Prix de la Critique et Prix spécial du Jury au Festival de Beaune en avril dernier, détenteur de 4 Goya, La Colère d'un homme patient raconte la vengeance lente et implacable d'un homme pour un crime que tous ont oublié. Présent à Beaune, le réalisateur Raúl Arévalo nous a raconté le parcours de sa première mise en scène.
AlloCiné : ce qui m’a frappé en voyant le film, c’est que ce n’est pas un film américain, c’est un polar espagnol, avec une patte. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour passer réalisateur ?
Raúl Arévalo : J’y pensais depuis longtemps, et il faut parler de ce que l’on connait. Donc ayant grandi dans des quartiers comme ceux que l’on voit dans le film, je savais de quoi je parlais, c’est pour cela que c’est "très espagnol".
Il y a deux ans, on avait découvert à Beaune "La Isla Minima" d’Alberto Rodriguez, dans lequel vous creviez l’écran avec votre comparse dans ce polar très sec. Est-ce sur ce tournage que vous avez recruté Antonio De La Torre, qui est maintenant le héros de votre film ?
Non, car j’ai commencé à écrire le scénario il y a 9 ans, et je n’ai fait La Isla minima qu’il y a 3 ou 4 ans. Et quand j’écrivais il y a 9 ans, je pensais déjà à Antonio.
Et justement, pourquoi cette attente de 9 ans ? Etait-ce une question d’argent ?
En grande partie, oui. Ensuite, j’ai rencontré ma productrice, Beatriz Bodegas, qui a eu une confiance aveugle en moi, et là encore, il a fallu patienter le temps de trouver de l’argent.
Avez-vous connu les préjugés qui sont monnaie courante en France sur les acteurs passant à la réalisation, qui subissent des critiques pour vouloir changer de "case" ?
Bien sûr, c’est la même chose qu’en France. Un comédien, ce n’est pas un plombier. Il fait partie d’une équipe qui tourne du cinéma, donc c’est déjà quelqu’un qui est dans l’air du travail. Nous avions un très célèbre comédien désormais décédé –Fernando Fernán Gómez- qui était une sorte de Michel Simon en Espagne et qui disait "quand un comédien va diriger un film, tout le monde se demande pourquoi il le fait, mais quand il n’y a personne pour diriger un film, il est très intéressant". C’est comme dans le foot : les grands entraîneurs étaient en grande partie des joueurs, mais dans le cinéma, un acteur qui fait de la mise en scène c’est tout de suite bizarre.
De façon concrète, comment avez-vous appréhendé votre changement de casquette une fois arrivé sur le plateau ?
C’était très organique, très naturel. J’avais toujours eu le désir de faire de la mise en scène, et en passant des jours et des jours sur un plateau, tu regardes et tu apprends. Donc c’était très naturel de passer de l’un à l’autre.
Il y a un intéressant travail sur la photographie dans le film, car vous alternez les gros plans et les grands paysages de votre Espagne natale, comment avez-vous travaillé vos cadrages ?
Au début, on commence avec des éléments intimistes, très contemplatifs, donc tous les plans sont très serrés. Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule et que cela devient plus du cinéma de genre, on ouvre le scope, c’est comme un chemin que j’ai tracé avec mon chef opérateur.
Le choix du thème de la vengeance m’a étonné. Car faire un premier film, et prendre un sujet que l’on a beaucoup vu au cinéma, ça m’a semblé doublement risqué. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Je n’ai pas pensé à faire un film sur la vengeance. J’ai maturé pendant 9 ans, j’ai maturé, j’ai écrit, enlevé, mais surtout, je faisais un drame, centré sur les personnages. Le fait que cela soit une vengeance s’est ajouté après.
C’est une question un peu naïve, mais pourquoi ne pas avoir choisi de jouer un petit rôle dans le film ?
Je n’y ai jamais pensé, sincèrement. Quand je suis comédien, je tourne, je m’amuse, je fais ce que le metteur en scène me dit. En étant derrière la caméra et en ayant le contrôle de tout ce qui se passait, je ne trouvais pas très intéressant d’être devant, derrière et d’avoir un assistant pour me dire [ce qu’il y a au combo parce que je suis en train de jouer].
Maintenant que votre premier film se fait distribuer dans plusieurs pays, pensez-vous à un nouveau projet de metteur en scène ?
J’ai une idée en tête, ça n’a rien à voir avec La Colère d’un homme patient, même s’il pourrait s’agir d’un nouveau drame. Je suis comédien, donc j’ai des films à faire entretemps, et je verrais ce qui sort de mes réflexions (rires).
"La Colère d'un homme patient" sort ce mercredi dans les salles :
Traduction espagnol-français : Simona Benzakein, également coproductrice du film