Allociné : D’où est venue cette envie de plonger dans les coulisses des pompes funèbres ? De faire rire avec un sujet grave ?
Gérard Pautonnier, réalisateur et co-scénariste : La mort c’est la vie, ça fait tellement partie de la vie que je n’y pense pas. Ce n’est pas une angoisse pour moi, d’où peut-être le traitement léger et poétique du film.
Qu'est-ce qui vous a attirés dans Grand Froid ?
Arthur Dupont : Le ton du film, son écriture. A la fois des dialogues ciselés et une ambiance planante et parfois contemplative. Le personnage que j'interprète, Eddy, est très touchant, il travaille dans les pompes funèbres mais il est plus vers la vie que la mort et il est confronté à d'autres manières d'appréhender la mort autour de lui (les familles, ses collègues). J'aime sa candeur qui n'est ni de la bêtise ni de la naïveté.
Jean-Pierre Bacri : C’est tout d’abord le scénario dans son intégralité qui m’a plu. Et surtout cette galerie de personnages extrêmement singuliers sans être affectés. Ce n’est pas du tout plaqué dans l’écriture, il y a beaucoup d’humanité, un humour absurde et décalé. Même dans les petits rôles, il y a une vérité et une solitude chez chacun, c'est assez beau.
Pour votre court-métrage puis votre long-métrage, vous avez adapté à chaque fois un roman de Joël Egloff. Comptez-vous prolonger l’expérience ?
Gérard Pautonnier : J’ai craqué il y a 7-8 ans sur L’Étourdissement et j’ai cherché à rencontrer Joël Egloff. On a appris à se connaître et on est d’abord parti sur L’Étourdissement pour le long-métrage mais c’était trop complexe. Finalement on a pris un autre de ses romans, Edmond Ganglion & Fils devenu Grand Froid. On avait quand même envie de faire un court et on a adapté un passage de L’Etourdissement pour le faire. Son succès en festival nous a confortés dans l’idée que les gens étaient réceptifs à cet humour et cet univers. C’est très rare de trouver son binôme, on a une très grande complémentarité tous les deux. On n’avance pas l’un sans l’autre.
Vos personnages, Jean-Pierre et Arthur, forment aussi un duo. Ce sont deux regards opposés sur la vie et la mort. Est-ce que vous pouvez nous parler de votre collaboration ? Vous aviez déjà tourné ensemble dans Au bout du conte en 2013.
Jean-Pierre Bacri : J’ai beaucoup aimé cette collaboration, Arthur a beaucoup d’oreille musicale, il est musicien d’ailleurs. Il a beaucoup de rythme et d’humour. Jouer avec lui est un plaisir. On s’amusait tous les deux à jouer une partition.
Arthur Dupont : C’est très agréable, studieux, on sait pourquoi on est là mais on rigole beaucoup. C’est très motivant de bosser avec lui. Il n’y a rien de mieux que de bosser avec de très bons. J’ai de la chance que Jean-Pierre ait accepté de faire le film. Je l’ai pas mal observé et c’était très agréable. Il bosse bien, il a même le trac parfois, il est très sincère.
Gérard, vous vous définissez comme un cinéaste autodidacte et cinéphile depuis toujours. Quel est le film qui a eu le plus d’influence sur vous ?
Gérard Pautonnier : Bizarrement c’est Pulp Fiction. J’en suis sorti avec une patate énorme. Je me suis dit "tiens, c’est facile de faire un film" parce qu’il a récupéré des vieilles musiques, c’est un film de montage, ... 24 ans plus tard, je reviens là-dessus et c’est un film certainement très compliqué à faire. Mais il m’a semblé accessible, joyeux, et il m’a poussé à faire de la réalisation et à lâcher la direction artistique dans la pub. Roy Andersson aussi fait des choses sublimes. Ces gens m’ont donné envie de travailler le cadre, …
L’attention portée aux détails, à la direction artistique, vous trouvez que ça manque au cinéma français ?
Complètement. Quand on parle de directeur artistique dans un film, on nous regarde avec des yeux assez étranges, comme si on n’avait pas besoin de coordination artistique entre les chefs de poste. En France, on donne trop de pouvoir au réalisateur. Pas qu’on soit incapable de faire ces choses mais ça nous empêche d’être à fond dans la direction d’acteurs. Il se trouve que j’ai une formation artistique donc je fais attention à ça, ce n’est pas un poids pour moi mais je trouve qu’il y a des films qui mériteraient d’avoir un directeur artistique. On peut faire de la comédie et avoir une forme travaillée, exigeante et toujours au service de l’histoire. Évidemment on ne rattrape jamais un mauvais jeu ou un mauvais scénario avec de jolies images mais quand on a de bons acteurs et un bon scénario, soignons les détails.
Grand Froid rappelle par son sujet la série Six Feet Under et par son ton Fargo des frères Coen. Étaient-ce des influences conscientes au moment de la production ?
Six Feet Under est un très bon exemple d’œuvre où on parle de la mort avec de l’esthétisme et des personnages très profonds et complexes. Les frères Coen m’ont surtout inspiré dans les personnages secondaires, ils ne laissent personne de côté. Il y a aussi Anders Thomas Jensen (ndlr : réalisateur danois des Bouchers Verts), Ken Loach pour la sincérité des personnages, …
Quant à vous, Arthur et Jean-Pierre, en quoi a consisté votre préparation ?
Arthur Dupont : J’apprends mon texte. S’il faut travailler pour techniquement savoir faire des choses à l’écran ou en parler, c’est une chose. Mais sur ce film-là, il n’y avait pas de nécessité à faire ça, mon personnage est là un peu par hasard.
Jean-Pierre Bacri : Je ne suis pas du tout du genre à faire des recherches. Sauf si le type fait un métier que je ne peux pas comprendre. Je ne suis pas très américain sur ce coup-là.
Dans votre filmographie Jean-Pierre, vous semblez être attiré par les rôles singuliers mais avant tout humains. Vous n'avez pas l'air d'aimer les héros. Vous aussi Arthur, vous vous retrouvez dans cet état d'esprit ?
Jean-Pierre Bacri : J’aime pas les héros, j’ai jamais aimé les héros. Les films où je me suis le plus emmerdé, ce sont ceux où le monde fait des misères à des gens merveilleux, ça me débecte. J’y crois pas d’abord, je ne pense pas que ça existe des gens aussi parfaits. Et ce côté paranoïaque d’écrire des personnages parfaits qui sont eux-mêmes parfaits mais qui sont embêtés par le monde entier, je trouve ça très antipathique. Et en tant qu’acteur, je trouve ça ennuyeux à jouer. C’est tellement superficiel humainement. Il me faut des paradoxes, de la contradiction dans les personnages.
Arthur Dupont : Si ce qui se joue ne me touche pas, ça ne m’intéresse pas. Mais c’est difficile de faire des choix, pour en faire, il faut des propositions. Moi je suis content, j’en ai. Mais il faut être vigilant aux choix qu’on fait. Il y a des erreurs que je ne ferai plus. Il faut faire des films pour les bonnes raisons.
La bande-annonce de Grand Froid :