AlloCiné : Comment vient-on à imaginer Isabelle Huppert en chanteuse oubliée travaillant dans une usine de pâté ?
Bavo Defurne, réalisateur de Souvenir : (rires) J’aime bien les contrastes ! Le film est une fable. Tout a débuté avec l’idée de quelqu’un qui a été vraiment glamour, plein de succès, et qui est tombé dans l’oubli. En créant ce personnage, je voulais une personne qui n’aime pas les compromis, une personne qui dit « c’est tout ou rien » ! Alors j’ai imaginé que cette chanteuse un peu oubliée pourrait peut-être travailler dans une boutique ou dans une agence immobilière ou un magasin de chocolats… Quelque chose de chic. Mais je crois que Liliane ne veut pas ça. Elle veut vraiment être une bonne chanteuse connue, ou elle veut disparaitre dans une usine où personne ne la connait. Elle a vraiment choisi d’être anonyme. Cette usine est tout à fait l’inverse de la chaleur des paillettes…
Je crois qu’Isabelle [Huppert], ce qu’elle fait merveilleusement, c’est justement cette métamorphose vers une femme qui se retrouve, qui renoue avec la musique, l’amour... C’est une grande métamorphose, c’est une chenille qui devient papillon. Ce qu’Isabelle a merveilleusement fait, c’est de jouer la chenille qui devient papillon. Elle était mon premier choix et j’ai longuement pas osé demander. Isabelle a vu mon premier long métrage, elle a aimé. Elle voulait travailler avec moi et tout s’est passé très vite. Et le film s’est fait !
Comment a-t-elle réagi quand vous lui avez proposé un rôle comme celui-là, qui sur le papier peut surprendre ?
Elle aime ça ! Isabelle, avant le tournage, disait : c’est l’histoire d’une ouvrière qui devient chanteuse, et elle était encore plus intriguée ou enthousiaste d’explorer ça, d’explorer ce personnage d’ouvrière que celui d’une star du chant. Elle est très curieuse, elle aime bien explorer. C’est vrai que c’est quelque chose qu’elle a peut-être moins fait, qu’elle avait vraiment envie de faire parce que ça lui donne encore plus d’aventure. Elle aime vraiment prendre des risques. Quand on la montre dans l’usine, c’est dans une lumière grise, dans des uniformes et elle ose faire ça. Elle n’a pas peur !
Parlons également du choix de Kévin Azaïs…
C'est une histoire bizarre. On devait chercher quelqu’un qui va bien avec Isabelle. J’avais imprimé quelques photos de jeunes acteurs américains qui n’allaient jamais jouer dans le film. Je suis très visuel, je ne peux pas m’imaginer quelque chose sans visualiser. C’était un type de visage, avec différents degrés de virilité et de jeunesse. Il y avait un visage qui me plaisait beaucoup, qui restait. Mais je ne savais pas, j’avais oublié que c’était un acteur français ! On a fait un casting, on a reçu une dizaine de jeunes acteurs parfois très bons mais il fallait un bon acteur avec le bon degré de virilité et de jeunesse. Kévin était le dernier. J’ai tout de suite dit qu’il était magnifique, il faut travailler avec lui. C’est mon producteur qui a dit après : mais oui, bien sûr ! Tu l’as sur ton mur, c’est lui ! Et moi j’avais oublié car c’était un exercice visuel et pas un exercice de casting !
Kévin a vraiment réussi à donner à ce personnage beaucoup plus de couches. C'est un personnage qui n'est pas simple. Ce n'est pas un simple macho, un peu naïf, boxeur et optimiste. Kévin a ajouté des choses à ce rôle : c'est quelqu'un qui découvre des choses cachées en lui aussi, une élégance, une tendresse, une maturité finalement. Le personnage de Jean apprend beaucoup, il s'enrichit. C'est une rencontre très enrichissant entre les deux.
Le film est très beau visuellement. Vous apportez un soin très particulier aux cadres, à la couleur… Quels sont les œuvres, les films qui vous ont orienté en ce sens ?
Quand je fais des films, je veux surtout faire honneur au cinéma même, au langage du cinéma. J’aime bien Hitchcock, Douglas Sirk, Fassbinder, Almodovar... Il y a tout une richesse de langage dans le cinéma que je veux utiliser. Ce sont toujours des plans très soignés, des mouvements très gracieux… Je crois que le cinéma nous offre ces outils pour raconter des fables, d’exprimer des rêves, d’exprimer des émotions. Je veux créer des rêves !
La bande-annonce de Souvenir, à l'affiche ce mercredi :
Propos recueillis au Festival du film d'Angoulême 2016