Dès le début de Black Mirror: Bandersnatch, le spectateur est averti, par le biais d’un écran dans l’écran, qu’il lui faudra faire des choix qui altéreront l’histoire. S’il a bien compris, il clique alors sur "oui" avec la souris de son ordinateur (ou appuie sur "oui" sur sa tablette ou son téléphone).
Nous voilà le 9 juillet 1984. Le héros, Stefan, a créé un jeu vidéo à partir d’un livre qu’il a trouvé dans les affaires de sa mère (morte) intitulé Bandersnatch : un roman d'aventure où il faut faire ses propres choix. On est tout de suite au fait : cet épisode de Black Mirror est fondé sur la mise en abyme.
Si les premiers choix qui s’offrent au héros/à nous ne sont pas véritablement question de vie ou de mort (choisir entre deux marques de céréales, choisir quel morceau de musique on veut écouter), les choses se corsent rapidement et il faut bientôt décider d’accepter ou de refuser un job et déjà, Colin, qui s'annonce comme votre sidekick, vous fait douter en suggérant que vous avez emprunté le mauvais chemin.
Un conseil avant de lancer Bandersnatch : ne soyez pas pressés.
Dès lors, quelles que soient les voies où vous vous engagerez, une petite voix ne cessera de vous souffler que vous faites peut-être le mauvais choix, et surtout, vous vous demanderez sans arrêt : "Que serait-il arrivé si j'avais cliqué sur l'autre option ?" Bien sûr, on comprend rapidement que les possibilités ne sont pas infinies et que si l'on s'obstine à faire "le mauvais choix", il faudra revenir en arrière un certain nombre de fois. Un conseil, donc, avant de lancer Bandersnatch : ne soyez pas pressés.
D'un point de vue purement fonctionnel, Bandersnatch peut être considéré comme une réussite. Outre le fait que l'on est parasité en permanence par l'idée que l'histoire aurait pu prendre un tour différent, l'interface est conçue de telle sorte que l'interaction reste fluide de bout en bout.
En matière de mise en abyme, cet épisode spécial va loin. Il explore les concepts de réalités alternatives - entre le roman, le jeu et l'épisode, tous trois intitulés Bandersnatch - et pose la question du libre arbitre et plus précisément de l'illusion du libre arbitre. Il impose de nombreux jeux de miroirs, propose différents niveaux de lecture - démultipliant les niveaux d'intrigues, entre le passé de Stefan, son dialogue avec sa psy, la création du jeu et la perte de contrôle de lui-même. Peu à peu, le spectateur colonise le récit et prend corps dans l'esprit du héros.
Arrive un moment où l'on se demande si ça ne va pas un peu trop loin.
Tout cela est très bien fait, mais arrive un moment où l'on se demande si ça ne va pas un peu trop loin. L'irruption de Netflix dans l'intrigue, doublée d'une réflexion sur la rumeur - qui a elle-même entouré la sortie de l'épisode jusqu'à, finalement, sa mise en ligne hier, accompagne le sentiment de lassitude qui émerge malheureusement assez vite.
Cela pourrait être très intéressant et même assez fascinant, si l'on n'avait pas très tôt envie d'arrêter de "jouer" et si Bandersnatch avait autre chose à raconter que sa propre histoire et son éternelle mise en abyme. C'est là que se dessinent les limites de l'expérience : on n'a jamais vraiment le temps de s'attacher à Stefan, de s'intéresser au mytère qui l'entoure, ni même à ce qui pourrait lui arriver. L'épisode s'enfonce en lui-même, on est pris dans une boucle infernale qui éloigne la possibilité d'une quelconque excitation pour le dénouement.
On peut aussi bien se dire que l'intérêt d'un jeu, c'est le jeu lui-même et pas la fin, mais Black Mirror n'est pas un jeu, c'est une série. Ainsi, bien que la tentative soit tout à fait remarquable, elle peine à transformer l'essai au-delà du gimmick et à amener cet épisode-concept de l'autre côté du miroir.
La bande-annonce de Bandersnatch :
