Grand ciel bleu en ce dimanche après-midi cannois. Nous avons rendez-vous sur le ponton du Majestic avec une partie de l'équipe de 120 battements par minute, film avec un collectif d'acteurs. Le film de Robin Campillo fait battre le coeur de la Croisette depuis sa première projection cannoise samedi matin, avec une presse dithyrambique.
Tandis qu'Adèle Haenel se prépare à une interview télé à quelques mètres, tout sourire, nous confiant sa joie de l'accueil qu'a reçu le film, nous rejoignons Nahuel Pérez Biscayart et Arnaud Valois, les deux révélations du film. Ils se prêtent à un entretien / portrait croisé pour Allociné.
AlloCiné : Racontez-nous ces 24 heures passées à Cannes. C'est un Cannes idéal !
Nahuel Pérez Biscayart (Sean) : C’est vrai qu’avant la projection de presse, on était un peu sous tension évidemment parce qu’on ne savait pas comment ça allait se passer. Après la projection de presse, je sens que ça s’est détendu, même si on avait encore la montée des marches du soir. Là pour moi, c’est que du plaisir.
Ca fait du bien aussi de pouvoir en parler aux gens, de pouvoir penser le film. On l’a vu juste une fois il y a 10 jours. Là, on le revoit dans une situation complètement différente, qui est très belle. De pouvoir regarder le film avec des gens, ça change ma manière de voir le film. Ca me permet de voir le film comme un ensemble, et non pas comme des morceaux de tournage.
Arnaud Valois (Nathan) : Quand les journalistes sont sortis hier de la projection, et que tous les tweets ont commencé, il y a une espèce de torrent, de vague, qui a commencé à monter, monter, monter au fur et à mesure de la journée, avec le climax de la montée des marches de 18h30, et surtout quand ça s’est rallumé après. C’était un moment, pour nous tous, inoubliable. On était la bande. La productrice nous avait dit : si vous avez envie d’aller les uns vers les autres, ne restez pas à votre place. On s’est tous embrassés, félicités. Ca faisait un moment de famille et de partage entre nous et avec la salle. Parce que c’est vraiment une aventure collective.
Qu’est-ce qui selon vous fait la force du film ?
A.V. : Il y a plusieurs choses. Il y a le combat du film. Il y a cette jeunesse qui se révolte et cette urgence de vivre de gens qui meurent, qu’il faut sauver par tous les moyens. Il y a l’histoire d’amour aussi. Le témoignage d’une époque. Je trouve qu’il n’y a pas de compromis avec l’émotion, les sentiments, la musique… Tout est envoyé comme ça, et c’est au spectateur après de prendre ça, comme il a envie de le prendre, parfois peut être même de marquer un temps. Le montage aussi, car Robin Campillo monte ses films lui-même. Tout ça fait que le film est extrêmement fort.
N.P.B. : Je suis d’accord sur le fait qu’on ne peut pas parler que d’une seule chose, car le film est tellement multi-couche que je sens que la force que le film a pour toi, ce n’est pas forcément la même que pour moi.
C’est vraiment un film universel. Moi ça me touche beaucoup de voir cette jeunesse vraiment prendre les rênes de leur propre vie, de voir des jeunes se porter secours à eux-mêmes. Alors que les adultes de la société à ce moment-là s’en foutaient. Ils stigmatisaient cette jeunesse qui en plus mourrait. Ils ne s’y intéressaient pas.
Parlons à présent de votre parcours. Nous aimerions en savoir un peu plus sur ce qui vous a guidé vers le cinéma. Vous souvenez-vous du film qui a déclenché l’envie chez vous de faire du cinéma ? Est-ce que vous aviez envie de faire du cinéma ou c’est venu un peu par hasard ?
N.P.B. : Dans mon cas, c’était par hasard. C’est très accidentel, comme tout dans ma vie. Je ne rêvais pas de ça. Je ne voulais pas être comédien. Le jeu, dans ma vie, est arrivé d’une manière liée à l’expérience et au partage d’être avec d’autres, de créer quelque chose ensemble. C’était vraiment lié à l’expérience, au fait de jouer, au fait que le moment de jouer me met tout de suite dans une situation de présence totale. Pas toujours, mais c’est ce que je recherche. Si on n’est pas présent, on ne peut pas jouer. Voilà, le jeu dans ma vie est arrivé de cette manière. Mais il n’y a pas un film qui m’a inspiré et qui m’a fait dire je voudrais faire ça. C’est plutôt le ressenti intime.
A.V. : Moi, je dirais que c’est plutôt la scène, le spectacle plutôt qu’un film. Se montrer devant les autres, faire le pitre. Se mettre en scène dans des spectacles devant mes parents. C’est ça qui m’a donné l’envie de la comédie. Dans le cinéma, il n’y a pas forcément une œuvre qui a déclenché. C’est plus le goût de raconter des histoires, avec des mensonges, avec des inventions. On se déguisait. Jouer, jouer, jouer. Quand j’étais enfant, je disais jouer, jouer, jouer tout le temps.
Est-ce que vous vous souvenez de la première fois que vous vous êtes vus sur grand écran et pour quel film ? Vous souvenez-vous de ce que vous avez ressenti ?
A.V. : Moi c’était pour Selon Charlie et c’était ici à Cannes.
N.P.B. : Moi c’était un film argentin qui est sorti il y a 15 ans.
