D'Alexi Mathieu, héros d'"Une Enfance"...
"J'ai le projet de reprendre le personnage interprété par Alexi Mathieu dans 4 ou 5 ans, puis encore après dans 4 ou 5 ans, afin de photographier trois fois sa vie à des moments différents."
Rencontré à l'occasion de la promotion d'"Une Enfance", en salles depuis mercredi, le réalisateur et auteur Philippe Claudel nous a longuement parlé du héros de son film dont il a choisi ici, de peindre la pré-adolescence. Entouré d'une mère déphasée, excessive et contradictoire dans l'expression de ses sentiments (remarquable Angelica Sarre) et d'un beau-père vulgaire, aigri et violent (stupéfiant Pierre Deladonchamps), Jimmy est un jeune garçon de 13 ans tantôt taciturne, tantôt lumineux ; blessé mais déterminé à ne pas laisser se gâcher l'enfance qui est la sienne.
"A la fin du film on le quitte en se demandant ce qu'il va devenir. Est-il suffisamment costaud pour être un résilient et rebondir. Ou sera-t-il dans une reconstruction de schémas ? "
Désireux de retravailler avec son formidable jeune acteur qui, confie-t-il, dès la première scène d'audition était stupéfiant et émouvant de justesse, Claudel perçoit déjà en lui le potentiel que François Truffaut avait dû repérer chez Jean-Pierre Léaud, alias le célèbre Antoine Doinel :
"Il est arrivé, a joué la scène, c'était lui ! Il a en effet ce quelque chose qu'on a pu ressentir face au jeune Tadzio de Mort à Venise ou Antoine des 400 coups. Cela dit, le plan final du film n'est pas un hommage conscient aux film de Truffaut. Cela n'était pas prémédité car ce regard et ce sourire final ont été en fait improvisés."
... à Jean-Pierre Léaud des "400 coups" et Ellar Coltrane de "Boyhood"
On a quoi qu'il en soit hâte de retrouver Alexi Mathieu dans quelques années, et de suivre son avancée à la Doinel vers l'âge adulte et la maturité. De 1959 à 1979, Truffaut avait pour rappel, retracé l'enfance, les premières amours et les amours tout court (mariage et divorce compris) de son "enfant terrible" incarné par Jean-Pierre Léaud, un héros rebelle, nourri de la vie et des expériences du cinéaste lui-même
A noter également que plus récemment avec Boyhood, Richard Linklater a livré le fruit de son travail de plusieurs années aux côtés du jeune acteur Ellar Coltrane, qu'il a suivi sur une période de 12 ans, retraçant en un seul film l'évolution du héros qu'il incarne. Agé de 6 ans en 2002, Coltrane en a 18 en 2014, lorsqu'il cesse d'incarner Mason, enfant confronté aux déménagements, aux rentrées des classes, aux premiers émois et aux petits riens et grandes décisions qui rythment la jeunesse et préparent l'âge adulte.
"Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à cet âge-là, on n'a pas de pudeur par rapport à un regard, à l'image que l'on renvoie aux autres. Je ne sais pas si avec l'âge, si on retravaille ensemble plus tard, Alexi Mathieu continuera à être comme ça, détaché, libre et sans souci." (Philippe Claudel)
Si l'on en croit les propos de Truffaut et de Linkater, l'une des solutions consisterait à nourrir le personnage de ce que vit son interprète, en associant et fusionnant autant que possible les identités : "Avec le temps, Antoine est devenu "la synthèse de deux personnes réelles, Jean-Pierre et moi", confiait le premier dans Les aventures d'Antoine Doinel. "Chaque année lorsqu'on se retrouvait, je demandais à Ellar où il en était et j'adaptais le personnage à sa propre progression, de telle sorte que sa vie et celle de Mason se confonde et qu'il construise avec moi ce personnage", ajoutait de son côté le second.
Il y a fort à parier que l'écrivain, scénariste et ancien professeur Philippe Claudel sache également comment façonner ce projet en collaboration étroite avec ce héros déjà si proche de lui et de ce qu'il a expérimenté. A suivre donc...
Découvrez en images Alexi Mathieu, l'Antoine Doinel de Philippe Claudel