AlloCiné : Votre film était présenté pour la première fois au public (entretien réalisé pendant le Festival du film francophone d'Angoulême, Ndlr). J'imagine que vous étiez dans la salle pour sentir la réaction du public...
Frédéric Tellier, réalisateur : C’est un film très particulier. L’histoire est très forte. Il y a une charge émotionnelle très puissante parce que c’est une histoire vraie, récente. Nous avions fait quelques projections à Paris de test, de l’équipe, des gens qui travaillent autour, de quelques proches... C’est un film qui choque, un film à réflexion, à partager une émotion avec les gens. La projection d’hier (à Angoulême) a confirmé ça... Il a cette proposition-là.
Vous dites "un film qui choque". Vous avez pris le parti entre autres de montrer des photos assez crues, et ce dès le début du film. Comment avez-vous cherché à doser la violence des images ?
Vos mots sont précis. J’ai essayé de doser, déjà dans le récit même, de ne absolument pas avoir le point de vue de l’horreur, c’est-à-dire du tueur, donc d’être toujours avec les enquêteurs, ou plus tard, ceux qui subissent le mal, en décalé toujours.
Ne pas trop montrer, être respectueux des victimes
On aura toujours l’impression que c’est une reconstitution pour le cinéma. En fait, c’est très proche de ce qu’il s’est passé en vrai. Je dirais que l’écran cinéma et fiction protège quand même un peu de la réalité, même si c’est très réaliste. Voilà, j’ai essayé de ne pas trop montrer, d’être respectueux des victimes. Pour autant, de temps en temps, il faut montrer une scène de crime ; ça construit l’émotion des personnages réelle qui étaient confrontés à ça, cette réalité-là.
Ce dosage de la violence a-t-il fait l'objet de débat, de discussions, avec vos producteurs par exemple ?
Cela a été une vraie réflexion de travail au moment de l’écriture, réfléchir jusqu’où on allait, pourquoi on allait là, et comment le faire en étant, une fois de plus, respectueux de cette affaire, des victimes et des familles de victimes. Mais d’être réaliste quand même. D’avoir quelque chose qui n'est ni trop édulcoré, ni trop voyeur.
Le film laisse une assez large place au personnage de Guy Georges, notamment dans les scènes de procès. Sur quels éléments vous-êtes vous basé pour le personnifier ? Il y a toujours la question de garder la bonne distance...
Oui, d’autant qu’à titre personnel je n’ai aucune sympathie pour lui, aucun intérêt. Je n’ai pas voulu le rencontrer. C’est vrai qu’au fil de l’écriture, à partir du moment où je prenais un parti d’être honnête dans les faits, il fallait que je m’intéresse un peu à lui.
Concrètement, c’est passé par une recherche très longue de l’acteur qui allait l’incarner, parce que au-delà des qualités techniques de l’acteur (le choix s'est porté sur Adama Niane, Ndlr.), il fallait qu’il ait une conscience morale de faire ce personnage, et dans conscience morale, j’entends qu’il ait l’aptitude de se mettre à distance, à l’interpréter mais être à distance du personnage.
Il fallait qu’il ait une conscience morale de jouer le personnage de Guy Georges
Après, l’écriture, la préparation du projet s’est faite avec plusieurs aides : d’un côté, toute la connaissance policière, avec la documentation côté enquêteurs du 36; d’un autre côté, j’avais toute la documentation des avocats. Les deux ont lu en permanence les parties de scénario qui les concernaient. Au milieu, j’avais une journaliste qui avait enquêté sur cette affaire, qui a sorti un livre, Patricia Tourancheau, qui me remettait souvent dans le juste milieu. De tout ça sont nés les personnages. Evidemment je n’ai pas contacté Guy Georges pour avoir son point de vue, c’était totalement indécent et je n’avais pas cette énergie-là. Mais je pense que c’est très précis d’après tout ce qu’on m’a raconté des deux côtés.
Est-ce que le comédien qui l’incarne, Adama Niane, à cherché à le rencontrer ?
Non, pour au moins deux raisons : d’abord, ce n’est pas possible de le rencontrer. Il est à l’isolement. C’est un détenu qui n’est pas simple d’accès. D’ailleurs, Patricia Tourancheau m’a raconté que même dans son enquête, elle n’a pas pu avoir accès à lui. Et par ailleurs, pour une question morale, ni l’acteur, ni moi n’avions envie de le rencontrer. C’est horrible ce qu’il s’est passé. Nous en avons un dégout profond. Nous ne racontons pas sa trajectoire, nous la racontons à travers les personnages. Nous nous sommes basés sur des procès-verbaux, le reste était sur les documents officiels.
Vous avez eu accès au 36 quai des orfèvres pour tourner. Vous faites partie des tous premiers tournages à y avoir eu accès. Est-ce que cela a été particulièrement inspirant de pouvoir y poser votre caméra?
Oui, inspirant, porteur à deux niveaux. D’abord, le parti pris très réaliste du film, la volonté de coller à la réalité. C’était un moyen super d’accéder à ça. Nous avons été soutenu et aidé par le 36. L’autre niveau, c’était le côté émotionnel. C’est probablement la plus grosse affaire de la police judiciaire et du 36. C'est une affaire qui a été très marquante, très traumatisante, très longue sur laquelle les autorités ont peu communiqué. Je pense que pour les enquêteurs et l’ensemble du 36, c’était un peu rendre justice de parler de cette affaire sans parti pris autre que d’être réel. Ils nous ont fait confiance dès le départ.
C'est une affaire qui a été très marquante, très traumatisante
Leur confiance nous a beaucoup aidés à comprendre comment ça s’est passé, ne serait-ce que de voir le 36. Nous avons reconstitué un certain nombre d’endroits à l’identique. Comme nous le montrons dans le film, de voir qu’il n’y avait pas d’ordinateur, pas de téléphone portable, pas de technologie moderne… Ce ne sont que des humains, des cerveaux qui réfléchissent… L'atout des enquêteurs de la criminelle est que le temps compte moins pour eux qu’une autre affaire. Le but est d’arrêter le gars un jour. Ils prennent leur temps pour décrypter des grilles de lecture compliquées d’une affaire comme celle-là.
Vous travaillez actuellement sur un nouveau long métrage avec le même producteur que L’Affaire SK1. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ou est-il trop tôt encore pour nous en dévoiler le sujet ?
Nous avons commencé l’écriture. Comme c’est une affaire très complexe, cela fait deux ans que nous travaillons sur la documentation. C’est un film à charge contre les pesticides et les OGM, sur l’espèce de mafia et d’omerta sur cet empoisonnement planétaire que nous sommes en train de subir, pour ne pas utiliser le mot de génocide…
Partez-vous d’un cas particulier ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Nous nous inspirons de pas mal de choses pour créer une histoire un peu plus fictionnelle que L’Affaire SK1, basée sur plein d’histoires qu’on recoupe, de gens qu’on a rencontré. L’étincelle de départ a été le constat de la recrudescence des cancers chez les agriculteurs.
Raphael Personnaz sur la piste de Guy Georges :
Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2014