A l'occasion du Festival du film francophone d'Angoulême 2015, où elle venait présenter un film d'André Delvaux, AlloCiné a pu s'entretenir avec une icône du cinéma de Jean-Luc Godard, Anna Karina, qui a tourné 7 films avec le cinéaste, qui a également été son époux. Pour les 50 ans de la sortie de Pierrot le fou aujourd'hui, nous vous proposons de découvrir cette interview pendant laquelle nous l'avons invitée à commenter quelques photos et vidéos...
AlloCiné : D'abord quelques mots sur votre présence à Angoulême. Pouvez-vous nous parler de l'accueil que vous avez reçu ici ?
Anna Karina : C’est la première fois que j’assiste à un festival à Angoulême. C’est une ville absolument magnifique, j’adore. On se serait crû à Cannes, il y avait un monde fou. Je ne m’attendais pas à un truc pareil. Je pense aussi que ça vient beaucoup de Dominique Besnehard. Je le connais depuis très longtemps.
Je suis venue présenter un film très ancien d’André Delvaux, Rendez-vous à Bray. J’ai tourné deux films avec ce réalisateur, Rendez-vous à Bray et L’œuvre au noir. C’est quelqu’un de tellement humain et merveilleux. C’était une personne extraordinaire qui me manque beaucoup. J’ai adore tourner avec lui.
Pour la petite histoire, quand on a tourné Rendez-vous à Bray, je jouais une pièce au théâtre tous les soirs, dans un grand théâtre, à L’Athénée à Paris. J’avais la loge de Louis Jouvet. On tournait à 80 km de Paris et il neigeait. Il fallait que je sois au théâtre avant 21h. J’avais le grand rôle, celui d’Ernestine, dans une pièce d’Eric Westphal (Toi et tes nuages, Ndlr.). J’avais tellement peur d’être en retard au théâtre. Ca ne l’aurait pas fait quoi ! Je disais à André, à partir de 17h, s’il te plait, laisse moi partir. Il me disait : ne t’inquiète pas. Je commençais à devenir très nerveuse. Et lui me disait : 'mais non, ma petite Anna, encore un petit plan !' J’ai réussi à ne pas être en retard au théâtre, mais je me suis dit : plus jamais ça !
Bande à part
Ah oui, c’est le Madison, avec Claude Brasseur et Sami Frey. Bande à part, un film de Jean-Luc Godard bien sûr. On a fait trois prises. Pour la petite histoire, il a réussi à monter les trois prises en une seule prise. Je ne sais pas comment il a fait. C’est un plan séquence, normalement on ne coupe pas. Il s’est débrouillé pour attraper le mouvement pour pas que ça se voit.
Vous avez tourné beaucoup de films avec Jean-Luc Godard. Y en a-t-il un qui vous tient plus particulièrement à coeur ?
Je ne peux pas dire et je vais vous expliquer pourquoi : ce sont des films tellement différents. C’est comme comparer une rose avec un camélia, ou quelque chose comme ça. J’ai quand même tourné 7 films et demi avec lui. Ce sont des rôles et des sujets tellement différents. Eventuellement Pierrot le fou. Mais en même temps, j’adore Vivre sa vie…
Et le film dont on vous parle le plus souvent ?
Ca dépend des pays. En Angleterre, c’est plutôt Alphaville. Au Brésil, aussi. Il y a d’autres pays où c’est plutôt Vivre sa vie. Ailleurs, c’est Bande à part, ou alors Une femme est une femme. C’est très curieux ça.
La Religieuse
Ca c’est La Religieuse. A l'époque, quand je la jouais, dans le théâtre des Champs Elysées, avenue Montaigne, tout le monde pleurait, tout le monde trouvait ça vraiment touchant. Et tout à coup, quand on l’a fait au cinéma, avec le même metteur en scène, Jacques Rivette, ça a fait un scandale atroce. C’était affreux. C’était dans tous les journaux pendant des mois. On avait blasphémé l’Eglise alors que c’était un chef d’œuvre de Diderot, et c’est Jean Gruault qui a fait l’adaptation qui est magnifique.
Nous on ne comprenait pas ce qui nous arrivait, ça a été terrifiant. Tout ça parce qu’elle ne veut pas être religieuse. C’est ça l’histoire de la religieuse de Diderot. Mais elle ne dit pas qu’elle n’est pas croyante. Elle ne veut pas être forcée, contrainte, enfermée. Et puis il y avait le rôle de Liselotte Pulver qui est une religieuse lesbienne, ça a été très mal vu, mais ça existe toujours dans la religion. Ca les a beaucoup gêné. On s’est fait insulter, le film a été interdit. Blasphème. Jacques Rivette n’a pas compris pourquoi.
Katerine
C’est un copain. Pendant 8 ans, on n’a pas arrêté de faire des tournées. Nous sommes allés partout. On a fait tous les pays de l’Est, en Suisse, en Belgique, en Espagne, au Japon plusieurs fois, au Canada... On a fait un album qui s’appelle Une histoire d’amour. Car c’était comme une histoire d’amour entre moi et les musiciens.
Et on peut relier cet album à Victoria…
Oui, mais il n’a pas pu le faire, donc je l’ai fait avec des Canadiens. Victoria est mon 2eme film, j’avais déjà tourné en 1972. Mon premier film s’appelle Vivre ensemble. Il a quand même été sélectionné pour la Semaine de la critique à Cannes.
Pouvez-vous nous parler de cette expérience de réalisation ?
A force de faire beaucoup de films, avec de très grands réalisateurs, comme Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Visconti, George Cukor, Volker Schlondorff, Eric Rohmer, André Delvaux et beaucoup d’autres, à un moment donné, je me suis dit, je vais essayer de faire une petite histoire que je vais produire moi-même.
A l’époque, c’était très mal vu. Il n’y avait pas de femme metteur en scène en France. C’est arrivé après. Des actrices qui faisaient des films, c’était rare. Tout le monde me dit : 'elle est gonflée celle-là'. Donc j’ai écrit cette histoire très simple, qui ne coûtait pas cher. Il y a quand même une semaine à New York, mais ça n’a pas dépassé les 50 briques comme on disait à l’époque. C’est mon petit film, mon premier film, comme un enfant.
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