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    Chacun pour tous : "J’avais envie de faire un film sur la différence"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Rencontre avec le réalisateur Vianney Lebasque et le comédien Ahmed Sylla autour de "Chacun pour tous", film inspiré d'un incroyable fait divers dans le monde du sport, qui a fait scandale. Le film est aussi une comédie dramatique sur la différence.

    AlloCiné : Si Chacun pour tous n’était pas inspiré d'une histoire vraie, on pourrait presque croire que cette histoire n’est pas possible ! Comment avez-vous justement découvert ce scandale et avez-vous eu cette réaction aussi ?

    Vianney Lebasque, réalisateur : Au tout départ, c’est mon producteur, avec qui j’ai fait mon premier film (Les Petits princes en 2013) qui me parle de ce fait divers. Je trouve ça incroyable ; je n’en avais jamais entendu parler. Je me renseigne, j’essaye de trouver des images sur eux et je trouve ça dingue. Je me demande comment c’est possible.

    Il y a quelque chose qui m’interpelle au sein de ce fait divers : c’est le fait qu’il y ait à la fois des tricheurs, mais dans la même équipe, il y a aussi de vrais handicapés mentaux. Plutôt que de raconter complètement cette histoire folle, l’idée est de faire un film montrant ce qu’il se passe entre les tricheurs et les handicapés. Qu’apprennent-ils des uns des autres ? Comment tout ça évolue en passant trois semaines à Sydney ? C’est tout le off qui m’a semblé assez fou à croire. J’ai essayé d’imaginer ce que ça pouvait être, en ayant envie de raconter quelque chose sur le handicap à travers ça. (...) Les grandes lignes sont vraies, les grands faits, mais les personnages, ce qu’il se passe entre eux, c’est complètement fictionné, oui. Il y avait aussi l’envie de filmer un groupe.

    Il y a des événements comme ça qu’on ne pourrait pas imaginer

    Ahmed Sylla, comédien : Au départ, quand on a lu le scénario avec mon équipe, on n’avait pas cette information disant que c’était une histoire vraie. Quand on a eu le « c’est une histoire vraie », on était là : « mais non ! ». Il y a des événements comme ça qu’on ne pourrait pas imaginer. Et si, il y a quelqu’un qui a eu cette audace. Cette personne l’a fait au départ pour les bonnes raisons, puisqu’il s’agissait de sauver une fédération, pour garder les subventions, et parce que la fille du coach était aussi en situation de handicap. Après, faut-il être dans l’immoralité pour… La question est là ! En tout cas, ça nous a permis de faire un joli film. 

    SND

    On peut aussi prendre le film comme un film de personnes qui n’avaient rien à faire ensemble au début et qui vont devoir cohabiter…

    Vianney Lebasque : C’est exactement ça. J’avais envie de faire un film sur la différence, et plus particulièrement sur le handicap mental. Ils sont tous à peu près désoeuvrés, pour ne pas dire que ce sont des losers. Ils sont un peu perdus et pour de mauvaises raisons, ils s’embarquent dans une aventure comme ça. C’est une équipe de gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Le hasard fait qu’ils ont un but commun. Il va se passer quelque chose qui va un peu les transcender ensemble. Eux qui n’avaient rien à faire ensemble vont devenir une vraie équipe. Au fur et à mesure de l’histoire, les préjugés sur les différences entre eux, et il y a aussi d’autres personnages à l’intérieur, les préjugés et les différences s’effacent progressivement. Le but commun permet ça. Du coup, il y a un message par rapport à ce que l’on pourrait appeler le vivre-ensemble.

    Vianney Lebasque s’est attaché à montrer comment des mecs se retrouvent à faire une énorme connerie et comment ils vont tisser ces liens

    Ahmed Sylla : C’est une adaptation libre de cette histoire. Vianney Lebasque, le réalisateur, a réussi à y apporter sa touche, sa patte, sa vision. On a romancé un peu ce fait divers pour le rendre plus palpable pour le public. Oui, c’est une aventure humaine… Vianney s’est attaché à montrer comment des mecs se retrouvent à faire une énorme connerie et comment ils vont tisser ces liens. D’où le titre d’ailleurs, Chacun pour tous, c’est qu’on est au départ un peu dans notre petite bulle, on décide de faire cette bêtise pour les mauvaises raisons, et on va se retrouver tous ensemble pour ne plus se lâcher.

    SND

    Il y a aussi un dosage, une ligne, qui j’imagine n’était pas évidente à trouver. C’est un humour qui pourrait être "casse-gueule"…

    Vianney Lebasque : J’aime beaucoup la comédie dramatique. J’aime bien quand la comédie se nourrit du drame, et quand dans le drame, on arrive à y apporter de la légèreté. C’était la même démarche : comment faire un vrai divertissement, tout en étant le plus respectueux et sensible sur la question car il y a un vrai message que j’ai envie de donner avec ce film. Toutes les scènes, toutes les répliques, toutes les situations, on se prenait toujours la tête pour savoir si on rigole de quelque chose d’intelligent. Qu’est-ce qu’on raconte fondamentalement ? Ce personnage peut se permettre d’être stupide à ce moment car on le fait évoluer. C’était vraiment une obsession permanente pendant le tournage, dans mes échanges avec les comédiens et aussi au montage bien sûr.

