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    Bébé Tigre : "Mettre le spectateur dans la situation d’urgence permanente que vivent ces jeunes"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    AlloCiné s'est entretenu avec Cyprien Vial, réalisateur du premier long métrage "Bébé tigre", à l'affiche ce mercredi. "Un récit initiatique, avec le rythme du polar, tendu, haletant et sec".

    Dharamsala & Darius Films

    AlloCiné : Bébé Tigre est votre premier long. Pouvez-vous nous parler en quelques mots de votre parcours avant ce film?

    Cyprien Vial, réalisateur et scénariste : Mon désir de cinéma s’est affirmé assez tard, mais de façon irrépressible : il fallait y aller. Confronté au monde du travail dans le cadre d’études de commerce, j’ai pris conscience que j’avais besoin pour m’épanouir de m’investir pleinement dans des projets qui me tiennent totalement à coeur, qui me confrontent aux autres et à leurs ambivalences dans une position d’observateur-créateur. La fémis était une chance pour moi qui n’avais aucun contact dans le monde du cinéma. On y apprend en faisant et on est libre d’y faire à peu près tout ce qu’on veut.

    J’y ai réalisé mes premiers courts métrages, dont Dans le rang, primé à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2006. C’est grâce à ce film que j’ai rencontré Emilie Tisné (Darius Films) et Isabelle Madelaine (Dharamsala), qui ont produit Madame, le court métrage que j’ai tourné en sortant de l’école en 2008 avec Nicole Garcia et Johan Libéreau.

    Elles m’ont ensuite accompagné sur Bébé tigre. C’est elles qui m’ont encouragé à construire une fiction autour de mon désir de filmer des jeunes gens, alors qu’elles constataient mon enthousiasme à raconter les ateliers vidéo que j’animais dans des classes du collège Jean Lolive de Pantin entre 2009 et 2011.

    Le tigre protège les siens, comme ces jeunes gens qui doivent envoyer de l’argent à leurs familles et le font fièrement. Le bébé, lui, ne maîtrise pas encore ses crocs et ses griffes.

    Le titre du film est intrigant. Comment et pourquoi l'avez-vous choisi ?

    L’image du bébé tigre est apparue immédiatement lors d’un entretien avec un mineur isolé d’origine pendjabi. Le tigre protège les siens, comme ces jeunes gens qui doivent envoyer de l’argent à leurs familles et le font fièrement. Le bébé, lui, ne maîtrise pas encore ses crocs et ses griffes. Il peut les sortir à tout instant, maladroitement, instinctivement... là encore, comme ces jeunes gens. Le film raconte comment Many sort les griffes pour la première fois, dans un contrôle très relatif.

    Dharamsala & Darius Films

    Quel a été le point de départ du scénario ? Êtes-vous parti d'une histoire observée dans votre entourage? De reportages que vous aviez lu autour de cette communauté peu représentée dans le cinéma français? Quel a été le déclic, pour résumer ?

    Le point de départ, c’est ma rencontre avec ce statut de mineur isolé étranger, dont j’ignorais l’existence. Je ne savais pas qu’aux yeux du droit de la protection à l’enfance, l’Etat français se doit de prendre en charge tout enfant de moins de 18 ans arrivant seul sur notre territoire. Un garçon d’une des classes où je faisais les ateliers à Pantin était dans cette situation. Il venait du Bengladesh et avait dû fuir le pays pour des raisons politiques. Nous sommes restés en contact après les ateliers et il s’est peu à peu confié.

    Son histoire, très dure, a stimulé un travail d’enquête autour de la question des mineurs isolés étrangers.

    Son histoire, très dure, a stimulé un travail d’enquête autour de la question des mineurs isolés étrangers. Pendant plusieurs mois, j’ai rencontré des éducateurs, des juges, des responsables d’associations, des services de polices aussi et le micro phénomène migratoire des jeunes mandatés originaires du Pendjab au nord-ouest de l’Inde a particulièrement attiré mon attention, réveillant des questions qui me travaillent depuis longtemps, en particulier le rapport à l’autorité, aux autorités, d’un jeune homme en construction.

