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    Le Chemin : entretien avec Randal Douc, à la fois prof de maths et comédien

    Comme un véritable superhéros, Randal Douc a deux fonctions : professeur de maths au quotidien, il est aussi comédien sur grand écran. Dans "Le Chemin" de Jeanne Labrune, il joue l'un des premiers rôles face à Agathe Bonitzer.

    Gauthier Jurgensen

    AlloCiné : Quel est votre métier, exactement ?

    Randal Douc : J’ai suivi le parcours scientifique classique. Prépa, Polytechnique et enfin Télécom Paris Tech, pour enseigner. C’est parallèlement à mon travail sur ma thèse en math que je découvre le théâtre. J’ai pris des cours d’art dramatique à l’école de Chaillot qui n’existe plus aujourd’hui. J’y ai découvert une vraie passion, d’abord pour le jeu, puis pour l’écriture. C’est aussi à ce moment dans ma vie que je suis devenu vraiment sensible au Cambodge, dont je m’étais détourné en grandissant en France. J’ai été bouleversé en découvrant La Déchirure de Roland Joffé. C’est là que j’ai découvert que ce qui s’était passé au Cambodge me touchait particulièrement. A cette époque, ma vie était encore organisée autour des mathématiques, la journée et du théâtre, le soir. Après mes trois ans de thèse, j’ai dû trouver un poste. J’ai commencé en tant que chargé de cours à Polytechnique. Côté théâtre, je me suis mis à écrire, surtout sur le Cambodge. Ma formation de comédien ne m’a jamais permis de gagner ma vie, bien que je sois rémunéré quand je joue dans des films. Mais ça n’a jamais suffi à subvenir à mes besoins quotidiens, même si je suis toujours au contact de professionnels, notamment à travers mon travail d’écriture. Depuis 2008, je suis professeur et chercheur de mathématiques à Télécom SudParis.

    Comment vous êtes-vous un jour retrouvé sur un plateau de cinéma ?

    R.D. : En rencontrant Rithy Panh. Je ne sais plus très bien quand je l’ai rencontré pour la première fois, mais je me souviens avoir sympathisé avec lui en me rendant à une avant-première de son film S21, la machine de mort Khmere Rouge en 2003. J’écrivais des textes liés au Cambodge et lui faisait pareil avec ses films. En 2006, j’ai monté une de mes pièces, Les Hommes Desertés, au Cambodge. Rithy Panh est venu la voir. L’année suivante, alors qu’il préparait Un barrage contre le Pacifique, il m’a proposé de passer des essais pour le rôle de M. Jo. Après quoi, il m’a dit : "Si tu veux le rôle, tu l’as". Pourtant, à l’origine, il cherchait plutôt un comédien chinois.

    Vous avez donc commencé dans le métier avec un rôle conséquent, face à Isabelle Huppert et Gaspard Ulliel, les deux derniers comédiens à avoir reçu un César ?

    R.D. : Isabelle Huppert m’a mis en confiance. Je savais mon texte, mais si jamais j’avais un problème, elle se montrait d’une grande patience, tout comme Rithy Panh. L’équipe m’a bien accueilli. Mais la chance était trop belle ! Moi qui adore Marguerite Duras, je travaillais un de ses textes avec Rithy Panh et Isabelle Huppert. Je me souviens quand même que la première fois que j’ai répété une scène avec elle, alors que nous marchions le long d’une plage, je devais me tourner vers elle et lui poser une question. Je la regarde et, d’un coup, toute sa filmographie m’est revenue : La Dentellière, La Porte du Paradis, La Cérémonie… Et mon texte, que j’apprenais depuis un mois, est parti dans les nuages. (Rires)

    Vous vous sentiez comme un poisson hors de l’eau ?

    R.D. : Complètement, car je ne connaissais rien de l’univers d’un plateau de cinéma et je ne savais pas qui s’occupait de quoi. Mais j’ai beaucoup interagi avec toute l’équipe franco-cambodgienne qui se découvrait aussi beaucoup. Donc je n’étais pas le seul débutant.

    Hollywood, quand on le regarde de loin, on est forcément un peu cynique. Mais quand on le vit de l’intérieur, tout est très excitant !

    Vous avez ensuite continué à travailler avec Rithy Panh pour deux de ses documentaires, afin d’en assurer la voix-off. L’image manquante est même nommé à l’Oscar du Meilleur film étranger. Vous vous retrouvez donc à Hollywood, sur le tapis rouge du Dolby Theater !

