AlloCiné : Votre film traite de l'immoralité. Il débute avec la famille de Ma' Rosa, qui tient une boutique dans un bidonville, laquelle sert pour revendre de la drogue. Puis le film se décale pour s'intéresser aux forces de l'ordre, totalement corrompues...
Brillante Mendoza : Ma' Rosa est effectivement une réflexion sur l'immoralité, sur le bien et le mal. Dans le film, Ma' Rosa est peut-être une mauvaise citoyenne mais elle est aussi une bonne mère. Nous sommes dans cette zone grise propice à la réflexion. Puis il faut aussi se poser la question du contexte : en fonction des circonstances, il est plus ou moins facile d'être immoral. Ce qui rend le cinéma intéressant, c'est de dépasser ce positionnement binaire du noir et du blanc.
Comme je le disais précédemment, le film débute sur Ma' Rosa et sa famille, puis se concentre sur la police avant de bifurquer à nouveau sur les enfants. Le seul point commun de tous ces personnages est le lieu : le bidonville. Est-ce le protagoniste principal ?
Oui, c'est leur environnement et leur mode de vie. Je suis convaincu que le lieu où l'on vit a une incidence sur notre comportement. Il est important pour le spectateur de comprendre le monde dans lequel ces personnages vivent. Et on ne peut raconter cette histoire qu'à travers des personnages vivant dans ce bidonville. Ma' Rosa n'est qu'une petite histoire parmi tant d'autres dans ce lieu.
Le lieu où l'on vit a une incidence sur notre comportement
Et le personnage de Ma' Rosa est d'ailleurs inspiré d'une personne que vous avez rencontrée il y a quelques années...
C'était une connaissance indirecte en effet. Mais je ne peux pas parler d'elle précisément. Son histoire m'a intéressé parce qu'elle dit beaucoup de choses sur cette situation, cet environnement, le contexte... et elle révèle des choses sur le système et le pays dans son ensemble. Les choses qui me dérangent en tant qu'homme m'inspirent. Ma' Rosa est une bonne histoire et surtout une histoire qui me fait réfléchir.
Dans une interview pour AlloCiné réalisée à Cannes, le réalisateur japonais Koreeda déclarait réaliser des films pour redonner confiance et espoir aux êtres humains. "Ma' Rosa" est à l'opposé : il ne redonne peut-être pas espoir en l'être humain. Votre cinéma est-il celui du désespoir ?
En réalité, je n'arrive pas à être vraiment sur les intentions de mon cinéma. Cela change pour chaque film. Est-ce que Ma' Rosa insuffle de l'espoir ou est-ce qu'il dépeint la réalité ? Je ne sais pas. Je ne dois pas et on ne doit pas être trop spécifique sur les intentions d'un film. Tout est aussi une question de réception du spectateur, laquelle peut changer d'un pays à l'autre. Certaines personnes seront plus sensibles à l'image de cette mère, qui se bat pour faire vivre cette famille, pleine d'humanité. Est-ce une source d'espoir ? Peut-être que oui... Personnellement, je ne suis peut-être pas une bonne personne !
Et justement, pour reprendre votre idée de perspective, la seule source d'espoir pour moi est dans les enfants. Ils se battent jusqu'au bout pour récupérer l'argent qui servira à libérer sa mère. Avec en outre cette image de la soeur qui, après être tombée dans l'allée, se relève et se remet en quête de la somme...
Cette scène est le coeur de l'histoire. Dans cette allée très étroite, il y a de la vie, des passants et cette femme jetant l'eau par terre à cause de laquelle le personnage glisse. Mais cette femme ne le fait pas intentionnellement, c'est juste la vie de cette communauté. Et la soeur, après être tombée, n'a qu'une possibilité : se relever pour continuer, encore et toujours. Là est le message véritable du film.
Sans l'être frontalement, votre film a une ambition politique, presque malgré lui...
Il n'y a pas le choix. Si vous faites un film sur une situation réelle, de vrais personnages vivant dans cette situation sociale, la politique est déjà là.
Le cinéma peut avoir un rôle politique actif au-delà de son pouvoir de montrer les choses ?
Le cinéma peut juste provoquer et faire réfléchir. Le changement doit venir de l'individu. Personne ne peut nous dire quoi faire ou comment changer les choses. Le cinéma est avant tout un instrument, qui peut nous permettre de réfléchir plus profondément, par exemple à la situation dans un bidonville et ce qui arrive à des personnes y vivant. Les habitants des pays développés, comme la France, ont ainsi une vision de ce qui s'y passe.
Si vous faites un film sur une situation réelle, la politique est déjà là
Quels films ont provoqué une réflexion en vous ?
Ils sont peu nombreux. Je pense notamment à certains films des frères Dardenne, à 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu ou à Entre les murs de Laurent Cantet. C'était très puissant. Voir des étudiants dans une classe, apprendre, interagir, être témoin de la génération d'après... Je viens d'un pays défavorisé, on tend à atteindre votre niveau de développement. Cette génération dépeinte dans le film devrait ressembler à celle que mon pays connaitra peut-être un jour. Forcément, voir ce film pousse à la réflexion, inspire.
Vos films provoquent toujours des réactions très partagées. Avez-vous lu les critiques de "Ma' Rosa" ?
Je ne lis pas. Non, ce n'est pas vrai, parfois j'y jette un oeil... (rires) Mais je sais que mes films divisent constamment. Mais ce n'est pas grave, c'est ça aussi le cinéma. Je ne veux pas aller voir un film et avoir le même avis que mon voisin. La discussion autour d'un film est essentielle et c'est une des raisons d'être du cinéma. On ne doit pas être tous du même avis. D'autant qu'un spectateur ayant détesté un de mes films aimera peut-être le suivant !
En somme, il vaut mieux diviser qu'être ignoré...
Oui, exactement ! (rires)
Ma'Rosa, en salles le 30 novembre