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    Après "Un Monde sans femmes", le coup de "Tonnerre" de Guillaume Brac [INTERVIEW]

    Guillaume Brac, réalisateur de "Un Monde sans femmes", coup de cœur de la rédaction d'AlloCiné en 2012, sort son premier long métrage, "Tonnerre", un film tendre et surprenant, toujours avec Vincent Macaigne dans le rôle principal. Rencontre.

    © RECTANGLE PRODUCTIONS - WILD BUNCH - FRANCE 3 CINÉMA

    AlloCiné : Tonnerre s’inscrit à la fois dans la continuité d’Un monde sans femmes, mais aussi au contraire, en développant des choses assez différentes. Qu’est-ce qui vous a guidé dans l’approche de ce long métrage ?

    Guillaume Brac : Ce qui s’est passé autour d’Un monde sans femmes a été assez incroyable, extrêmement joyeux et beau, mais ça crée aussi une forme de pression. Je ne voulais surtout pas refaire le même film, Un monde sans femmes en plus long, même si c’est un film auquel je reste très attaché, avec une tonalité qui me plait beaucoup. Du coup, en écrivant Tonnerre, j’étais animé par un double désir, continuer à explorer la veine tendre et sentimentale d’"Un monde sans femmes", tout en y introduisant une violence, une inquiétude, une tension qui en étaient absentes.

    "Continuer à explorer la veine tendre et sentimentale d’"Un monde sans femmes", tout en y introduisant une violence, une inquiétude, une tension qui en étaient absentes"

    C’était très cohérent avec l’histoire que je voulais raconter, une rencontre amoureuse, ou plus précisément une passion amoureuse, qui tourne à l’obsession. Je voulais vraiment que le film restitue, reflète ce temps d’euphorie, d’innocence, de joie, qui accompagne la rencontre puis ce temps de l’incompréhension, de l’angoisse, du désespoir, de la rage, de la jalousie. Assez naturellement, je sentais que le film allait démarrer dans une tonalité assez proche de la comédie sentimentale et qu’il se chargerait au fur et à mesure d’autres choses, de cette inquiétude, de cette colère.

    La principale différence tient dans ce changement de ton, cette rupture qui se produit à un moment du film…

    J’ai quand même l’impression que ce mélange de ton était déjà présent, mais de façon sans doute moins flagrante. Pour moi, dans "Un Monde sans femmes", il y avait déjà des choses assez réjouissantes et des choses très noires et très cruelles même. Il y avait déjà des ruptures de tons assez marquées.

    La question des ruptures, des contrastes me passionne. Le fait qu’on puisse éclater de rire dans une scène, et deux minutes plus tard, être complètement saisi. Ce sont les contrastes qui provoquent des émotions. Le spectateur ressent des émotions d’une amplitude beaucoup plus grande.

    J’avais été un peu traumatisé par un court métrage que j’avais réalisé à la Fémis, qui était très sombre, avec un encéphalogramme assez plat. C’était trop plombé, il n’y avait pas ces variations de tons. Il n’y avait pas tout ce qui fait la richesse de la vie. En 10 minutes, on peut passer d’un état à un autre. C’est le cas aussi dans une histoire d’amour, malheureusement ou heureusement.

    "La question des ruptures, des contrastes me passionne"

    Ce mélange des genres suscite beaucoup de discussions, de réactions. Pour certains, c’est une vraie audace, pour d’autres c’est un peu déroutant. Je pense que cela tient au fait que les choses sont très peu annoncées, très peu préparées.

    J’ai revu récemment en DVD un film de Truffaut, La Sirène du Mississipi, que j’avais découvert il y a 10 ou 15 ans, je me suis d’ailleurs aperçu qu’il y avait quelques échos avec "Tonnerre", alors que je n’y avais pas du tout pensé en l’écrivant. Mais dans son film, Truffaut joue dès le début avec le polar, le film noir, il y a des indices qui sont donnés au spectateur, qui disent très clairement au spectateur dans quel type de récit il est.

    "C’est comme si tout d’un coup il y avait une sorte de trappe, de gouffre qui s’ouvrait dans le film, et on était aspiré comme ça assez brutalement"

    Ce sont des choses que je n’ai pas voulu mettre en place dans Tonnerre. Comme quelqu’un me le disait récemment, c’est comme si tout d’un coup il y avait une sorte de trappe, de gouffre qui s’ouvrait dans le film, et on était aspiré comme ça assez brutalement. En le faisant, je n’avais pas forcément l’impression de faire un truc fou, audacieux ou interdit. J’ai toujours eu l’impression qu’il n’y avait qu’un seul film, qui suit de très près un personnage, et qui épouse dans sa tonalité les états émotionnels dans lesquels il se trouve.

    Il y a un jeu aussi avec le réel et le fantasme. Une partie du film est nourrie par des choses que j’ai pu vivre réellement de près ou de loin ; une autre partie est nourrie par des choses que j’ai pu imaginer, fantasmer. C’est un peu comme un cauchemar dont on se réveillerait heureusement à la fin.