    R.D. : Rithy Panh voulait que je participe à la maquette de son film, à l’origine. Il voulait la voix de quelqu’un qui ait dix ans de plus que moi pour le résultat définitif. J’ai enregistré sans même voir les images du film. C’était vraiment "l’image manquante" ! Je n’ai travaillé qu’avec le texte. C’est la monteuse Marie-Christine Rougerie qui a dû m’expliquer à l’oral ce qu’il y aurait à l’écran. Ça m’a poussé à travailler une sorte de voix intérieure qui fonctionne bien à l’écran. La première bonne surprise, ça a été le prix Un Certain Regard à Cannes. L’année d’après, il y a eu la nomination aux Oscars et, trois ans plus tard, la nomination aux César. Hollywood, quand on le regarde de loin, on est forcément un peu cynique. Mais quand on le vit de l’intérieur, tout est très excitant ! Au petit-déjeuner des nommés dans la catégorie Meilleur Film Etranger, il y avait du champagne ! (Rires) Bien sûr, on est très loin de l’ambiance du film. Mais les échanges étaient passionnants. On sent, dans le discours des représentants hollywoodiens, une vraie bienveillance et un grand intérêt pour les autres cinématographies mondiales. Je me souviens que le soir des Oscars, le taxi qui devait m’emmener au Dolby Theater avec ma femme refusait de croire que nous étions véritablement invités. On a eu un mal fou à lui faire comprendre qu’on était vraiment officiellement conviés et qu’on le laisserait passer aux contrôles. (Rires)

    Vous vous êtes aussi essayé au monde de la série en jouant dans un épisode d’Affaires Etrangères. C’est différent du monde du cinéma ?

    R.D. : Très. Le travail est beaucoup plus rapide parce qu’on fait moins de prises. Mais ça demande forcément d’être plus efficace. Dans les séries, on tourne fréquemment à plusieurs caméras afin de faire des champs-contrechamps en temps réel. Donc on ne joue pas pour la caméra. Mais ce n’était qu’une expérience très courte. Je n’ai eu que deux jours de tournage, mais on a tourné un nombre de scènes hallucinant. Au format film, ça aurait mérité une semaine ou deux de tournage. Mais dans le monde de la série, ça va beaucoup plus vite.

    Epicentre Films

    Avec Le Chemin, qui sort le 6 septembre 2017, vous tournez pour la première fois dans un film qui n’est pas de Rithy Panh. Est-ce très différent d’être dirigé par quelqu’un comme Jeanne Labrune ?

    R.D. : Rithy Panh est beaucoup plus exigeant quand il s’agit de me faire parler cambodgien, forcément. (Rires) Mais ça tombe bien : mon personnage de Sambath a passé trente ans en France. Donc il se prête mieux à mes petits défauts de prononciation. Jeanne Labrune et Rithy Panh correspondent bien à ma dualité : la France d’un côté et le Cambodge de l’autre. Jeanne me ramène à ma culture française, mais Rithy – malgré sa très grande culture – veut me parler de nos racines.

    Vous vous sentiez plus aguerri à l’exercice sur le tournage du Chemin ?

    R.D. : Oui, le cinéma est un travail d’habitude. Il faut garder une certaine fraicheur face à son texte, évidemment. L’habitude, au cinéma, permet d’accepter d’être dans une proximité que ne procure pas le théâtre. Au théâtre, il y a une grande distance physique.

    Pourquoi Jeanne Labrune vous a-t-elle choisi vous plutôt qu’un autre pour le rôle de Sambath ?

    R.D. : La productrice du film, Catherine Dussart, lui a parlé de moi. On s’est ensuite rencontrés dans un café et nous avons beaucoup parlé. Elle a décidé de me confier le rôle qu’elle a même remanié un peu pour qu’il me convienne mieux. Le personnage état japonais, à la base. Il est devenu cambodgien. Jeanne Labrune n’était pas encore allée au Cambodge quand je l’ai rencontrée. Quand elle en est revenue, elle s’était imprégnée d’un certain nombre de choses. Notamment les esprits, qui sont au centre du film. Le Cambodge est bouddhiste. Ce sont des gens qui croient que tout est habité. Quand on va dans un temple, le guide veut qu’on parte vers 17h parce que les esprits vont sortir. Elle l’a très bien compris alors que moi-même, à force de faire des allers retours entre le Cambodge et la France, j’ai tendance à l’oublier.

