a un côté un peu transgressif, on n'est pas supposés les voir, il y a quelque chose de dangereux.
Quel est votre tout premier souvenir de spectateur ?
Star Wars, quand j'avais six ans. Je me souviens, mon grand frère est rentré du cinéma. Il l'avait vu sans moi car mon père n'était pas certain que je sois assez vieux, donc je suis allé le voir à mon tour et je voulais par-dessus tout que Star Wars soit réel. Je n'ai jamais rien vu de tel !
Et quel est votre premier traumatisme de cinéma ?
Quand j'avais huit ans, mon père m'a emmené voir Alien. Je le suppliais car je voyais sans cesse les bandes-annonces à la télévision. J'étais tellement choqué que je voulais quitter la salle, mais je n'y arrivais pas car je ne pouvais pas m'arrêter de regarder le film, donc j'ai regardé la dernière partie du film à moitié debout, à moitié dans l'allée. Après le film, j'ai vomi tant j'étais énervé et exalté à la fois. Jamais un film n'avait eu un tel impact sur moi.
Ce sont tous des films de science-fiction ! Quand allez-vous faire votre film de SF ?
J'ai essayé plusieurs fois, mais pour différentes raisons ça ne s'est jamais fait, mais j'adorerais vraiment en faire un.
Les films de genre sont très politiques. C'est une dimension importante pour vous ?
Oui, bien sûr, mais je ne veux pas que les gens se sentent mal s'ils ne la perçoivent pas. Il y a toujours un message, une raison pour laquelle vous faites un film, mais tout le monde ne va pas le voir pour ça. La première fois qu'on va voir un film qui fait peur, c'est pour avoir peur, mais lorsqu'on le regarde à nouveau, ça devient intéressant de comprendre ce qu'il y a sous la coquille. Un film de maison hantée n'est jamais effrayant la deuxième fois et il faut que les gens aient une bonne raison de le revoir.
Comment le choix du genre intervient-il dans le processus de création ? Par exemple, quand avez-vous décidé que Cabin Fever serait un film d'horreur ?
En général, c'est le genre qui intervient en premier ! J'aime aussi mélanger les genres dans mes films, ou partir d'un genre que j'aime, prendre les éléments qui lui sont inhérents et repousser les limites, contourner les règles. Il faut trouver un moyen de déjouer les attentes des spectateurs, mais dans le bon sens. J'ai souvent entendu, à propos de mes films : "Tu n'es pas censé faire ça !" Finalement, quand les gens les voient, il me disent : "Ah, c'est intéressant que tu aies fait ça !" On se dit que maintenant, ça a été fait, et c'est ce qui permet au genre d'évoluer. Pour tous mes films, la question du genre est arrivée en premier. Lorsqu'on entend une histoire, on sait tout de suite si ça doit être une histoire qui fait rire, qui fait peur ou qui fait pleurer.
Vous avez d'abord fait des films d'horreur, puis avec Knock Knock, vous avez basculé vers d'autres genres. Est-ce que vous en aviez fini avec les films d'horreur ?
Non, on n'en a jamais fini avec quelque chose. On a juste besoin de se sentir inspiré quand on raconte une histoire. Quand on évolue dans la vie, nos idées changent et j'avais envie de faire quelque chose dans la lignée d'un thriller érotique d'Adrian Lyne ou d'un film de Paul Verhoeven. Je ne voulais pas faire un film d'horreur si ça ne m'inspirait pas. En ce qui concerne Knock Knock, après être allé dans la jungle pour Green Inferno, j'avais envie de quelque chose de beaucoup plus confiné, qui repose davantage sur le jeu d'acteur. Avec Death Wish, j'ai eu envie de faire mon thriller d'action et de vengeance, et puis j'ai toujours voulu faire un film pour enfants un peu dark, donc quand l'opportunité de réaliser La Prophétie de l'horloge s'est présentée, j'ai sauté sur l'occasion.
Vous êtes aussi producteur. La transmission, c'est quelque chose qui compte pour vous ?
Réaliser, c'est épuisant. Lorsque vous faites un film, ça représente une année de votre vie. Produire, c'est un moyen d'aider d'autres personnes : Damien Chazelle avec Le Dernier exorcisme 2 [dont il était scénariste], Jon Watts avec Clown, Daniel Stamm avec Le Dernier exorcisme, Ti West avec The Sacrament. Ca me plait beaucoup. Je suis dans une position qui me permet de rassembler de l'argent pour financer de jeunes cinéastes. Avec la société numérique Crypt TV [qu'il a lancée en 2015], des centaines de réalisateurs et de réalisatrices - c'est quasiment l'égalité parfaite - peuvent réaliser des courts métrages d'horreur. Au lieu de dépenser un million de dollars pour faire un long métrage, ils peuvent faire un court qui sera vu par des millions de gens. Certains sont encore au lycée ! C'est une autre manière d'aider de nouveaux talents.
Qui sont vos maîtres ?
C'est quelque chose qui évolue au fil du temps, selon les moments de votre vie. J'ai eu la chance de rencontrer énormément de mes héros, parfois de devenir proche de certains. Enfant, c'étaient Sam Raimi, Tobe Hooper, John Carpenter, Wes Craven, George Romero, Lucas et Spielberg... Ensuite, il a eu Tim Burton, Terry Gilliam, David Lynch, Tarantino. C'est incroyable que j'aie pu travailler avec Quentin ! Evidemment, Guillermo del Toro, Christopher Nolan, qui sont de la génération juste avant la mienne. Chacun de leurs films est un événement. Il y a aussi les maîtres comme James Cameron et les maîtres italiens, Dario Argento, Lucio Fulci... Roger Corman est aussi un de mes héros. Mais tout a commencé avec Lucas et Spielberg.
Et si vous deviez choisir votre film d'horreur préféré ?
C'est impossible. Ca ne marche pas comme ça. Je ne peux pas choisir.
Si vous étiez contraint et forcé ?
Les films vous effraient à différents moments de votre vie. On les regarde encore et encore pour des raisons diverses et variées. Si on regarde un film encore et encore, il devient de moins en moins effrayant, jusqu'à perdre son intérêt. Je ne sais pas... Peut-être Pieces, de Juan Piquer Simón. Celui-ci, je pense que je pourrais le regader en boucle sans me lasser.