    J’aime bien quand la comédie se nourrit du drame, et quand dans le drame, on arrive à y apporter de la légèreté

    Est-ce que vous saviez dès le départ que vous alliez mélanger l’équipe de comédiens, comme dans l’histoire vraie ?

    Vianney Lebasque : C’était la condition pour que je fasse le film, qu’on trouve vraiment deux comédiens en situation de handicap, pour jouer les personnages handicapés, parce que le film raconte ça : la rencontre entre des personnages valides, qui vont tricher aux jeux paralympiques, et découvrent le monde du handicap dans sa plus grande globalité, et qui vont partager leur vestiaire, leur chambre, avec deux vrais handicapés. Que se passe-t-il ?

    Si je voulais être assez juste par rapport à ce sujet, il fallait que ce soit joué par de vrais acteurs en situation de handicap. C’est aussi parce que j’ai été président du jury d’un festival qui s’appelle Entre deux marches, qui a lieu à Cannes. Il est spécialisé dans la fiction sur le handicap. Dans le jury, il n’y avait que des personnes handicapées et j’ai passé une semaine à discuter de cinéma et à vivre avec eux. Une des premières choses qu’ils m’ont dites, c’est qu’ils en avaient marre que des handicapés soient joués par des valides, car ce sont les seuls rôles qu’ils peuvent obtenir, et qu’il y avait de vrais comédiens qui sont handicapés. J’ai entendu ça et je voulais tellement respecter ce ressenti chez eux car c’était mon cœur de message de parler du handicap. C’était vraiment la condition pour que je fasse le film.

    C’était la condition pour que je fasse le film, qu’on trouve vraiment deux comédiens en situation de handicap

    Ahmed Sylla : On a eu la chance d’être un vrai groupe tout le temps, avec des acteurs connus ou inconnus, avec Vincent et Clément qui jouent les deux vrais déficients dans le film. Ca a été incroyable, vraiment. Ca nous a chargé d’un truc qu’on ne pourra pas nous enlever. On est resté en contact après le film. Parce que dans l’histoire vraie aussi, il y avait deux vrais déficients dans l’équipe, donc on a gardé ce passage.

    Vincent et Clément sont deux comédiens dans la vie, ils sont dans des troupes de théâtre. Ils ont apporté au film une espèce de douceur, d’authenticité hyper naturelle, simple… Ce qui est beau à voir, c’est leur réaction quand ils ont vu le film pour la première fois. Ca a été un bonheur vraiment incroyable. Vianney a vraiment réussi à créer un esprit d’équipe qu’on ressent jusqu’à la fin du film. 

    Concorde Filmverleih GmbH

    Il y a quelques temps, un autre film, espagnol, Champions, est sorti sur le même sujet : l’avez-vous vu, et est-ce que cela a eu une incidence sur le projet ?

    Vianney Lebasque : Il y a deux choses. Notre film était écrit et était en financement, et j’ai commencé à appeler le film Les grands esprits. Aucun film n’avait jamais existé avec ce titre, et 3 semaines après, on découvre qu’en septembre, il y a un film qui sort avec ce titre, avec Denis Podalydès ! Ca, c’était la première chose.

    Après, le fait divers avait 17 ans à ce moment-là, et il n’y avait jamais eu aucun film dessus, et on apprend qu’un film se fait en Espagne à partir de ce fait divers. On était déjà en préparation à ce moment-là. Mon producteur a eu accès au scénario ; moi, je ne l’ai pas lu. Il l’a lu et m’a dit que ça n’avait rien à voir. Comme je ne voulais absolument pas être influencé.

    Le pitch de l’autre film est très différent car je crois que le réalisateur de l’autre film voulait le faire pour redorer un petit peu l’image de certaines choses par rapport au monde du handicap. J’ai cru comprendre ça. Nous sommes plus proches du fait divers, je crois. Je n’ai pas vu le film. J’ai préféré ne pas le voir, même si dans la bande-annonce, il y a des choses qui m’ont fait rire.

    EuropaCorp Distribution

    Cela fait deux fois que vous faites un film sur le milieu du sport. C’est une passion ?

    Vianney Lebasque : Dans mon premier film [Les Petits princes], il y avait quelque chose d’assez autobiographique. Je jouais au foot quand j’étais jeune, comme beaucoup d’autres. J’étais assez proche de ce milieu quand j’avais 15-16 ans. J’en ai parlé dans mon premier film. Là, je n’avais pas envie de refaire un film sur le sport, mais quand j’ai vu ce fait divers qui me semblait vraiment incroyable. J’avais envie de faire un film sur le handicap mental. C’est vraiment ça qui m’a intéressé, et j’aime bien le style de film choral, dans lequel il y a beaucoup de personnages. Je retrouvais un peu tout ce que j’aimais bien.

    Mais filmer le sport n’est pas la raison qui me fait faire un film en tout cas, parce que c’est très difficile, c’est beaucoup de contraintes, beaucoup de travail. Mais l’univers je le connais car j’en ai fait beaucoup quand j’étais plus jeune. Je me sens assez naturellement capable d’en parler.

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