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    Continuer de Joachim Lafosse : Virginie Efira dans "un personnage de mère qui ne cède pas sur son désir"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après "L'Economie du couple", Joachim Lafosse dévoile son nouveau long métrage, adapté de Continuer de Laurent Mauvignier. Virginie Efira et Kacey Mottet Klein campent une mère et un fils partis ensemble pour un périple à travers le Kirghizistan...

    Le Pacte

    AlloCiné : Ce qu'on retient d'abord de ce film, Continuer, ce sont ces paysages, ces silences, ces échanges qui ne passent pas forcément par les mots. On est très vite en immersion dans ce décor, et on a vraiment une impression d'épure dans le scénario...

    Joachim Lafosse, réalisateur : Je pense qu’il y a plusieurs choses qui m'ont amené vers ce film. Quand je lis le roman, je n’ose pas trop en parler pendant les 2-3 jours qui suivent. Je me rends compte que la question qui m’accompagne est : « est-ce que c’est un voyage que j’aurais pu faire avec ma mère ? ». J’en discute un peu, et je me rends compte que ce roman ne m’a pas du tout laissé indifférent.

    Mais il y a autre chose : j’y vois la possibilité, avec mon directeur photo, d’accomplir un rêve que l’on a depuis 3 ou 4 films, c’est à dire de faire un film en lumière naturelle et dans d’autres décors que des appartements ou des maisons dans lesquels il se passe des drames. Quand j’ai terminé l’adaptation, on a fait des repérages ensemble. Ca a été un plaisir immense, avec, comme objectif de proposer une immersion au spectateur, qu’il puisse décrocher de son quotidien, et être en même temps dans quelque chose de très intime.

    Je ne suis pas romantique. Je ne crois pas que la nature donne les réponses. Mais la nature met dans un état qui permet de se confronter aux questions au cœur des relations entre cette mère et son fils. Le roman est très nourri de beaucoup de choses. J’ai beaucoup épuré en effet. La littérature, c’est l’art de la liberté, tant pour l’auteur que pour le lecteur. Finalement, le lecteur est un metteur en scène. Est-ce que le spectateur de cinéma est un metteur en scène ? Le cinéaste a vraiment, plus qu’en littérature, à faire une place, créer un espace où le spectateur peut venir se déposer. Il me semblait qu’il fallait plus enlever qu’ajouter.

    D’autre part, c’est quand même une production européenne. C’est un film assez ambitieux qui s’est fait avec peu de moyens. Dans le roman, il y a des scènes de tempête, d’orages, de tempête de neige… C’est assez compliqué à faire. Si c’est pour le faire mal, autant ne pas le faire.

    Ce qui m’a beaucoup plu, c’est de mettre en scène une femme et une mère, et qui ne cède pas sur son désir. Elle a un garçon avec elle, pour qui c’est assez compliqué de faire le lien entre la femme et la mère, ou "la maman et la putain" si on veut le dire d’une certaine manière. Ce lien à la mère est complexe et mystérieux. Je trouve ça intéressant et important de le raconter aujourd’hui. C’est quoi, pour un fils, un garçon aujourd’hui tout d’un coup de découvrir les rêves de sa mère ? Et est-ce qu’on doit connaitre les rêves de sa mère. Cette question, chacun s’en empare comme il veut. Sybil me fait pas mal penser à ma mère. C’est vraiment un personnage de mère qui ne cède pas sur son désir. Je pense que ma mère n’a jamais cédé sur son désir. 

    Le Pacte

    Et tout cela, on le découvre par petites touches, petit à petit...

    S’ils sont en difficulté, je pense, d’une certaine manière que c’est parce qu’ils n’arrivent pas à se raconter. S’ils n’arrivent pas à se raconter, il n’y a pas tellement de raison qu’ils se racontent aux spectateurs. Autant je peux être très au fait de l’existence de l’inconscient, de l’importance du langage, mais je crois aussi que en ce qui concerne le lien entre les fils et leur mère, il y a quelque chose qui est au-delà du langage. C’est de là qu’on vient. La mère est celle qui porte l’enfant, qui le porte par sa voix, par son langage, mais pas que. Aussi par ses gestes, ses sourires… C’est ça que je voulais filmer.

    Il y a une scène où ils sortent tous les deux de la tente et prennent leur café le matin au lever du soleil. Ils ne se disent rien mais on sent bien qu’il y a un apaisement entre eux. Elle vient de dire à son fils combien le désir est complexe et donc l’existence aussi. Ca passe par autre chose que par des mots. En cela, le cinéma peut être intéressant.

    Et puis il y a aussi les chevaux. Dans tout le contrôle et la maitrise que peut représenter la mise en scène d’un film, les chevaux sont de la sauvagerie. J’avais lu une interview des frères Coen avant de commencer à faire le film dans laquelle ils disaient que le pire sur un tournage, c’était les chevaux. Et je confirme !

