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    Dishonored 2: entretien avec le Lead Game Designer et producteur du jeu
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Suite de l'un des meilleurs jeux de l'année 2012, "Dishonored 2", toujours développé par le talentueux studio Arkane à Lyon, sort ce 11 novembre. Rencontre avec une équipe de passionnés pour une plongée dans un univers fascinant.

    C'est en 1999 qu'Arkane Studios voit le jour à Lyon. Dès sa naissance, l'ambition du studio -qui n'a guère changée depuis-  était de créer des jeux à la première personne hautement immersifs. C'est ainsi que Arx Fatalis voit le jour en 2002. Plébiscité par la Critique et le public, le titre est encore aujourd'hui considéré comme une référence en matière de jeu de rôle. Quatre ans plus tard, sous la bannière Ubisoft, sortira un remarquable jeu, Dark Messiah of Might & Magic, qui reprendra d'ailleurs une bonne part du gameplay d'Arx Fatalis.

    En 2008, Arkane Studios s'enrichit de l'arrivée d'un brillant talent : Harvey Smith. Si ce nom ne dit évidemment pas grand chose au grand public, il met en revanche des étoiles dans les yeux des amoureux de jeux vidéo. Smith fut notamment Lead Designer d'un titre entré dans la légende des jeux vidéo en vue FPS pour sa réalisation, son immersion et sa narration : Deus Ex, et travailla aussi sur System Shock, l'ancêtre de Bioshock.

    En 2012, la brillantissime direction artistique de Viktor Antonov, qui travaille en outre régulièrement pour le cinéma, épaulé par la direction artistique de Sébastien Mitton ainsi que la vision créative de Harvey Smith, accouche d'un authentique chef-d'oeuvre  : Dishonored. Couvert de Prix à travers le monde, ce jeu d'aventure - action est sans conteste un des plus mémorables de ces dix dernières années; ne serait-ce que pour son extraordinaire direction artistique encore une fois, qui portait la narration visuelle à un point d'incandescence rarement atteint.

    Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne pourra pas accuser le studio de vouloir capitaliser vite fait / mal fait sur le succès de ses jeux. Il prend son temps, ce qui, dans le paysage de l'industrie vidéoludique actuel, est devenu un luxe. Après quatre longues années de travail, l'équipe lyonnaise invite les joueurs à retrouver le personnage principal de Dishonored, Corvo Attano, pour de nouvelles aventures avec en toile de fond une cité totalement inédite. Exit la cité crépusculaire de Dunwall, place à la ville insulaire de Karnaca. Invitation au voyage, Dishonored 2 offre aussi aux joueurs de se glisser dans la peau d'un autre personnage : Emily Kaldwin. Ces deux personnages proposent de vivre deux expériences vidéoludiques et narratives très différentes, avant tout façonnées par les joueurs eux-mêmes.

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    Après notre long entretien avec Sébastien Mitton, publié la semaine dernière et lisible en cliquant sur le lien ci-dessus, nous nous sommes également entretenus avec Dinga Bakaba, Lead Game Designer et producteur du jeu, ainsi qu'avec Christophe Carrier, en charge de l'équipe derrière tout le Level Design de Dishonored 2.

    AlloCiné : Pour commencer, pouvez-vous expliquer en quoi consiste le travail d’un Lead Game Designer ?

    Dinga Bakaba : C’est celui qui dirige l’équipe de Game Design, en charge de l’écriture de ce que l’on pourrait appeler « les règles du jeu ». C’est cette équipe qui décide par exemple ce que l’avatar du joueur pourra faire ou pas, sauter à quelle hauteur, glisser à quelle vitesse, tous les pouvoirs et capacités des personnages principaux, tout ce que le joueur va pouvoir trouver et / ou ramasser dans le monde, comment il va pouvoir interagir, etc. Tout ça, c’est ce que l’on appelle les mécaniques du jeu qui forment le Gameplay de celui-ci.

    Comment travailles-tu avec Harvey Smith, le directeur créatif de « Dishonored 2 » ?

    Dinga Bakaba : Lui, il porte la vision d’ensemble du projet, à la fois sur le plan artistique, narratif, le gameplay, le Level Design, etc. Harvey est un des pionniers des jeux immersifs à la première personne ; c’est lui qui a co créé l’univers du cultissime jeu Deus Ex. Il a donc une très grande expérience et expertise dans son domaine, et c’est très gratifiant de travailler à ses côtés. Mon interaction avec lui peut remonter très haut, lorsqu’il s’agit de traduire concrètement une idée qu’il a en tête, même floue. Parfois, c’est beaucoup plus précis. Je travaille aussi très étroitement avec Christophe Carrier, qui est notre Level Designer Director, et Sachka Duval, qui est notre Lead Narrative Designer. Mais je travaille aussi énormément avec les artistes. Ca a notamment été le cas sur le niveau du Manoir mécanique, très complexe à faire.

    Arkane Studios / Bethesda

    C’est d’ailleurs un bon exemple, avec ses ennemis mécaniques. Après le développement du premier volet de « Dishonored », on s’est dit qu’il n’y avait sans doute pas assez d’ennemis qui résistaient aux pouvoirs de Corvo. Du coup, on voulait pour cette suite créer un ennemi qui donne du fil à retordre. A partir de là, comment faire ? Déjà, limiter toute une série de pouvoirs parce que l’ennemi sera mécanique. Cet ennemi a des proportions très imposantes, avec quatre bras, des lames dans les mains qui font chacune la taille d’un être humain. On ne voulait pas non plus faire quelque chose qui ressemble au général Grievous de Star Wars. Il est composé de métal mais aussi de bois, matériau noble. Il reflète la personnalité de son créateur, Kirin Jindosh, un être qui aime créer des choses à la fois compliquées et raffinées. On modifie aussi son champ de vision : il voit devant et derrière, mais on réduit son champ de vision sur les côtés pour qu’il devienne vulnérable. Suite à ça, on a créé un panneau de contrôle de la créature mécanique, qui est piratable, etc. Il y a eu de nombreuses itérations autour de sa création. Sans spoiler l’histoire, cette créature mécanique a même sa justification d’un point de vue narratif. C’est vraiment un bon exemple montrant l’interaction entre les différents départements développant le jeu.

