Allociné : Comment vous y êtes-vous pris pour réaliser un long métrage animé à vous tout seul ?
Sébastien Laudenbach : J’ai trouvé des solutions techniques au départ, mais qui ont abouti à un langage esthétique. D’abord, ce n’est pas parce qu’on n’a pas beaucoup d’argent que la première chose sur laquelle on doit faire une économie est le mouvement. J’ai préféré faire une économie sur le dessin que sur le mouvement, donc le film est quand même assez animé. Mais avec des dessins qui sont parsemés de trous et de lacunes, ce qui fait que le cerveau du spectateur est obligé de travailler pour combler ces lacunes. Il y a donc une grande attention du spectateur quand il regarde le film.
Pouvez-vous nous raconter comment le projet est né ?
Le film a connu deux versions. Une première version qui avait été développée à partir de 2001, et qui m’avait été proposée par les films Pelléas, qui voulaient que j’adapte une pièce d’Olivier Py appelée "La jeune fille, le diable et le moulin". Cette pièce était elle-même l’adaptation d’un conte de Grimm appelé "La jeune fille sans mains". On a travaillé au développement de ce projet pendant 7 ans et on n’a pas trouvé assez d’argent. (...) Le projet a été abandonné, mais moi je n’arrivais pas à lâcher cette histoire parce que son thème me plaisait. A la fois la pièce de Py qui est très belle, mais aussi le conte qui est vraiment fort. Il y a un côté très féministe dans cette histoire. La trajectoire de cette jeune fille qui doit apprendre à se débrouiller seule, et qui ne doit plus être sous l’emprise, qu’elle soit bienveillante ou malveillante, des hommes qui sont autour d’elle.
Le générique présente "La Jeune Fille sans Mains" comme "un film raconté avec des dessins de Sébastien Laudenbach". C'est donc comme ça que vous avez procédé ensuite ?
J’ai repris le projet dans un tout nouveau cadre, puisque ma femme a été pensionnaire en cinéma à la Villa Médicis. J’avais un an devant moi et je me suis dit que j’allais le reprendre. J’avais fait une petite expérience avant, j’avais déjà expérimenté un certain nombre de techniques qui m’avaient beaucoup intéressé, et je me suis dit que j’allais reprendre ce projet de long métrage avec ces nouvelles techniques. Mais elles étaient tellement différentes de ce qu’on fait d’habitude que j’ai mis à la poubelle tout ce qui avait été développé jusqu’à présent et je suis reparti de la trame du conte en improvisant le film du premier plan jusqu’au dernier et effectivement en l’écrivant avec des dessins. En faisant le plan 1, le plan 2, le plan 3… Et en ayant seulement deux ou trois coups d’avance comme aux échecs. Je faisais juste à chaque fois une petite mise en place, ce qu’on appelle un layout, avec les poses principales du personnage, et puis je partais dans l’animation directement. Ça a donc été animé en direct au pinceau sur papier. Et je n’ai pas regardé le résultat de ces animations. Comme je les faisais sur papier, il fallait faire la prise de vue des dessins et les mettre dans la bonne fréquence de 12 images par seconde. Et ça, je ne l’ai pas fait. Je l’ai seulement fait à la fin du premier mois pour voir si ça marchait et pendant le restant de l’année, je ne l’ai pas fait. Donc j’ai accumulé des dessins et des dessins sans savoir ce que ça donnerait.
Cela veut-il dire qu'il n'y avait pas de scénario ?
C’est vraiment un film écrit avec des dessins parce qu’il y a plein de choses qui sont dans le film et pas dans le conte et qui sont arrivées au cours de la fabrication. Il y a par exemple une séquence assez intrigante où le prince revient au moulin, trouve ce qui reste des mains de sa bien-aimée, et de façon totalement incongrue, prend un petit os de cette main et le mange. Ça, c’est arrivé tout seul. Donc il y avait une espèce d’écriture automatique qui ne se pratique jamais en animation. On est plutôt aujourd’hui dans un processus inverse, notamment parce qu’on utilise des logiciels qui permettent de revoir à l’envi l’animation qu’on est en train de faire. Donc il n’y a plus aucun délai entre ce qu’on a dans la tête et l’animation, du coup on reste très collé à cette animation. Alors que là, en étant dans une espèce de flux, j’arrivais à faire trois ou quatre plans par jour. Et j’étais dans le film. J’étais totalement habité par le film.
Comment avez-vous vécu la rencontre avec les acteurs qui doublent les personnages et le fait de partager votre projet avec d'autres personnes ?
(...) Avec les comédiens, c’était génial. Ça fait donc depuis 2001 que je travaille avec ce personnage. Quand Anaïs Demoustier vient et colle la première respiration sur le premier plan, pour moi c’est une émotion extraordinaire. Parce que d’un coup, ma jeune fille existe. (…) Ça me fait un peu peur, les comédiens, parce que je travaille avec des comédiens de papier. C’est pour ça que je voulais travailler avec des gens aguerris qui pouvaient proposer des choses. (…) Ils ont tous des voix assez singulières, ce sont vraiment de grands professionnels.
Propos recueillis le 18 juin 2016 à Annecy par Thomas Imbert
(Re)découvrez la bande-annonce du film...