Les Amants de Caracas, Desde Allá – littéralement « De là-bas » – en version originale, est le premier long métrage du cinéaste vénézuélien Lorenzo Vigas. C’est aussi le premier film du jeune acteur Luis Silva, qui crève l’écran aux côtés du comédien chilien Alfredo Castro dans ce très beau drame intimiste où la misère émotionnelle côtoie l’effervescence et la violence de la rue. A la dernière Mostra de Venise, le jury présidé par Alfonso Cuarón lui a attribué le Lion d'or, qui équivaut à une Palme d'or au Festival de Cannes. Venu présenter son film en avant-première à Paris, Lorenzo Vigas a répondu à nos questions.
Vous avez réalisé un film avec un sujet très fort. En racontant l’histoire d’Armando et Elder, est-ce que vous vouliez faire un film politique ?
Non, ce n’était jamais mon intention. Ce qui m’intéressait, c’était seulement de raconter une histoire sur un handicapé émotionnel. L’histoire d’Armando, ce prothésiste dentaire qui n’a pas les moyens de développer une connexion émotionnelle avec les gens. Après, quand j’ai décidé de situer mon film au Venezuela, à Caracas, je me suis rendu compte de la dimension politique percutante du sujet. Vous savez, on fait souvent les choses sans savoir vraiment pourquoi on les fait, de façon inconsciente, et ce n’est qu’a posteriori qu’on comprend. Mais c’est sûr que quand on voit le film, on s’aperçoit qu’il y a un rapport très direct avec le contexte social et la situation aujourd’hui au Venezuela.
Les rues, la ville de Caracas, sont comme un troisième personnage du film. Comment avez-vous voulu filmer la ville ? Quelle image avez-vous souhaité montrer ?
C’était fondamental pour moi qu’Armando, qui n’est pas capable d’avoir un contact avec les gens, soit filmé dans les rues de Caracas, qui représentent tout son contraire : c’est très physique, tout le monde se touche. Je trouvais ce paradoxe fascinant, ce contraste avec la psychologie du personnage donne à la ville un caractère très important dans le film. C’était absolument essentiel de faire de Caracas un personnage à part entière, car c’est un personnage opposé de manière psychanalytique à Armando. Dans une autre mesure, cela me semble intéressant à un moment où il y a un manque de dialogue au Venezuela. Le gouvernement n’échange plus avec le peuple, le dialogue entre les différentes classes sociales s’est également cassé. Les rues de Caracas permettent de souligner l’euphorie et le chaos, c’est la raison pour laquelle on a tourné sans contrôler les rues, pour garder cette énergie dans le film.
Quelle scène a été la plus forte émotionnellement à tourner avec vos acteurs ?
Il y a plusieurs scènes très fortes dans le film, mais je pense que les scènes plus intimes, à la toute fin du film, entre Armando et Elder, étaient les plus chargées en émotions. On avait un acteur reconnu, Alfredo Castro, et un jeune comédien qui n’avait jamais été devant une caméra : Luis Silva, qui je pense va être un très grand acteur. Il a un talent immense. C’était son premier film et il a été incroyable, je suis très content de son travail. Il a obtenu le prix d’interprétation dans plusieurs festivals, notamment au festival du film de San Sebastián et au festival d’Amérique latine de Biarritz. Je suis sûr qu’on assiste ici à la naissance d’un acteur et qu’il va faire une grande carrière.
Propos recueillis par Léa Bodin