AlloCiné : Comment est né ce film ?
Sergio G. Sánchez : C'est une longue histoire. J'ai travaillé comme scénariste pendant la majeure partie de ma carrière, mais j'ai toujours voulu réaliser des films. Le premier scénario que j'ai écrit était celui de L'Orphelinat et j'avais fait un court métrage, 7337, qui était allé dans beaucoup de festivals, mais c'était le seul donc ce n'était pas assez pour pouvoir réaliser L'Orphelinat. Au cours de l'un des festivals où je présentais mon court, j'ai rencontré Juan Antonio Bayona, qui travaillait avec la société de production de Guillermo del Toro et ils cherchaient un film à réaliser. Je lui ai dit que j'avais un scénario, mais que je tenais vraiment à le réaliser, donc il m'a demandé s'ils pouvaient le lire et si ça leur plaisait, ils me demanderaient d'écrire un autre scénario. Ils l'ont adoré et ils m'ont dit : "Non, c'est ça qu'on veut faire." Puisque je galérais, que je cumulais les petits boulots pour pouvoir réaliser mes courts métrages, j'ai accepté, mais je ne m'attendais pas à ce que le film ait un tel succès et à ce que je me retrouve, du coup, avec l'étiquette de scénariste. J'ai donc écrit d'autre film, mais pour celui-ci, Le Secret des Marrowbone, il était hors de question que quelqu'un d'autre le réalise.
C'est un film qui semble très personnel. D'où vient cette histoire ?
Je crois que tous les films que j'ai écrits sont sur quelqu'un qui essaie de revenir vers un foyer ou de construire un foyer qui n'existe pas vraiment. Dans ce film, cette thématique est poussée à l'extrême. Ces enfants cherchent un foyer au sens physique, une maison où ils peuvent vivre, être protégés. La maison est comme une forteresse. Et au sein de cette forteresse, il y a un autre élément, qui est le journal de Jack, où il décrit la vie qu'il voudrait avoir. Il s'agit de créer un monde imaginaire, où on peut préserver tout ce qu'on aime. C'est le sujet du film et pour moi, c'est aussi une métaphore du cinéma. Ce n'est pas à proprement parler une histoire de fantômes, c'est un thème présent dans le film. Pour moi, rien n'est plus semblable à un fantôme qu'un film : c'est fait de son et de lumière, ce n'est pas tangible, ce n'est pas réel, mais ça peut vous apporter un message d'ailleurs, vous toucher et vous émouvoir.
C'est aussi un film sur le deuil. C'était aussi le cas de L'Orphelinat. Pourquoi ce sujet vous intéresse-t-il autant ?
Parce que j'ai traversé des choses difficiles. Lorsque j'étais enfant, j'ai passé beaucoup de temps à l'hôpital et j'étais persuadé que je mourrais avant de devenir un adulte. Plus tard, j'ai dû affronter des deuils terribles, dans ma famille très proche. Quand on grandit, on est supposé être exposé à la mort de manière progressive, il y un ordre naturel, on perd ses grands-parents, puis ses parents. Quand on perd quelqu'un en dehors de cet ordre naturel, lorsqu'il enfant meurt, par exemple, c'est extrêmement perturbant. Si j'avais eu une vie différente, je serais certainement intéressé par d'autres thèmes. Il y a des choses très personnelles dans le film. J'imagine que si je vous disais exactement quoi, j'aurais l'air de m'épancher et je préfère que cela reste privé, mais oui, le deuil est un thème qui m'est cher.
Pourquoi avoir tenu à situer cette histoire dans le passé ?
