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    Virginie Efira, radieuse en Victoria : "J'ai senti quelque chose de différent"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après un passage remarqué à la Semaine de la critique à Cannes, Victoria de Justine Triet débarque en salles. Ce portrait de femme moderne est porté par Virginie Efira, à la fois juste, drôle, solaire et radieuse.Elle nous a accordé un long entretien

    Bestimage

    AlloCiné : Il est difficile de donner un genre à Victoria. C'est un film sur lequel il est délicat de mettre une étiquette !

    Virginie Efira, comédienne : C’est vrai que c’est une maladie bien normale de la marchandisation de toutes choses aujourd’hui, et de tous temps d’ailleurs, c’est de vouloir donner un nom ! 'C’est ça ce que tu vas voir, c’est ça ce que tu vas manger !. 'Ca c’est sans gluten, ça c’est une comédie!' Il y a un truc un peu comme ça quand même. Mais moi franchement j’aime bien quand on ne peut pas totalement cataloguer quelque chose. En tout cas, les films que j’aime, ce ne sont jamais que des comédies par exemple. Je trouve que c’est plutôt une bonne chose quand on ne peut pas dire que ce n’est qu’une comédie.

    J’aime bien quand on ne peut pas totalement cataloguer quelque chose

    Quand on voit les films de Billy Wilder, de Lubitsch, -j’en reviens à des trucs d’avant, des choses de légende-, c’étaient des films tellement drôles, et en même temps ça raconte des choses hyper fortes de notre société. Je n’aime pas quand ça raconte ‘au début, ça va très très mal, et à la fin, youpi ! Il y a un endroit dans l’existence où tout va bien, il n’y a pas de problème…’ Non ! J’aime quand on raconte qu’il y a de la solitude, il y a de la difficulté, il y a des déchirements, mais quand même quelque part, ça vaut le coup. Et je trouve que le film raconte ça.

    Donc c’est une comédie, on va dire sur la dépression, ou en tout cas, le personnage principal que j’interprète a quelque chose de solaire, et en même temps, une mélancolie profonde. Il y a une histoire d’amour comme dans les comédies romantiques, et en même temps il y a beaucoup de dureté dans ce qu’ils s’échangent. C’est le reflet de l’existence en fait, qui n’est pas qu’une seule chose.

    Audoin Desforges

    Et ce qu’il y a de plaisant dans le film, c’est qu’il ne va pas là où on l’attend ; il nous prend souvent par surprise…

    Ca aussi j’aime bien. Je n’aime pas quand je vais voir un film et que j’ai l’impression que je sens les idées de scénario. Le côté qui s’enchaine bien, comme si tout avait une explication dans tout. Ce qu’il y a beau dans ce qu’on essaye de capter dans la vie n’est pas quelque chose qui s’explique de manière mathématique. Je trouve que les scénarios un peu balisés, parfois, empêchent ça.

    La manière de travailler de Justine (Triet, la réalisatrice), c’est ce qu’elle est, c’est sa personnalité qui fait ça. Elle raconte quelqu’un et ça passe par différents endroits. En n’oubliant pas, malgré tout, puisque c’est un film, d’y mettre beaucoup de fiction, un rythme. On a 1h20 pour raconter quelqu’un.

    Un grand mélange de cérébralité, de profonde réflexion et de très grande spontanéité sur le tournage

    Evoquons justement de la manière de travailler de Justine Triet. Quelle réalisatrice est-elle ?

    C'est quelqu’un totalement en osmose, en amour comme on dirait au Québec, de ses acteurs. Qui les regarde, qui les observe, qui ne les laisse pas aller vers le confort, qui n’a pas peur, qui réfute même totalement l’idée de ‘on fait notre scène et on fait ce qu’on a à donner’. Elle va chercher beaucoup plus loin que ça.

    Elle a réfléchit énormément à ce qu’elle veut raconter, dire, faire et comment le faire avant. Et après elle sait que sur le tournage, il faut faire avec ce qui existe à ce moment là. Un grand mélange de cérébralité, de profonde réflexion et de très grande spontanéité sur le tournage. C’est exigeant.

    Ecce Films

    Avec Vincent Lacoste, l’association fonctionne très bien, aussi bien dans les scènes de comédie que celles plus dramatiques. Il y a une fraicheur. Quel partenaire était-il ?

    On s'est rencontrés avant le tournage. Je suis hyper timide, peut être moins en interview car c’est un truc un peu carré. Le problème des timides, c’est quand ils rencontrent d’autres timides ! Franchement, c’est la misère sur l’échange ! Donc on s’échangeait 2-3 blagues pas très drôles, on aurait dit des gamins, un peu maladroits quoi!

    Le problème des timides, c’est quand ils rencontrent d’autres timides !

