Eleanor Rigby, c'est Jessica Chastain. Et face à elle, on retrouve James McAvoy, figure centrale du volet Him et qui partage le coeur du récit de Them avec l'actrice. Après un passage express au dernier Festival de Cannes, où le troisième long métrage a été présenté dans la catégorie Un Certain Regard, c'est au téléphone que l'acteur écossais revient avec nous sur ce projet hors du commun, à l'occasion de sa sortie sur Netflix.
AlloCiné : "The Disappearance of Eleanor Rigby" est un projet pour le moins original, avec cette histoire développée sur trois films et avec autant de points de vues différents. A quel point cet aspect a-t-il compté dans votre envie d'en faire partie ?
James McAvoy : Pour être honnête avec vous, j'ai signé pour jouer dedans sans savoir qu'il s'agirait de deux, puis trois longs métrages. Je pensais qu'il ne s'agissait que d'un film, et je trouve que c'est important car ce concept, qui consiste en trois films et différents points de vue, est très cool. Mais ça n'est que ça : un truc cool. Et ce n'est pas suffisant car il faut également avoir une très bonne histoire.
J'ai donc signé en pensant que ce n'était qu'un seul film, et c'est entièrement de ma faute. Mais ce film possédait une histoire suffisamment bonne, donc l'idée des deux longs métrages n'était pas importante. Quand j'ai appris que The Disappearance of Eleanor Rigby serait fait ainsi, j'ai trouvé que ce serait encore mieux. Mais j'avais signé pour ce que je pensais n'être qu'un film (rires)
Comment le projet vous a-t-il été présenté ?
De façon classique et ennuyeuse, à l'ancienne. C'était il y a environ six ans : le réalisateur et la productrice Cassandra Kulukundis ont envoyé le scénario à mon agent. Je l'ai lu et, pour être honnête avec vous, je l'ai trouvé trop proche de ce que je vivais à l'époque. Je n'ai donc pas voulu le faire car il y était question d'un couple face à la perte d'un être cher, et que je venais d'être père, donc c'est quelque chose que je ne voulais vraiment pas explorer à l'époque.
Mais ils sont revenus à la charge quelques années plus tard, et le fait d'être père depuis aussi longtemps fait que ça n'était plus aussi important (rires) Je veux dire par là que, malgré ce qu'elle contient, cette histoire était devenue moins douloureuse à jouer pour moi. Au-delà de ça, on m'a présenté le projet de façon habituelle et un peu ennuyeuse.
Je me sens mieux si je ressens quelque chose dans tout mon corps
Qu'avez-vous en commun avec le personnage de Conor, en plus de la parternité dont vous parliez ?
En-dehors de ça ? Je dirais que nous sommes tous deux bien éduqués, mais lui vient d'un milieu plus aisé que le mien. Ensuite, nous sommes tous deux créatifs, même si je suis un artiste et lui un homme d'affaires, certes créatif. Mais je suis plus sensible et plus disponible sur le plan affectif que lui, dans ma façon de ressentir les choses et d'y réagir : il y autant à la surface qu'au fond de moi, alors que lui a davantage tendance à intérioriser pour ne rien laisser paraître.
Nous sommes donc similaires dans le sens où nous avons tous deux une grande profondeur émotionnelle. Mais lui ne sait pas comment gérer ça, alors que moi si. C'est sans doute parce que je suis acteur, mais il me semble avoir toujours su. Je sais que je me sens mieux si je ressens quelque chose dans tout mon corps.
Le personnage d'Eleanor Rigby a été écrit pour Jessica Chastain, mais pas le vôtre. Avez-vous travaillé avec Ned Benson pour l'adapter à vous-même ?
Non pas vraiment. Je pense que, la plupart du temps, il faut se plonger dans le personnage et ne pas toujours chercher à l'adapter à soi-même, sinon vous délivrez la même performance dans chaque film. Ceci étant dit, la caractérisation de Conor n'est pas massive : ce n'est pas comme jouer un plongeur sous-marin alcoolique en voyage sur Mars où il rencontre son père qui est un Martien. Je ne joue pas un type qui m'est étranger à ce point, mais quelqu'un dont il est plus facile d'imaginer qui il est et ce qu'il traverse. Il n'y a donc pas eu besoin de l'adapter à moi-même.
Comment les deux films ont-ils été tournés ? En séparant bien les scènes que vous avez en commun puis celles de "Him" et celles de "Her", ou était-ce mélangé ?
C'était vraiment mélangé, car nous devions faire ce qui demandait le moins en matière de temps et d'argent. J'ai débuté en tournant toutes mes scènes avec Ciaran [Hinds, interprète de son père, ndlr] donc je n'ai pas vu Jessica pendant quelque chose comme dix jours. Puis les choses difficiles ont commencé car nous tournions une scène selon mon point de vue, puis selon le sien, puis une scène où nous sommes à égalité. Le planning était vraiment serré et il était vraiment facile de s'embrouiller.
Comme nous le disions précédemment, "Eleanor Rigby" est un projet inhabituel. Pensez-vous que le cinéma manque d'idées de ce genre en ce moment ?
Enormément de films sortent, et il y en a de très bons. Mais lorsqu'il s'agit de jouer avec le format, avec l'idée de l'écran de cinéma et de ce qu'il peut faire, je pense que nous sommes effectivement limités. Il y a peu d'innovations concernant notre façon de regarder les films, à part la 3D ou le cinéma dynamique avec les fauteuils qui bougent. Avec ce film, Ned expérimente sur la façon de regarder, et l'art cinématographique. Il interroge notre façon de voir un film, et j'aime ça.
Plus besoin de regarder ce que le cinéma vous met devant les yeux
Les trois films sont diffusés directement sur Netflix en France. Qu'est-ce qui a changé pour les films avec cette plateforme selon vous ?
Netflix offre plus de choix. Vous n'avez plus besoin regarder uniquement ce que le cinéma du coin vous met devant les yeux ou ce que les distributeurs qualifient d'incontournable ou de cool. Vous pouvez chercher ce qui vous plaît le plus, donc il y a plus de choix et c'est fantastique. L'inconvénient, ce que dit Viola Davis à Jessica Chastain dans l'une des répliques d'Eleanor Rigby : "Oh ferme-la ! J'en ai marre de votre génération avec trop de choix."
C'est parfois bien de se voir imposer quelque chose, mais ça n'est pas la société moderne, qui se compose de centaines de milliers d'éléments. Et c'est ce vers quoi tend la distribution de films : des centaines de milliers de composantes, au sein desquels vous devez trouver celui qui vous plaît. Mais c'est peut-être une bonne chose.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 27 octobre 2014
"Eleanor Rigby" vu par Jessica Chastain et le reste de l'équipe :