    C’est fascinant, parce que la sauvagerie des chevaux vient tout le temps tvous demander de vous repositionner comme metteur en scène, d’autant plus quand l’intention est de faire un film en plan séquence. Pour avoir revu pas mal de westerns avant de tourner, ce sont des films très découpés. Moi je suis plutôt un cinéaste du plan séquence. Les westerns sont très découpés je pense car il y a justement la gestion des chevaux. Un cheval, vous lui demandez d’aller à droite, il ne va pas forcément à droite. Mario Luraschi, le dresseur avec qui on a travaillé, très grand dresseur, m’avait prévenu et dit qu’il allait falloir que je prenne sur moi. 

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    Vouliez-vous justement donner une connotation un peu western à ce film ?

    C’est impossible quand on voit des grandes étendues comme ça, et les chevaux dans ces étendues, de ne pas être emmené vers le western. Je pense que ma première référence au western est une série de bande-dessinée qui s’appelle Buddy Longway de Derib. C’est la seule bande-dessinée qu’il y avait à la maison quand j’étais enfant et je l’ai relu dans tous les sens. Je me suis dit que j’étais en train de faire un Buddy Longway, sauf que c’est une Buddy Longway. En plus, il y a des parallèles, car il y est beaucoup question de famille. Evidemment il y a aussi La Prisonnière du désert ou Gerry. Ce sont des films qui nous ont inspiré mais ce sont des chefs d’œuvre. Je n’ai pas la prétention de dire que l’on est proche de ces films. 

    Il y a aussi une chose dont je suis très fier, c’est la qualité de la photo. C’est chouette de tourner un film qui dépend des éléments. On a tourné en hiver, à une période où les journées étaient assez courtes. On pouvait tourner entre 9h et 16h. Il n’y a aucun éclairage artificiel. Parfois on se retrouvait avec une demi-heure pour boucler une séquence. Mais on avait décidé de faire cette cascade là, car cette heure là est celle que l’on avait choisi pour que la lumière soit exactement celle qu’on veut.

    On a tourné en 28 jours et on a eu 28 jours de ciel bleu. On en rêvait. Et il a neigé quand nous avons eu besoin. En tant que cinéaste, c’est vrai que c’est très agréable à vivre. J’espère que ce voyage, cette expérience sensorielle, le spectateur la vit aussi. Après tout, le cinéma, ce n’est pas que des idées.  

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    Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Virginie Efira, qui comme vous, désirait adapter ce roman, et a collaboré sur le scénario avec vous...

    J’ai eu l’occasion de lire le roman avant qu’il ne sorte et elle aussi. Il se fait mon agent devenait l’agent de Laurent Mauvignier (auteur de Continuer, paru en 2016 aux éditions de Minuit) au moment où je lis le roman. Ca m’a permis de le rencontrer. Il m’a dit que Virginie l’avait déjà rencontré et qu’elle voulait le produire et jouer le rôle. Lui était très enthousiaste.

    Je me suis dit que de commencer un projet en étant porté par un désir commun d’adapter une œuvre, ça peut être un moteur. Ca nous a amené à nous rencontrer. Après lorsque vous adaptez, tout le monde a une idée de l’adaptation qu’il y a à faire. Quand Virginie lit le roman, elle n’en fait pas la même lecture que moi. Ce qui était émouvant, c’est qu’on a cherché à se rencontrer. Virginie était plus proche du rôle de Sybil, et moi de celui de Samuel.

    Et Kacey Mottet Klein, qui joue justement Samuel, est un acteur que l’on voit grandir de films en films…

    Il a 20 ans mais il a une vraie carrière derrière lui. C’est un acteur d’une générosité dingue. Comme tous les grands acteurs, c’est une hyper sensibilité. Il a cette générosité d’accepter d’être regardé et de partager ça autour d’une œuvre et d’un film. J’ai vraiment beaucoup apprécié ce qu’il a donné au film. Il était assez moteur. Ce que j’aime beaucoup, c’est qu’il me semble que c’est le premier film dans lequel il ne joue plus un adolescent ou un adolescent en train de devenir un homme. 

    Bestimage

    Travaillez-vous sur un prochain projet ?

    D’une certaine manière, assez logiquement après ce voyage avec ce fils et sa mère, je me suis enfin mis à écrire un film auquel je pense depuis une vingtaine d’années. Ca sera l’histoire d’une famille, mais prise sous l’axe du père, d’un père. Ca ne sera pas une adaptation, mais un scénario original.

    Il sera question de maniaco-dépression, et je vais probablement travailler avec un acteur assez connu, qui a lui-même, tout comme moi, eu un père qui était maniaco-dépressif. C’est très agréable de partager ça et pour moi c’est probablement une garantie de justesse. Le projet est en fin d’écriture. C’est un film qui compte beaucoup et j’ai très envie de prendre le temps. 

    La bande-annonce de Continuer :

    Propos recueillis à Paris le 14 janvier 2019

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