    Mais aussi parce que je l’aime bien en fait. Je suis timide avec les gens que j’aime bien. Il a quelque chose. Il est vraiment élégant, il est gentil et très séduisant je trouve. Je l’aimais beaucoup et je pense que c’est quand même mieux de jouer dans des comédies où il y a une romance avec quelqu’un –pas de tomber amoureux de lui, ce n’est pas ce que je peux dire- avec qui on peut y croire au moment où il s’agit d’inventer, et donc avec lui c’était possible.

    En plus, ce que je trouve d’assez joli dans le film, c’est qu’il y a une différence d’âge assez considérable, et ce n’est pas le propos. Ce n’est même pas qu’on le contourne pour faire genre ‘on contourne, on ne va pas parler de ça’. Ce n’est vraiment pas le propos quoi

    EuropaCorp Distribution

    C’est vrai qu’on ne se pose pas la question en voyant le film. Ce n’est pas un enjeu. C’est amusant de faire le parallèle avec 20 ans d’écart où, là, c’était justement le propos…

    Vincent (Lacoste) est très jeune, il a 22-23 ans je crois, mais il paraît plus âgé quand on le connaît. Il a une telle sagesse qu’il paraît beaucoup plus vieux et ça me sidère. Moi, j’ai 39 ans. Je vous laisse faire le calcul… Donc il y a une grosse différence d’âge.

    Je ne demande pas sur mes contrats de n’avoir que des partenaires excessivement jeunes !

    Et 20 ans d’écart, je n’avais pas 20 ans d’écart avec Pierre Niney. On m’a demandé de jouer une histoire de MILF comme on dit, de cougar, alors que j’avais 35 ans… Ouah, qu’est-ce que je vais jouer à 50 ?! (rires) Bon, à un moment donné, il faut bien assumer ce qu’on reflète quoi! Mais j’aime bien 20 ans d’écart. Après, je ne demande pas sur mes contrats de n’avoir que des partenaires excessivement jeunes ! Il y a quelque chose de très beau dans cette jeunesse là, de très séduisant.

    Je préfère bien plus ça que quand j’entends des trucs comme l’histoire de Maggie Gyllenhaal, une actrice américaine qui a 37-38 ans, à qui on a dit qu’elle était trop vieille pour jouer la femme d’un mec de 55 ! Comme si tout d’un coup à 40 ans, tu étais périmée ! Alors le désir n’est pas le même, c’est autre chose. C’est juste autre chose.

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    Concorde Filmverleih GmbH

    L’année n’est pas terminée mais 2016 a été une année assez incroyable, avec Paul Verhoeven pour Elle, Justine Triet donc…

    Oui, c’est chouette. Là ça sort, mais c’est quand j’ai fait les films que j’ai senti quelque chose de différent. C’était très bien. J’avais envie d’aller vers un cinéma, comment dire… libre. Il y a une jeunesse chez Justine (Triet), une exigence. C’est son sillon. Dans les gens qu’elle décide de prendre aussi. Il n’y a pas la petite famille qui reste toujours bien ensemble.

    J’avais envie d’aller vers un cinéma libre

    Le changement, on le sent quand on est en train de faire les choses. On le sent quand son investissement, sa croyance est à un autre niveau. Et après, c’est chouette quand ça sort, de pouvoir le présenter à Cannes, etc. Oui, ça c’est super. Mais on ne décide pas de ça avant. Je ne sais pas bien comment les choses arrivent. Mais bon, je pense que si les choses nous intéressent vraiment et qu’on en a vraiment envie, elles arrivent.

    Est-ce que vous pensez qu’il y a un projet en particulier qui a fait que ces films sont arrivés ?

    Si je devais en dire un, ce serait peut être 20 ans d’écart. C’est un film que j’aime beaucoup. D’ailleurs c’est un film qui a très bien marché. Alors qu’il a un scénario assez balisé de comédie romantique, je trouve qu’il y a du cinéma dedans. David Moreau est vraiment un réalisateur qui esthétiquement, ou dans ce qu’il raconte, a quelque chose de très beau.

    On ne sait pas très bien comment ça vous arrive. Mais si on fait des choses qui sont cohérentes par rapport à nous -on essaye en tout cas-, les gens vous voient. Et puis je n’avais pas comme volonté d’être à un endroit de réussite : "je veux faire des films qui vont faire des entrées, je veux être au sommet". Non, je veux faire des choses au moment où je les fais, avec des gens avec qui j’ai envie d’échanger. C’est la seule manière d’être un peu heureux dans l’existence quand même. Que ça ait un peu de sens. C’est partager, se sentir vivant, à cet endroit là.

    Quand ça touche le cœur, ça touche vraiment

    Après, la manière dont les choses sont perçues ensuite, évidemment qu’on espère qu’il va y avoir une résonnance. Mais ce n’est pas obligé que ce soit la plus large possible. C’est juste que quand ça touche le cœur, ça touche vraiment. Il vaut mieux jouer des choses qui nous plaisent.

    Ecce Films

    Est-ce qu’un projet comme celui-là en amène ensuite d’autres de ce style?

