Au Poste ! est votre premier film tourné en France. Pourquoi ce retour dans votre pays ?
Quentin Dupieux : Un jour j’ai écrit un film en pensant à un duo français et j’avais très envie du langage, du dialogue français. C’est très naturel, il n’y a pas de stratégie. J’ai vécu à Los Angeles où j’ai fait 4 petits films hybrides avec des comédiens français et américains. D’ailleurs, le dernier, Réalité, était une transition, comme un retour à la langue française avec Alain Chabat. C’est le cours naturel des choses. J’ai un peu fait le tour de cette formule, avec un type de budget et une façon d’écrire.
Connaissiez-vous bien le travail de Quentin avant de travailler avec lui ?
Grégoire Ludig : De manière très honnête, non, pas très bien. Je le lui ai dit d’ailleurs. Mais j’ai découvert avec Quentin un cinéma qui va très vite, qui va droit au but, qui paraît absurde mais où tout est très travaillé et précis. On considère Quentin comme un as de l’absurde mais c’est surtout un mec qui connaît très bien la réalité et sait comment la détourner.
Comment décririez-vous Au Poste ! ?
Ludig : C’est un moment qui est tellement banal qu’il en devient drôle. C’est pousser la banalité, le quotidien à son maximum, au point qu’il en devient marrant. Mettre l’accent sur une personne qui raconte ses alibis, et sur le mec en face, … C’est pousser la banalité à l’extrême qui rend le film Au Poste ! drôle et original je trouve.
Il s'agit de ce qu'on pourrait appeler une comédie de l'entre-deux, sur l'ennui et la laideur de la France de la fin des années 70. On est loin des grands espaces ensoleillés de Rubber ou Wrong. On s'attend à voir Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig dans un registre plus extravagant.
Dupieux : C’est le script qui a décidé de tout ça. On a essayé plein de choses en répétant, je ne suis pas fermé sur le plateau, surtout avec des comédiens comme eux. Il faut surprendre, réécrire le film, leur laisser parfois beaucoup de liberté. Le film a exigé que le ton soit celui-ci. C’est aussi simple que ça. On a essayé des trucs et on s’est rendu compte de ce qui fonctionnait. C’est comme de la musique : il y a une partition, tout le monde s’y adapte avec son talent et son savoir-faire mais c’est elle qui est la plus importante.
Je trouve Benoît magnifique dans ce film. Effectivement, on l’a rarement vu de cette façon. Il a l’habitude d’être à bloc ou complètement taciturne quand on le fait jouer des mecs dépressifs. Il a une palette folle et passionnante. J’ai l’impression que ce Benoît-là est un peu nouveau. Je suis très content mais c’est un choix, une direction qu’on a prise tous les deux ensemble. C’est le résultat d’un travail.
Ludig : Ce qui est drôle, c’est de jouer la normalité. Et de dire "je suis désolé, j’ai la dalle, j’ai faim, j’ai rien fait, j’ai cassé un pot de fleur, c’est intéressant ?". Je pense que Quentin a souhaité prendre un moment du quotidien, que je ne souhaite à personne -un interrogatoire de police, d’être suspecté d’avoir buté quelqu’un-, un postulat réel, et l’amener vers l’absurde.
Y-a-t-il eu une grande part laissée à l'improvisation ? Avez-vous participé à la réécriture de certains dialogues ?
Ludig : Il y en a eu très peu, tout était super écrit, tout était déjà si bien ficelé que ça ne servait à rien de rajouter quelque chose. Le rythme et l’intensité étaient déjà dans le scénario. Il fallait le respecter. Quand on s’octroyait un peu de liberté avec Benoît, Marc, Anaïs, on nous rappelait à l'ordre à chaque fois "non, non, il y a un texte".
Le film repose en effet beaucoup sur les dialogues, le langage est central. Il y a un plaisir particulier à soigner des dialogues en français ?
