Dans les derniers jours du printemps 2008, le nouveau film du réalisateur Pascal Laugier, Martyrs, est annoncé. Il doit sortir le 18 juin, le même jour que Speed Racer des frères (encore à l’époque) Wachowski, et que Sans Sarah rien ne va ! de Nicholas Stoller. Martyrs relate la vengeance d’une jeune femme séquestrée et torturée pendant son enfance par une famille que la police n’a jamais retrouvée. Elle ne se doute pas qu’au long de sa quête de justice meurtrière, sa meilleure amie subira à son tour le même sort. Comme le veut la règle pour tout long métrage aspirant à une sortie en salles, Martyrs passe fin mai devant la Commission de Classification des Œuvres Cinématographiques, ultime étape avant d’obtenir un visa de diffusion. C’est le début d’un parcours qui va faire couler beaucoup d’encre.
Car si le cinéaste assumait la violence graphique très appuyée de son film de genre, il ne s’attendait pas à ce qu’un avis d’interdiction aux moins de 18 ans lui tombe dessus. Son précédent long métrage, Saint Ange, avait été interdit aux moins de 12 ans en juin 2004. Et si l’interdiction aux moins de 18 ans avait refait son apparition depuis 2000 et le fameux scandale "Baise-moi", elle semblait réservée à des films caractérisés par des scènes de sexe lourdement explicites, voire non-simulées.
LE -18 ANS ET LA CENSURE ECONOMIQUE
Pour Pascal Laugier, la classification de ce nouveau film représente un enjeu économique capital. Car si certains cinémas peuvent, vu leur public limité, rechigner à proposer des films interdits aux moins de 16 ans, ils sont d’autant plus méfiants envers un long métrage affublé d’une interdiction aux mineurs. Pire encore : les chaînes de télévision françaises n’ont le droit de diffuser ces films qu’entre minuit et cinq heures du matin, à l’heure où plus personne n’est devant son écran. Interdit aux -18 ans, Martyrs serait donc condamné à être acheté pour une bouchée de pain, voire pas du tout.
En 2008, un film d’horreur seulement avait reçu une interdiction aux moins de 18 ans : Saw III de Darren Lynn Bousman, sorti fin 2006. Même les torture-porn les plus sensationnels comme ceux de la franchise Hostel ou Frontière(s) de Xavier Gens se voyaient attribuer des interdictions aux moins de 16 ans accompagnées d’un avertissement au public.
Cinéma d'horreur français : pourquoi est-ce si compliqué ? - Partie ILA PROCEDURE D’APPEL QUI SAUVA LE FILM
Le 2 juin 2008, c’est la panique : l’avis d’interdiction aux moins de 18 ans tant redouté est envoyé par la Commission de Classification du CNC (Centre National de la Cinématographie) au Ministère de la Culture. Le distributeur Wild Bunch décide alors de se laisser le temps de manœuvrer et de retarder la sortie du film de Pascal Laugier de plus de deux mois. Une nouvelle date, le 3 septembre 2008, donnera au distributeur le temps de faire appel de cette décision.
Sensible aux arguments sollicitant un nouvel examen, la Ministre de la Culture Christine Albanel, fraichement revenue de son premier Festival de Cannes, se tourne à nouveau vers la Commission de Classification. Le film devra être ré-examiné en séance plénière, le mardi 1er juillet 2008, en présence d’un représentant du ministère qui veillera au bon déroulement du débat. Ce soir-là, Martyrs est à nouveau diffusé à vingt-six experts qui, au terme d’un débat de trois-quarts d’heure, votent à 14 voix contre 12 l’interdiction de Martyrs aux moins de 16 ans avec l’avertissement suivant : "Ce film inflige des images extrêmement éprouvantes exposant le supplice d’une jeune femme. Sa vision comme son interprétation requièrent des spectateurs préparés et distancés."
L’APRES MARTYRS
C’est la fin du cauchemar pour Pascal Laugier qui n’hésitera pas à communiquer abondamment sur la polémique provoquée par son film, mettant l'accent sur le défaut de fonctionnement que peut représenter l’existence de l’interdiction aux moins de 18 ans dans la classification française (à différencier du classement X réservé aux films à caractère pornographique). Martyrs sort finalement le 3 septembre 2008 dans les salles françaises et ne réunit que 91 000 spectateurs. Il reste encore à ce jour le plus petit succès de Pascal Laugier.
"Beaucoup de bruit pour rien", diront certains, "la preuve de la toxicité d’une interdiction aux moins de 18 ans, ne serait-ce qu’évoquée", regretteront les autres. En réalité, Martyrs n'a pas démérité en sortant seulement sur 60 copies sur le territoire français. Dix ans plus tard, l’interdiction aux moins de 18 ans figure toujours dans la grille de classification des films en France. En 2016, il a été procédé à une modification du texte de loi concernant les scènes de sexe non-simulées, pour qu’elle ne frappe plus systématiquement les longs métrages qui en comportent. Elle n’a été attribuée qu’aux dix films suivants depuis la sortie de Martyrs :
- Dirty Diaries de Elin Magnusson, Sara Kaaman, Ester Martin Bergsmark, Åsa Sandzén et P. Harlow
- Saw 3D Chapitre final de Kevin Greutert (initialement sorti en 2010 avec une interdiction aux moins de 16 avec avertissement, sa classification a été revue à la hausse en 2015)
- Il n’y a pas de rapport sexuel de Raphaël Siboni
- Nymphomaniac – Volume 2 de Lars Von Trier (initialement sorti en 2014 avec une interdiction aux moins de 16 avec avertissement, sa classification a été revue à la hausse en 2016)
- Love de Gaspar Noé
- Little Gay Boy d’Antony Hickling
- Transgression de Jean-François Davy
- Salafistes de François Margolin et Lemine Ould M. Salem (film ayant provoqué une telle polémique autour de sa classification qu’il a été successivement interdit aux moins de 18 ans avec avertissement, interdit aux moins de 16 ans, tous publics, de nouveau provisoirement interdit aux moins de 16 ans et à présent interdit aux moins de 18 ans)
- Frig d’Antony Hickling
- Caniba de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor
Découvrez la bande annonce de Martyrs de Pascal Laugier