En 2016, l'écossais Ewan McGregor faisait ses premiers pas derrière la caméra en adaptant l'un des romans les plus emblématiques de l'oeuvre de l'auteur américain Philip Roth auréolé du Prix Pulitzer de la Fiction : American Pastoral. Une histoire se déroulant dans l’Amérique des années 60, consacrée à un ancien champion de sport de son lycée devenu un riche homme d’affaires ; et aux bouleversements sociopolitiques de l’époque qui font bientôt irruption dans sa vie bourgeoise, en apparence idyllique, lorsque sa fille adorée disparaît après avoir été accusée d’acte terroriste. Considéré comme l'un des meilleurs romans de l'Histoire selon plusieurs classements littéraires, l'adaptation a mis près d'une dizaine d'années à se faire, avec différentes incarnations. Mais le résultat est loin de faire l'unanimité, aux Etats-Unis comme en France. Les Cahiers du Cinéma notamment, écrivent à sa sortie : "McGregor montre non seulement qu’il n’a rien compris au roman, mais dévoile aussi le fond réactionnaire de sa lecture."
La réalité, c'est qu'aucune des adaptations réalisées au fil des années n'a trouvé grâce aux yeux des critiques, ni à ceux du public et encore moins à ceux de Philip Roth lui-même, qui se déclare "loin du monde des films". Il précise sa pensée : "Je ne fais que regarder si les gens sont présentables, s'ils ont de bonnes manières, s'ils sont bien habillés. Je n'ai aucune autre attente." Pas question pour lui d'écrire un scénario inédit ou d'adapter l'une des oeuvres, pas question non plus de commenter le travail des autres. Sur Elegy (Lovers en VF), sorti en 2009 dans l'indifférence générale, adapté de son roman La Bête qui meurt, il se contentera de dire que Penelope Cruz, qui y tient le rôle de l'un des deux amants, est "très bonne, c'est ce que pense". Il qualifie La Couleur du Mensonge, adapté en 2003 avec Nicole Kidman et Anthony Hopkins, d'"intolérable". Il utilise ce même qualitif au sujet de Portnoy et son complexe, un navet notoire datant de 1972. Quant à Goodbye Columbus, son premier roman à avoir été adapté en 1969, il le déteste un peu moins que les autres semble-t-il, et indique que l'actrice principale Ali McGraw, qui n'a jamais fait carrière, était "une merveilleuse jeune comédienne".
D'autres adaptations passent inaperçues, comme la récente Indignation, sortie directement en DVD chez nous, dans laquelle Marcus (Logan Lerman) quitte son New Jersey natal pour aller étudier dans une université conservatrice de l'Ohio où il fait face à la répression sexuelle et l'antisémitisme, un sujet récurrent dans son oeuvre; ou encore En toute humilité, mis en scène par Barry Levinson, avec Al Pacino et Greta Gerwig, sur la relation amoureuse entre un célèbre comédien et l'une de ses admiratrices, bien plus jeune que lui, qui épuise sa santé et ses finances…
Alors pourquoi ça ne marche jamais ? Certains avancent que ceux qui l'adaptent, par respect et admiration sans doute, n'osent pas s'éloigner des oeuvres d'origine et en y restant trop fidèles ne parviennent pas à en faire des films consistants. La narration dans les livres de Roth est toujours très éclatée; elle prend différentes formes, elle mue en chemin, et elle est difficilement, pour ne pas dire impossiblement, reproduisible. Aussi parce que les thèmes chers à Roth -les antihéros narcissiques, préoccupés par leur désir sexuel, par la compétition intellectuel ou leur corps qui vieillit- ne sont pas des sujets très cinématographiques, à l'image des longs monologues, certes épiques, qui traversent ses romans. Sans doute aussi parce que le ton qu'il emploie, d'une honnêteté désarmante, très riche et piquant, souvent outrageant, rempli d'excès, ne sied pas à un Hollywood qui se veut plus sage, plus rassembleur, bien moins radical. D'autres auteurs plus jeunes que Roth, comme Jonathan Franzen, souvent décrit comme un Philip Roth nouvelle génération, ont bien du mal aussi à être adaptés. Il est des oeuvres et des auteurs dont les écrits ne devraient rester gravés que sur le papier.