    Arkane Studios / Bethesda

    Chaque niveau / mission a un univers visuel très fort. D’où vient l’inspiration thématique de ces levels ?

    Christophe Carrier : au tout début du projet, on fait plein de propositions lors de réunions ; propositions qui viennent de différents départements. Le niveau du manoir mécanique par exemple vient de notre département. En y repensant, je crois que, adolescent, j’étais fasciné par des films comme Indiana Jones où souvent Indy pousse des boutons qui déclenchent des mécanismes, parfois de pièges ; ou des passages secrets comme la cheminée qui tourne dans Indiana jones et la dernière croisade lorsqu’Indy et son père sont prisonniers dans un château et attachés… Partant de cette idée, je la trouvais d’autant plus sympa que le personnage de Kirin Jindosh est un inventeur mégalo, très imbue de lui-même. En terme de Level Design, c’est un véritable casse-tête, parce qu’il faut déjà diriger le joueur sans qu’il se perde. C’est encore plus compliqué du fait que les pièces peuvent se reconfigurer. Les membres de l'équipe ont fait un travail de dingue. Si tu regardes les mécanismes de près dans le laboratoire du personnage, tu peux même observer au milieu comme une sorte de gros cadran avec tous les mécanismes qui tournent, comme à l'intérieur d'une horloge.

    Arkane Studios / Bethesda

    Un thème que j’aimais aussi, c’est le voyage dans le temps. Lorsque j’ai travaillé sur Bioshock 2, j’ai eu cette idée-là. A un moment donné, on voyageait dans le temps, même si ce n’était pas voulu. C’est nous qui nous étions notamment occupé de ça ; c’était un truc scripté. Je me souviens m’être dit que ca serait génial si on pouvait faire ça à volonté dans un niveau entier. Faire une chose dans le passé, pour en voir et mesurer son impact dans le présent. Dans le niveau du manoir mécanique, en fonction d’une action spécifique que je ne dévoilerai pas, ca change carrément le niveau entier. En fait, les mécanismes jouent sur trois niveaux entiers à l'intérieur du manoir.

    Ci-dessous, un aperçu vidéo de ce fameux niveau...

    Pourquoi la création d’un autre personnage principal, en l’occurrence l’impératrice Emily, là où finalement vous auriez pu vous contenter de reprendre le personnage de Corvo en boostant ses pouvoirs par exemple ?

    Dinga Bakaba : La réponse figure dans le premier « Dishonored ». Dans le premier jeu, c’était la princesse qui se faisait enlever, mais ce n’était pas seulement ça. C’était le seul enfant qu’on voyait de tout le jeu, c’était l’enjeu. Elle incarnait l’espoir, l’avenir. C’est un personnage marqué par ce qu’il a vu. Sa mère, impératrice, s’est fait assassiner sous ses yeux. Il y a donc un lourd passif ; et ce personnage va réagir à la manière dont le joueur joue. Par exemple si le joueur mène des actions très violentes, elle va commencer à faire des cauchemars. Pour « Dishonored 2 », on s’est demandé quel genre d’impératrice elle pouvait être. C’est au joueur qu’il appartient de déterminer cela, en fonction de ses actions et de ses choix. Enfin, surtout s’il décide de jouer avec ce personnage, ce qu’il n’est absolument pas obligé de faire.

    Une transition justement sur mon autre question : pouvez-vous nous parler de cette notion de choix et conséquences ? Quelle place a-t-elle dans « Dishonored 2 » ?

    Dinga Bakaba : ah c’est une question complexe, parce qu’il y a plusieurs niveaux pour y répondre ! Si on part de tout en bas : on veut que le joueur soit capable de faire un choix, à tout moment. Un des principes fondamentaux de Design que nous avons chez Arkane, c’est « Play it your way », « joues à ta manière ». Le joueur peut s’enfermer dans un style de jeu, mais on ne le forcera jamais à agir de telle ou telle manière. A une autre échelle, on a la progression du joueur, qui peut améliorer son personnage au moyen de runes. Ou alors faire le choix de n’en utiliser aucune. A une autre échelle encore, il y a le cadre de la mission elle-même : les objectifs sont atteignables de pleins de manières différentes. Par exemple, le fait d’aider tel ou tel personnage peut avoir des conséquences, parfois à long terme, voire carrément impacter la fin du jeu.

    En parlant de la narration, tout comme dans le premier volet « Dishonored », il me semble qu’il y a très peu de Cut Scenes dans celui-ci.

    Dinga Bakaba : Il y a en a forcément quelques-unes, mais effectivement, ce n’est pas notre passion chez Arkane. Dans ce type de jeu là, il faut un contexte narratif, parce que c’est lui qui donne du poids à tes actions. Ca c’est notre intérêt : l’histoire que le joueur se créé en fonction de ses actions et ses choix, qu’il s’immerge dans l’univers en lisant telle ou telle note, en explorant, écoutant les conversations, etc… La narration est très importante, mais on fait en sorte qu’elle ne soit pas envahissante. C’est tout l’enjeu aussi de la narration visuelle, sur laquelle Sébastien Mitton, le directeur artistique du jeu, a énormément insisté.

    Propos recueillis le 4 octobre 2016 par Olivier Pallaruelo

    Ci-dessous, la bande-annonce de lancement du jeu...

     

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