Dupieux : Je ne veux pas avoir l’air d’un abruti mais je me pose très peu de questions quand j’écris, je fais confiance à mon instinct. Après, il y a une phase de "vrai" travail solide, de construction. Une fois le dialogue verrouillé, j’ai adapté le texte aux comédiens choisis. Quand on a Benoît Poelvoorde, c’est intéressant de réenvisager les dialogues en pensant à sa voix, sa diction, … Mais pour les intentions et ce que contient le film, ce n’est que de l’instinct. Je trouve l’inspiration quand je suis libre de ne pas réfléchir. Ça a l’air très sérieux mais en fait c’est très ludique. Je suis proche de l’enfant qui fait un dessin.
Grégoire, comment avez-vous appréhendé votre rôle ?
Ludig : C’est Monsieur-Tout-le-Monde qui se retrouve empêtré dans une affaire qui n’est pas la sienne. Il va se défendre puisqu’il est accusé d’avoir tué un mec. Et ça dure des plombes, "j’ai juste envie de rentrer, et j’ai la dalle". Il est spectateur de tout cette folie qui va entourer ce commissariat. Au-delà du Français moyen, c’est l’œil du spectateur. On l’accompagne, on se compare à lui si on était dans son cas de figure. Je l’ai appréhendé assez simplement car justement il faut jouer la simplicité, le quotidien, le premier degré. C’était assez simple car Quentin sait ce qu’il veut.
J’invite tous les gamins à découvrir "Le Magnifique" car c’est un film drôle et magique. (Quentin Dupieux)
Et comment est né le look du personnage, notamment sa moustache ?
Ludig : Je l’adore, d’abord c’est la mienne, c’est une vraie moustache. C’est vrai que ça fait un peu bande Velcro, on a envie de tirer dessus. C’est une idée de Quentin. On cherchait le personnage physiquement. On était parti sur cheveux longs et grosse barbe. Donc je m’étais laissé pousser les cheveux et la barbe comme jamais et finalement il voulait faire des essais sans barbe. Mais une fois rasé, ça n’allait pas car ça le rendait trop lisse. Puis il m’appelle : "J’ai trouvé, on va te transformer en Magnum, avec une big moustache, quarantenaire un peu ringos, chemise hawaïenne, sympa mais sans savoir qui il est vraiment". Je trouve que la moustache le rend sympathique.
Ce retour en France marque aussi un retour vers le cinéma français de la fin des années 70 et du début des années 80. On pense autant à Garde à vue pour le huis-clos qu'à des comédies comme La Chèvre portées par des duos comiques.
Dupieux : C’est inconscient, je m’en rends compte après coup. Effectivement, ce film contient toutes mes références d’enfant du cinéma français du dimanche soir. On parle beaucoup du Magnifique et il y a une vraie référence constante mais je ne m’en étais pas aperçu. Je pensais à Garde à vue mais ce n’était pas un film de mon enfance mais plutôt de cinéphile. Le Père Noël est une ordure est aussi très présent, la pièce de théâtre avec des comédiens outrés par moment, … On peut en citer beaucoup. La Chèvre, pourquoi pas, je n’y avais pas pensé mais c’est un film de duo, tout à fait. Je pense que ça allait avec ce retour en France, une envie de film traditionnel français. J’adorerais que Au Poste ! devienne un nouveau film du dimanche soir même si je ne sais pas si ça existe encore...je ne crois pas , de toute façon on est sur internet, tout le monde s’en fout (rires). Il y a De Funès aussi qui est là d’une façon, Poelvoorde m’a fait penser à lui par moments, ce qui est très bon signe.
Tous ces films sont des références inconscientes, des films qu’on a vus et revus, et qui sont importants. Je le dis partout, je ne veux pas que ça ait l’air d’une formule mais Le Père Noël est une ordure est plus important pour moi que le dernier Christopher Nolan. Je vois les talents du cinéaste, que ça coûte cher, qu’ils ont mis un temps monstre à filmer ça, que c’est maîtrisé mais je trouve que Le Père Noël... est un film plus important de mon point de vue de petit Français avec ma lecture des choses. C’est un film qui me fait plus de bien que Christopher Nolan, que je respecte tout à fait. Un film comme Le Magnifique, j’invite tous les gamins à découvrir ce film car c’est un film drôle et magique. L’association de la comédie avec la magie du cinéma se perd.
On retrouve cet hommage au cinéma français et à Belmondo jusque dans l'affiche. Vous aviez votre mot à dire sur ce visuel ?