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    Le fait d’être à la fois très entouré et totalement seul est une autre ambivalence propre à l’adolescence qui se trouve décuplée dans la situation de ces jeunes. Les adolescents mandatés pendjabis, envoyés en France via des filières mafieuses et devant rembourser la dette contractée par leurs parents les place par ailleurs dans une situation de conflit inextricable. Dès lors qu’ils sont pris en charge, s’ils en ont l’opportunité et la chance, gérer les injonctions contradictoires de leurs parents réclamant de l’argent et celles de la République leur interdisant de travailler relève du défi que même le plus super des super-héros ne pourrait relever. Enfants aux yeux de l’Etat, adolescents presque comme les autres à certains endroits, ce sont des responsabilités d’adulte que leurs parents leur ont confié. La fierté douce et le courage avec lesquels les jeunes gens que j’ai rencontrés gèrent tout cela m’a bouleversé.

    C’est un récit initiatique, dont je souhaitais que le rythme soit celui du polar, tendu, haletant et sec.

    Le désir de fiction est né parce que j’ai vu en eux des héros. Contraints de mentir à presque tout le monde, d’avancer sur tous les fronts à la fois, une épée de Damoclès sur la tête, ces jeunes gens sont des aventuriers, victimes et acteurs d’une situation qui flirte tour à tour avec la tragédie et la comédie de la vie. La dureté lumineuse de leurs regards m’a donné envie d’écrire une fiction sombre et lumineuse à la fois. Le film est un compte-rendu émotionnel de mes rencontres. Il s’inspire de plusieurs trajectoires de vie, les respecte je l’espère, tout en prenant des libertés. C’est un récit initiatique, dont je souhaitais que le rythme soit celui du polar, tendu, haletant et sec. J’ai voulu mettre le spectateur dans la situation d’urgence permanente que vivent ces jeunes.

    Dharamsala & Darius Films

    Quels sont les cinéastes vous ayant donné envie de faire du cinéma, et ayant peut être eu une influence directe sur ce film, vos partis pris esthétiques ?

    C’est d’abord la salle de cinéma qui a changé ma vie. Lorsque vers l’âge de 9-10 ans je suis allé voir des films tout seul au festival du jeune public de Laon, dans l’Aisne. Je pouvais y aller à pied et comme personne dans mon entourage n’était spécialement cinéphile, c’était une aventure solitaire exaltante. La salle, les films, me mettaient dans un état étrangement agréable, euphorisant. J’aimais bien ne pas tout comprendre et ressentir des choses nouvelles, sur lesquelles je n’arrivais pas spécialement à mettre de mot. Bref, c’était grisant.

    Adolescent, j’ai été très marqué par Short Cuts de Robert Altman, que j’ai dû aller voir trois fois la semaine de sa sortie, tellement j’aimais le regard acerbe et l’amour vache porté aux personnages. J’adore aussi Nashville et Un mariage, où Altman se pose à mes yeux en grand manitou humaniste. Orgie de personnages, mélange de légèreté et de gravité. J’ai aussi été marqué par le travail d’André Téchiné, je revois A nos amours de Pialat régulièrement et Femmes au bord de la crise de nerfs ou Meurtre mystérieux à Manhattan, mes comédies préférées.

    Je ne suis influencé consciemment par personne, mais certainement nourri par le travail de plein de gens

    Les premiers films de Naomi Kawase (Suzaku) et Bruno Dumont (La vie de Jésus) m’ont autant marqués que Doom Generation d’Araki, Crash de Cronenberg ou O fantasma de Joao Pedro Rodrigues (mes trois film érotiques préférés). Les visages dans les films de Bergman, la gouaille des actrices de Kechiche... Je ne suis influencé consciemment par personne, mais certainement nourri par le travail de plein de gens.

