On ne compte plus leurs collaborations, devant et/ou derrière la caméra. Mais c'est en tant qu'acteurs et dans le milieu du porno des années 80 que Guillaume Canet et Gilles Lellouche se retrouvent, grâce à L'Amour est une fête, nouveau long métrage mis en scène par Cédric Anger, qui mêle comédie et drame avec un soupçon de policier. Le tout pour un résultat enlevé, à l'image de son tournage si l'on en croit ses comédiens.
AlloCiné : Y a-t-il une image que vous gardez du tournage de ce film, de cette nouvelle collaboration entre vous deux ?
Guillaume Canet : Pour moi un sentiment de bien-être. Avec une bande, des acteurs et des personnages, même secondaires, qui étaient très très forts, très intenses. Très bien écrits aussi. Tout le monde existe, tout le monde est heureux d'être là. Et j'ai aussi le sentiment que les personnages vivent dans le film, c'est vraiment ce que j'ai ressenti par rapport à ce que Cédric a essayé de reproduire avec cette époque, qui était une sorte de parenthèse enchantée. J'ai notamment la souvenir de ce dîner dehors, sur la terrasse de la maison [où se passe le dernier acte, ndlr], à la campagne en plein été, à boire des coups, parler et rigoler. Je garde un souvenir très convivial.
Gilles Lellouche : Exactement le même ressenti de mon côté, avec un réalisateur qui vous donne l'opportunité d'aller frôler la folie douce dans des personnages. Ça j'en rêvais depuis longtemps et c'était vraiment un tournage libre. Libre et aérien. Guillaume et moi avons eu des partitions très différentes de ce qu'on a l'habitude de faire, dans un film différent de ce que l'on a l'habitude de voir. Je pense que ça a été la même chose pour tout le monde, aussi bien Michel Fau que Xavier Beauvois. On a vraiment été employés dans des endroits assez rares et extrêmement jouissifs du coup, car c'était très aérien tout cela.
Vous parliez de partitions et le film alterne comédie, policier et drame. Y a-t-il une tonalité dans laquelle vous étiez plus à l'aise ?
Gilles Lellouche : Il n'y a pas une tonalité principale. Cédric Anger a voulu faire un film qui parle d'une époque libre, et il a fait un film libre. Qui part comme un polar et va finalement vers la comédie, puis évolue dans une espèce de rêverie et devient un film qui parle de cinéma. C'est un film qui est totalement libre, une sorte de rêverie, et je trouve magnifique qu'en 2018, des cinéastes arrivent encore à sortir des diktats disant qu'un scénario est comme ci et doit se passer comme ça, qu'un polar est un polar, une comédie une comédie. Lui nous a tous emmenés vers sa vision du cinéma : une vision libre, joyeuse, enfantine quoiqu'adulte... C'est un film qui est une sorte d'enchantement.
Étant chacun réalisateur et scénariste, avez-vous eu de la liberté hors-caméra, pour retoucher vos personnages ?
Guillaume Canet : On a essayé de lui apporter un peu de nous-mêmes. Pas forcément notre personnalité mais notre travail d'acteurs, donc de lui faire des propositions sur le personnage, la manière de l'interpréter. Mais c'était quand même très très écrit, Cédric était assez précis sur ce qu'il voulait d'eux. Donc je pense que ça a été une collaboration très agréable et très simple, où l'on s'apportait des choses.
Gilles Lellouche : Oui, et il s'est beaucoup documenté. Quand je parle de liberté et de folie douce, il avait quand même une vision très concrète de son film, parce qu'il avait beaucoup travaillé dessus. Et finalement, on s'est exécutés pour suivre sa vision, et j'étais très friand des détails qu'il avait à nous communiquer, des anecdotes qu'il avait à nous raconter. Il a amené des acteurs et actrices de l'époque, qui nous ont eux-même raconté comment se passaient les tournages dans le porno des années 80. Guillaume et moi avons été plongés dans le Pigalle de 1982, et c'était assez chouette.
La vision que vous aviez de ce milieu a-t-elle changé grâce à ces gens qui vous ont documentés ?
Guillaume Canet : Moi oui, vraiment. Sur la manière dont ces films se faisaient justement. Ils appelaient ça des films d'amour eux, et ils nous ont raconté qu'ils avaient un plaisir fou à partir en tournage. Souvent entre potes car ils se connaissaient tous très bien, et dans un désir, un souci d'esthétisme, de faire des beaux films, avec une belle lumière, en 35mm. Et de voir ce qui est montré à la fin de L'Amour est une fête, quand ils tournent cette scène : un désir de cinéma avant tout.
Moi je fais partie, beaucoup, de la génération de la vidéo, qui est intervenue après : au début des années 80 quand j'avais 7 ans, ce qui faisait un peu jeune pour regarder un film de cul. Mais les premiers films pornos que j'ai vus étaient en vidéo, et ça n'était pas le même monde, la même atmosphère que ce qu'ils racontaient eux.
Je pense que l'industrie du X est aujourd'hui plus froide, plus clinique. Plus crado.
Gilles Lellouche : Et il y a quelque chose de très touchant dans le film. Une sorte de naïveté, quelque chose d'enfantin, hyper mignon : tous ces acteurs prenaient les choses très au sérieux et pensaient, peut-être naïvement, qu'ils arriveraient à passer du porno au cinéma dit traditionnel. Les réalisateurs faisaient ces films en 35mm, avec une attention toute particulière pour le cadre. Même l'histoire et on le voit ici quand on fait une lecture du scénario et que le réalisateur est hyper fier alors que c'est de la merde en branche. Mais c'est hyper touchant et la grâce qu'a Cédric, c'est qu'il est allé faire composer une musique qui lorgne vers les BO des films italiens des années 70, un peu barrées. Et il filme le dernier instant d'une scène de cul - je ne vais pas vous faire une description - avec cette musique et l'attention toute particulière du réalisateur sur ses acteurs et actrices, avec toute l'équipe qui est là, autour de ce dénouement.
Il y a un truc qui est génial, c'est qu'on voit tout d'un coup à quel point ils prennent ça au sérieux. Comme si c'était le dénouement d'un thriller, d'un polar ou d'un grand film de suspense. Il y a quelque chose d'hyper beau dans sa vision des choses, qui m'a vachement touché et me touche encore plus quand je vois le film : cette colonie, qui est presqu'une colonie de vacances avec tous ces enfants qui ont l'impression de faire quelque chose de très sérieux alors que ça ne l'est pas. Je pense que l'industrie du X est aujourd'hui plus froide, plus clinique. Plus crado.
Et la perception qu'on en a aujourd'hui est justement contrebalancée par ce que montre le film, avec cette vision plus romantique presque.
Gilles Lellouche : Parce que c'était le cas. C'était des films que les gens allaient voir en masse à l'époque. Aujourd'hui ils seraient dans les mêmes circuits que les autres, dans les multiplexes UGC. Le fait est que la vidéo est arrivée et a complètement bousculé le marché, mais les films étaient faits consciencieusement, souvent dans des châteaux, avec des grosses voitures. Il y avait toujours une espèce d'idéal romantique greffé autour du truc.
Guillaume Canet : Et ça marchait très très bien. Les gens allaient les voir en couple, c'était un rapport à la pornographie totalement différent d'aujourd'hui.
C'est pour cette raison que le film s'ouvre sur une intervention d'époque de Jack Lang ? Pour marquer la différence et l'idée de fin d'une époque ?
Gilles Lellouche : Exactement.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 10 septembre 2018