Je pense que cette histoire avait besoin d'un sentiment d'innocence qui se serait perdu si on l'avait située aujourd'hui. Je ne voulais pas de portables, de Facebook, ça serait devenu un film que vous auriez déjà vu. Je trouve que le passé a une dimension atemporelle, qui ramène l'attention où elle doit être. Ca se passe dans les Rocheuses, à la fin des années 1960, mais ce n'est pas très important, finalement. Ce qui compte, ce sont ces enfants, complètement isolés du monde. D'ailleurs, au début du film, on n'a pas cette information et je voulais qu'à chaque instant, on remette en question tout ce qu'on a vu avant. J'aime définir le film comme un puzzle, j'aime aussi l'image des poupées russes. C'est une histoire qui en comporte une autre à l'intérieur, et ainsi de suite et le personnage principal, ce n'est ni Jack, Jane ou Billy, c'est la famille.
Vous le dites vous-même, avant d'être un film d'horreur, c'est un drame. Alors, pourquoi avoir voulu en faire un film de genre ?
Le thème impose une rébellion contre la réalité, j'avais donc besoin que ce soit un film fantastique. Dès le début, ces enfants vivent dans un monde fantasmé, ils inventent cette histoire de sorcière lorsqu'ils rencontrent Allie. Et plus le film avance, plus ça devient sombre, et le fantastique se transforme en horreur.
Juan Antonio Bayona a produit le film, comment ça s'est passé avec lui ?
On se connaît très bien, on travaille ensemble depuis longtemps maintenant, ce qu'il a fait sur le film, c'est un peu ce que Guillermo del Toro a fait avec L'Orphelinat : "Je te donne mon nom, afin que tu sois totalement libre. Si quelqu'un emet des doutes sur quoi que ce soit, tu auras mon soutien." C'était comme une figure protectrice.
Anya Taylor-Joy, qui joue Allie, est l'une des grosses révélations de cette dernière année, avec Split, The Witch...
Vous n'avez encore rien vu ! Elle est extraordinaire, et n'a pas encore montré le dixième de son potentiel. C'est quelqu'un de très intelligent, de très solaire, et c'est une actrice incroyable. Elle va devenir une très grande comédienne.
Quels sont les réalisateurs que vous admirez plus que tout ?
Si je devais nommer une personne, ce serait Steven Spielberg. J'ai grandi avec ses films et je pense qu'il a évolué en tant que réalisateur au même rythme que moi en tant que personne. Ses premiers projets s'adressaient beaucoup à un public enfantin, puis de moins en moins. J'avais 13 ans quand La Couleur pourpre est sorti, 19 ans pour La Liste de Schindler, j'avais l'impression d'effectuer une progression similaire. Il est intimement lié à mon amour du cinéma.
La référence à Spielberg fait sens, car il est vraiment le cinéaste de l'émotion, et Le Secret des Marrowbone est vraiment un film très émouvant. Des influences particulières pour ce film ?
Pour Le Secret des Marrowbone, je pourrais citer trois influences. D'abord, deux films : Chaque soir à neuf heures, de Jack Clayton, j'ai vu ce film quand j'avais 5 ans et c'était comme si ma tête explosait, c'était terrifiant, et L'Autre, de Robert Mulligan, qui parvient à raconter une histoire horrifique dans l'environnement le plus idyllique qui soit, lumineux, solaire. J'avais envie de faire quelque chose comme ça. D'un point de vue littéraire, pour finir, j'ai été influencé par le travail de Shirley Jackson, en particulier par We Have Always Lived in the Castle. J'aime la manière dont elle utilise des narrateurs dont la crédibilité est compromise et la façon dont l'horreur, dans ses romans, on voit les conséquences des peurs sans en connaître la source. J'aime quand l'horreur vous éclate au visage seulement quand vous avez toutes les pièces du puzzle.
Le cinéma de genre espagnol a beaucoup de succès à l'international, en France notamment, à quoi cela tient selon vous ?
Je pense que justement, ça a à voir avec cet élément de l'émotion qui est très présent dans les films d'horreur espagnols, si l'on excepte des films comme [REC] qui sont plutôt de l'horreur-action. Ou peut-être que c'est juste parce que vous avez bon goût ! (Rires)
(Re)découvrez la bande-annonce du Secret des Marrowbone, en salle dès aujourd'hui :