    Dharamsala & Darius Films

    Pendant la préparation de Bébé tigre, avec le chef opérateur Pierre Cottereau et la chef déco Sophie Reynaud, nous avons regardé quelques films afin de nourrir nos dialogues, en guise de repères plus que comme des références absolues. Sweet sixteen, exclusivement tourné au 50mm, nous a convaincu d’opter pour la même focale. Fish tank a en partie nourri le travail sur les décors. Le film s’invite dans plusieurs types d’habitats très différents et je souhaitais tourner « chez des vrais gens », où il s’est agi d’aménager l’espace pour qu’une ligne générale cohérente se dégage.

    Sinon, j’ai montré aux apprentis comédiens La nuit américaine, pour qu’ils se familiarisent avec les métiers du plateau. Et Harmandeep Palminder, qui interprète Many, de tous les plans du film, a beaucoup aimé observer le jeu de Tahar Rahim dans Un prophète. Autres films de chevet pendant la préparation : Khamsa de Karim Dridi et La promesse des frères Dardenne : des trajectoires directes, un point de vue de personnage unique, des condensés d’humanité durs et lumineux à la fois. 

    Je voulais mettre les acteurs dans un écrin de cinéma sans les contraindre dans leurs mouvements

    J’ai voulu filmer à l’épaule, relativement près des personnages. Je voulais mettre les acteurs dans un écrin de cinéma sans les contraindre dans leurs mouvements. La caméra s’adaptait à eux plus que l’inverse et nous souhaitions, avec Pierre Cottereau, nous laisser déborder. Ni Pierre ni moi n’avions travaillé de cette façon et notre entente s’est construite autour du défi de ne pas trop chercher à tout maîtriser. La narration du film étant assez verrouillée, je voulais tenter en son sein de capter des instants de vie. Le rythme du film étant tendu, un certain nombre de séquences longues, moins narratives, que j’aimais beaucoup ont dû être réduites pour que la tension demeure.

    Dharamsala & Darius Films

    On note au générique que Céline Sciamma (Bande de filles) et Marie Amachoukeli (coréalisatrice de Party Girl) ont collaboré au scénario en tant que consultantes. Pouvez-vous nous parler des conseils qu'elles vous ont donné ?

    Marie avait co-écrit mon court-métrage « Madame » et j’ai fait la connaissance de Céline à La fémis dans le cadre d’ateliers de jeu qu’elle avait contribué à monter pour les élèves. Marie est intervenue à la fin de mon travail d’enquête, pour m’aider à trouver une ligne narrative de fiction claire, simple et directe.

    Je suis obsédé par les détails, j’ai tendance à vouloir rendre compte de toutes mes observations sur le terrain et Marie m’a aidé à entrer dans la fiction en faisant des choix, à oser vulgariser le réel, au sens noble du terme.

    Céline est intervenue plus tard, au moment du passage de ce qu’on appelle le traitement à la forme dialoguée du scénario. Une étape décisive en termes de structure.

    Un mot également sur la musique. Qu'est-ce qui vous a guidé dans vos choix musicaux ?

    Je voulais que la musique ancre le film dans la fiction. J’ai découvert le travail de Léonie Pernet pendant la préparation du film et ses mélodies à la fois mélancoliques et gaies m’ont emballé. Léonie est très jeune mais, comme sa musique, elle a un côté « ado de soixante ans » : très enfantine et tout à fait grave à la fois. Comme Many. Dans le film, sa musique est tour à tour pop, hip-hop ou d’inspiration plus classique façon Satie.

    On entend aussi à plusieurs reprises le morceau « Baagi music » de rap-pop du rappeur canadien d’origine pendjabi Humble the poet, qui est porteur d’une grande énergie.

    Quels sont vos projets? Avez-vous d'ores et déjà lancé l'écriture d'un nouveau scénario ?

    Je collabore depuis deux ans à l’écriture du projet de comédie romantique d’Océanerosemarie, dont elle sera l’héroïne et que nous co-réaliserons, et qui sera produit par la société Nolita. Les productrices de « Bébé tigre » m’accompagneront, par ailleurs, dans l’écriture d’un nouveau projet de fiction.

    La bande-annonce de Bébé Tigre :

     

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