    Avez-vous développé une certaine technique pour travailler vos rôles ?

    R.D. : Je donne des cours de théâtre dans un atelier d’amateurs, donc j’aborde toujours mes rôles à la manière du théâtre. Mais j’aimerais beaucoup qu’on me confie des rôles plus physiques, à l’avenir. Je suis très cérébral dans le quotidien, mais j’aimerais explorer les capacités de mon corps. De toute façon, les propositions ne pleuvent pas ! Mais mon envie actuelle me guide vers ça.

    J’adore les maths, pourtant. D’ailleurs, je pense que c’est une passion qui ne vous quitte jamais vraiment.

    Envisagez-vous une reconversion totale vers le métier d’acteur en délaissant les mathématiques ?

    R.D. : Oui ! J’adore les maths, pourtant. D’ailleurs, je pense que c’est une passion qui ne vous quitte jamais vraiment. Mais après vingt ans de pratique, j’aimerais explorer d’autres choses. Si un jour j’ai suffisamment de propositions pour vivre du théâtre et du cinéma, je le ferai.

    Vous élèves vous savent comédien ?

    R.D. : Ils le savent tous. (Rires) Mais ça ne me dérange pas et ça ne gêne pas du tout nos relations. Ils me disent surtout que c’est super d’avoir un prof qui est aussi comédien. Et ça m’aide beaucoup pour leur faire cours aussi. Le contact est meilleur. Souvent, un matheux, on le met dans une case parce qu’on se dit qu’il va être chiant. Le cinéma et le théâtre aident à ce qu’ils ne me jugent pas trop vite. Nos rapports sont plus sains.

    Quels sont vos projets actuels, côté cinéma, séries et théâtre ?

    R.D. : Je reviens à l’écriture, mais côté cinéma, cette fois. J’ai déjà écrit une tétralogie théâtrale autour des quatre éléments : Les Hommes Désertés pour la terre, Rouge de la guerre pour l’eau, Nul endroit du monde pour le feu et Khyol, qui veut dire le vent en cambodgien. Je ne voulais pas que ça s’arrête là et je voulais faire une cinquième œuvre, pour un cinquième élément ! Le nom est déjà pris, malheureusement. (Rires) Mais pour moi, le cinquième élément serait à la fois le vide entre ces quatre éléments, mais aussi le point central qui leur permet d’exister. Souvent, c’est parce que quelque chose manque que les éléments se regroupent. C’est quelque chose qui m’obsède, ce vide en tant que point central. J’avais d’abord en tête d’en faire une pièce de théâtre regroupant les quatre éléments, mais finalement je me suis dit que ça serait plus intéressant d’en faire un scénario autour d’une pièce de théâtre qui ne serait pas écrite. Donc ce sera un film sur une pièce qui ne sera pas dans le film autour de laquelle les quatre éléments se regroupent.

    On va vous retrouver à l’écran, bientôt ?

    R.D. : Côté interprétation, je n’ai rien de prévu. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de propositions pour des gens d’origine asiatique, comme moi. Dans le cinéma français, si on prend un acteur asiatique, il faut vraiment justifier sa présence. Quand on a un personnage qui s’appelle Alex dans un scénario, aucun réalisateur ne va se dire qu’Alex est asiatique. Il faut que la fonction du personnage justifie son origine. Quant au cinéma cambodgien, il existe, mais pour des comédiens qui parlent mieux cambodgien que moi. Dans mon entre-culture, miraculeusement, j’ai pu faire quatre films. Mais ce n’est pas très courant d’employer des comédiens comme moi pour le moment, même si je pense que ça va changer. La communauté asiatique s’intéresse aux arts et a du mal à trouver, dans les propositions actuelles, quelque chose qui corresponde à leurs problématiques. Ça fait émerger des artistes asiatiques et le métissage devient de plus en plus important. Il y aura une place qui ne sera peut-être pas pour moi, mais pour les générations suivantes. Ça m’intéresse aussi de faire partie de cette évolution, c’est pourquoi mon scénario sera à la fois venu de France et lié au Cambodge.

    La bande annonce du Chemin, en salles ce mercredi 06 septembre 2017

     

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