A.V. : C’est très déstabilisant de se voir. On sait que c’est nous, mais ça n’est pas vraiment nous. On joue un personnage. C’est assez étrange, assez perturbant. Et là ça me refait quelque chose d’assez étrange car je n’avais pas tourné depuis des années. De se revoir, avec beaucoup de scènes tous les deux, en très gros plan, très intime. Ca bouleverse. On se voit revivre des sensations.
N.P.B. : Je ne me souviens pas trop du ressenti de la première fois.
Arnaud, tu disais que tu n’avais pas tourné depuis plusieurs années. Tu avais abandonné ce métier ?
A.V. : Complètement abandonné. C’était enterré dans ma tête, c’était fini. Plutôt que de rentrer dans l’aigreur, dans l’attente, j’ai préféré me réaliser ailleurs et c’est revenu il y a un an et demi par un appel de la directrice de casting de Robin Campillo. Je me suis dit pourquoi pas, et quand j’ai vu Eastern Boys, son 2ème film, ça m’a vraiment donné envie et je me suis beaucoup plus investi.
Ce n’était pas vraiment un casting, mais des séances de travail pour ce film, en essais. Donc c’est un travail vraiment très poussé. Ca donne envie d’aller encore plus loin et d’avoir le rôle. Et j’ai été choisi après un processus de casting assez long parce que c’est un directeur d’acteur qui a vraiment besoin d’avoir confiance en la personne qu’il va choisir pour interpréter le rôle. C’est tellement vital pour lui. Il adore tellement les acteurs. Il les filme un peu comme dans un documentaire. Il n’y a pas de triche. Il faut vraiment qu’il y ait quelque chose entre lui et nous.
N.P.B. : Et ça fait partie du travail, de nous emmener avec lui dans son univers, qu’on soit un peu habité par les personnages ou par la situation, la force du film. On défait tout ce qu’on amène avec nous pour essayer de rentrer son univers. Ca requiert du temps.
Les séances de travail servaient aussi à trouver l’alchimie, ou pas. On ne peut pas forcer.
A.V. : Il faut qu’il y ait une évidence, plus forte que nous.
N.P.B. : Bien sûr, c’est quelque chose qu’on ne peut pas gérer, qui est plus fort que nous.
A.V. : Après, on peut l’amplifier, c’est tout.
Nahuel, tu viens d’Argentine. Tu as tourné en Argentine. Est-ce pour le cinéma que tu es venu en France ?
N.P.B. : C’est le cinéma français qui est venu vers moi et qui m’a invité à en faire partie.
C’est Benoit Jacquot (pour le film Au fond des bois, sorti en 2010) ?
Oui, c’est Benoit Jacquot.
Et depuis, tu es venu t’installer en France ?
Non, je vis nulle part et partout ! Benoit m’avait appelé pour son film car il cherchait un comédien qui puisse parler un patois un peu étrange, et mon accès était parfait car je ne parlais pas un mot de français à cette époque. Mais après ça, je suis retourné en Argentine. J’ai retourné des films en Argentine pendant un moment.
Et puis, il y a eu d’autres films en Suisse, en Belgique, un peu partout, mais qui n’étaient pas du tout liés au film de Benoit. Les films français viennent et partent de manière assez sporadique. Sauf l’année dernière où j’ai enchainé trois films (Au revoir là haut d’Albert Dupontel et Si tu voyais son cœur de Joan Chemla, Ndlr.). Mais en même temps, je ne sais jamais si ça va continuer.
Avez-vous des amis comédiens de votre génération ? Vous sentez-vous partie prenante d’une génération ?
N.P.B. : Je sentais un peu que j’appartenais à quelque chose quand j’étais à Buenos Aires. J’étais adolescent. Ce n’était pas une école mais un atelier qu’on faisait toutes les semaines et c’était surtout de l’impro. On était une bande d’ados déchainés ! C’était trop bien. On ne travaillait pas avec des textes. On était vraiment dans une création, dans une recherche d’authenticité. A cette époque là, je sentais que j’appartenais à quelque chose. On était fiers d’être adolescents.
Après, c’est vrai que quand tu commences à travailler, il y a des affinités, des comédiens que tu recroises. Mais j’ai du mal avec cette sensation de génération, d’esthétique d’une génération. Et d’avoir voyagé fait que je n’ai pas créé une communauté à moi.
A.V. : Et moi, ayant arrêté, assez logiquement, je n’ai pas suivi les acteurs qui ont mon âge. J’allais voir des films bien sûr. Mais j’ai l’impression d’être un nouveau en fait.
N.P.B. : Moi, j’ai l’impression d’être un nouveau tout le temps. Tout le temps !
A.V. : C’est peut être tant mieux aussi !
N.P.B. : Quand je ne joue pas, j’oublie que je suis comédien ! C’est tellement dans l’action, le jeu. Si tu ne joues pas, tu n’es pas comédien. Etre comédien, c’est une action, ce n’est pas un titre.
A.V. J’aime beaucoup les acteurs qui jouent vraiment viscéralement, comme Michael Fassbender. Je trouve qu’Adèle Haenel aussi est un peu dans cette catégorie-là. Ca passe vraiment par l’instinct animal. J’aime beaucoup ce genre d’acteurs.
La bande-annonce de 120 battements par minute de Robin Campillo (sortie le 23 août 2017) :