Dupieux : Je suis le seul responsable de cette affiche. Je me suis rendu compte en fin de post-production de la référence inconsciente de Peur sur la ville, pour plein de petits détails invisibles pour le spectateur. Mais néanmoins, ça a été une référence pour les costumes, … Les deux films n’ont rien à voir mais dans les codes du cinéma policier, il y a une ressemblance lointaine. On n’a même pas essayé de faire plusieurs tentatives d’affiches. On a tout de suite foncé dans cette référence et cet hommage à ce cinéma René Chateau qui est sublime. Je ne veux pas dire parodie, on est tout à fait dans l’hommage à cette belle époque flamboyante française où un acteur pouvait s’accrocher à un hélicoptère, avec une belle image et des bons dialogues. Ça me fait encore rêver ce cinéma.
Une autre référence qui saute aux yeux quand on découvre Au Poste !, c'est Buñuel et Le Charme discret de la bourgeoisie.
Dupieux : Ce sont des films très différents de mes films de jeunesse, je les ai découverts très tard. Ce sont des références plus conscientes. Buñuel et Blier sont des mecs qui m’ont marqué, que j’admire beaucoup parce qu’ils ont du style. Si je vous mets 3 minutes d’un film de Blier des années 80-90, c’est difficile de ne pas reconnaître que c’est du Bertrand Blier. C’est assez inouï. C’est un truc assez unique. Idem pour Buñuel, du moins sa filmographie française que je connais mieux. C’est un genre à lui tout seul. L’écriture, la mise en scène, la gestion des comédiens, … il y a un style très fort et marqué, des idées hilarantes, poétiques, … Ce que je retiens de ces deux cinéastes majeurs, c’est cette forte personnalité qui se dégage de leurs films, peu importe qu’ils soient réussis ou non. Même dans un mauvais Blier, le talent est tel que c’est formidable.
Grégoire, vous aviez déjà croisé Poelvoorde sur Les Émotifs Anonymes. Quel partenaire de jeu est-il ?
Ludig : J’ai en effet eu la chance de lui donner un peu la réplique dans Les Émotifs Anonymes. À ma grande surprise, quand on s’est retrouvé la première fois pour Au Poste !, il se rappelait de moi. J’étais fier, c’est Benoît Poelvoorde quand même. Tout de suite il y a eu une sorte de confiance, il s’est mis au même rang que moi. On était vraiment d’égal à égal pour le jeu. Il fallait trouver un rythme, une écoute et je pense qu’aucun des personnages ne va sans l’autre.
Après le Palmashow, vous êtes habitué à travailler en duo...
Ludig : Avec David [Marsais], on se connaît depuis très longtemps, on déconne tout le temps, on aime bien se renvoyer la balle, on connaît les rouages de notre dynamique. Avec Benoît, c’était un peu la même chose. On voulait que l’autre soit bien, on voulait bien le servir, laisser les temps qu’il faut pour que les réactions soient bonnes. L’avantage, c’est que Quentin nous laissait jouer. Comme on faisait des plans-séquences, il fallait qu’on soit tout le temps bon. C’était très intense mais très agréable.
Quentin, votre prochain film, Le Daim avec Jean Dujardin et Adèle Haenel, est aussi un long métrage français. Vous comptez rester ici ? Est-ce une nouvelle direction dans votre filmographie ?
Dupieux : En France, je suis cohérent, je comprends le pays, ma place dans ce cinéma même si c’est une toute petite place mais elle est chouette, et surtout je comprends les gens avec qui je travaille. Ce n’est pas tant le choix du pays ou de la langue mais quand je me retrouve avec Jean Dujardin sur Le Daim, la compréhension est telle que je serais bête de me farcir Benicio Del Toro par exemple avec qui il y a du chemin pour se faire comprendre. Je ne parle pas que de la barrière de la langue qui est déjà monstrueuse, même quand on parle bien. Mais aussi toutes les références culturelles, … Je suis très à l’aise avec tous les comédiens de Au Poste ! avec lesquels j’ai une communication fluide et limpide. C’est plus cette connexion culturelle avec des gens que j’admire qui me fera rester ici.