    Non. De faire une rencontre comme celle que j’ai faite avec Justine, ou de faire un film qui nous prend davantage, ça a des avantages et des défauts. C'est, qu’après, on se demande ce qu’on va faire ensuite. Vraiment. Je l’ai senti pendant le tournage.

    Après, j’ai tourné un autre film que j’avais déjà accepté avant, un film à tout petit budget, à 800 000 euros, qui a été tourné en 6 semaines. C’est un film d’Emmanuelle Cuau, qui s’appelle Pris de court. Elle avait fait Circuit Carole et Très bien, merci. C’était très chouette.

    Je lis des choses parfois très bien, mais je voudrais ressentir un engagement aussi fort

    Depuis, je lis des choses parfois très bien, mais je voudrais ressentir un engagement aussi fort. Et puis j’ai beaucoup tourné pendant 2 ans donc je me dis aussi que là pour le moment, tout le monde va en avoir marre, ce que je comprendrais très bien, donc je vais faire un peu d’hibernation.

    Donc c’est presque plus difficile de choisir un nouveau projet quand on a eu une expérience aussi forte…

    Oui, enfin il ne s’agit pas de devenir peureux. Et oui évidemment il y a des choses que j’aurai peut être acceptées il y a deux ans, et aujourd’hui... ce n’est pas que j’ai grandi ou je ne sais quoi, mais c’est rare un personnage qui est complexe. On n’a pas envie de revenir à quelque chose qui nous semblerait moins... Ca prend du temps, mais on ne peut pas juste attendre. Comment fait-on quand on n’est pas foutue d’écrire comme moi pour le moment ?

    C’est ce que j’allais vous demander…

    Oui, mais non, non. J’ai co-écrit 20 ans d’écart. En co-écriture je pense avoir quelques qualités, c’est autre chose d’arriver à partir de… En revanche, je peux tout à fait trouver dans un roman quelque chose d'intéressant, et pourquoi pas être au départ de certaines idées, de faire en sorte de ne pas juste attendre, de créer des choses.

    Il n’y a pas de nécessité aujourd’hui chez moi à aller réaliser

    Après, il n’y a pas de nécessité aujourd’hui chez moi à aller réaliser. Je me dis un jour je réaliserai un film, j’aurai 65 ans. Ca me permet de regarder aujourd’hui quand je suis sur un tournage, d’être en éveil comme si un jour ça allait arriver. Ca me rend plus curieuse, mais ça ne sera pas le cas maintenant. 

    Audoin Desforges

    Vous avez tourné successivement avec des femmes (Marion Vernoux, Justine Triet, Emmanuelle Cuau...). C’est un sujet qui revient régulièrement, à savoir le fait qu’il y ait moins de films réalisés par des femmes. Est-ce que c’est quelque chose qui a retenu votre intérêt, de tourner sous la direction d'une femme, dans ces différents projets?

    Non, non. Je reçois parfois des films extrêmement machistes, des propositions qui viennent de femmes et qui sont beaucoup plus machistes que des propositions masculines !

    Enfin... pour Justine, oui ! Pour son regard, sur une femme, sur ce qu’est notre époque, les violences du quotidien, la technologie, la solitude, la sexualité, l’obligation de résultats et de performances, etc. Je partage très très fort, donc oui, ça, ça m’intéresse.

    Mais je ne me dis pas, je vais aller vers les femmes. Même si je pense qu’un festival –là on est en festival- doit aller plus vers les femmes dans ses choix. Un festival ne choisit jamais les meilleurs films. Ca n’existe pas les meilleurs films. C’est subjectif. Il ne faut pas un truc sage et poli. Il faut qu’il y ait du cinéma, je ne parle pas de quota. (...) Même si aujourd’hui, ça bouge : il y a 20% de cinéastes en France qui sont des femmes. On vient de loin, de l’idée que ce sont les hommes qui possédaient la maitrise, et nous de mettre les jolies robes, et tout ça...

    Il faut qu’il y ait dans les festivals des représentations féminines fortes

    Aujourd’hui, ça va de mieux en mieux, mais du coup il faut encourager ça. Il faut qu’il y ait dans les festivals des représentations féminines fortes pour que les femmes plus jeunes qui aient envie de faire ça aient des exemples. Et ne pas dire ‘mais enfin tout va bien il y a Agnès Varda’. Oui, oui, il y a Jane Campion, d’accord. Il y en a beaucoup. Je pense que Justine (Triet) n’a pas souffert d’être une femme, et quand je vois aujourd’hui; entre Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Valérie Donzelli, Katell Quillévéré, quantité que j’oublie... Catherine Corsini qui a un hommage ici (au Festival d'Angoulême) et qui a un discours très intéressant d’ailleurs, assez pointu et engagé sur les femmes au cinéma. Il faut encourager ça de toutes manières possibles.

    La bande-annonce de Victoria, en salles ce mercredi :

     Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2016

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