    © RECTANGLE PRODUCTIONS - WILD BUNCH - FRANCE 3 CINÉMA

    Il semble que le rapport entre ce que l’on vit et ce que l’on crée avait aussi une certaine importance pour vous…

    Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi de faire de Maxime un personnage qui a un rapport avec la création, puisqu’il est musicien. Sa situation de musicien explique en partie la grande vulnérabilité dans laquelle il se trouve. Visiblement il est dans un moment de sa vie et de sa carrière de musicien assez difficile.

    Le film, délibérément, ne montre que très peu de moments musicaux, de moments de travail sur la musique. Quand le film commence, il est sans doute dans un état de crise, et très vite il rencontre cette jeune fille, et elle le détourne complètement, à la fois des angoisses liées à sa musique, et de tout le reste. Elle remplit totalement ce vide dans sa vie. C’est seulement au terme de son parcours que quelque chose peut de nouveau sortir de lui.

    "Quand le film commence, il est sans doute dans un état de crise, et très vite il rencontre cette jeune fille"

    Si vraiment on doit tisser un parallèle entre le personnage de Maxime et moi en tant que réalisateur, il est évident que je me suis nourri de choses que j’ai pu vivre, et que ces choses qui ont pu parfois être négatives et douloureuses, mais finalement m’ont permis d’en faire un film au même titre que Maxime en a fait une chanson. La chanson de la fin écrite par Rover reprend vraiment dans ses paroles les principaux motifs du récit.

    Justement la musique. Vous avez fait appel à Rover (Timothée Régnier) dont l’ambiance mélancolique colle parfaitement au film…

    Quand je lui ai raconté le film, quand il a lu le scénario, quand il a vu le film au montage, j’ai senti à chaque fois que ça lui parlait directement, que c’était absolument son univers. De mon côté, j’ai écrit le film en écoutant tout le temps sa musique. Je n’ai écouté quasiment que ce disque pendant plusieurs mois. Ça devenait assez obsessionnel. L’écriture baignait dans sa musique et forcément a eu une influence.

    "L’écriture baignait dans la musique de Rover et forcément a eu une influence"

    Le thème que l’on entend dans le film est la toute première proposition qu’il m’avait faite. Il a travaillé dans la nuit qui a suivi sa première lecture du scénario. Je lui ai fait faire différentes choses ensuite. Mais au moment du montage son, en prenant juste certains passages de ce long thème qu’il m’avait proposé au début, on s’est rendu compte que ça marchait parfaitement. Donc c’est sa toute première réaction par rapport à la lecture du film.

    Et par ailleurs, Rover a été un peu un modèle pour Vincent. Il a été un peu conseiller musical sur le film. Comme je ne suis pas du tout musicien et que c’est un monde que je connais assez mal, il a pu nourrir un peu le film.

    © RECTANGLE PRODUCTIONS - WILD BUNCH - FRANCE 3 CINÉMA

    Comment avez-vous découvert Vincent Macaigne, qui est aujourd’hui à l’affiche de plus en plus de films ? C’est une amitié qui dure depuis longtemps…

    Nous nous sommes rencontrés grâce à un ami commun, Guilhem Amesland, qui était à la Fémis en même temps que moi. Il a fait un super court métrage avec Vincent : "Moonlight Lover". D’ailleurs, pour la petite histoire, il a réalisé ce court après Le Naufragé et avant "Un monde sans femmes". Guilhem a donc lui aussi participé à l’éclosion de Vincent comme acteur au cinéma.

    Des années avant, j’étais premier assistant sur un court métrage de Guilhem pour Canal+. Vincent avait deux scènes dans le film. Et il y a eu une sorte de coup de foudre amical. Nous sommes devenus très amis très vite. A force de passer énormément de temps ensemble, cela m’a semblé évident qu’il y avait quelque chose en lui qui me touchait profondément et qu’il pouvait être une sorte d’alter ego dans mes films. J’avais envie de capter cette sensibilité pour mes films.

    "Un alter ego dans mes films"

    Dans "Tonnerre", nous avons fait un gros travail sur le langage, sur sa manière de se tenir. Vincent est quelqu’un qui parle énormément, qui aime répéter, enfoncer le clou. Là, il s’agissait d’avoir un personnage qui ne parle pas tant que ça, un personnage assez épuré. Nous avons simplifié des choses. Nous en avons fait un personnage beaucoup plus sexué quand dans "Un monde sans femmes" et plus charismatique, ou en tout cas, différemment charismatique. Mais dans la vie Vincent ressemble beaucoup au personnage que l’on voit dans La Bataille de Solférino. Il a une personnalité assez complexe, il peut être très doux ou dans l’excès…

    Et de voir qu’il est plus en plus sollicité, qu’est-ce que ça vous évoque ?

    Je suis très content pour lui. Au tout début, je faisais un tout petit peu de rétention ! Mais à chaque fois, je suis très curieux de voir les films. C’est un regard différent qui est porté sur lui ; parfois, ces regards se rejoignent, mais c’est toujours intéressant de voir comment moi je le vois et comment un autre le voit, et parfois, c’est très troublant.

    J’avais beaucoup aimé Vincent dans ce court métrage de Guilhem Amesland, "Moonlight Lover". Je trouve que c’est l’un des meilleurs rôles de Vincent. Guilhem avait saisi quelque chose de lui de très émouvant et de très drôle aussi. J’aime aussi énormément "La Bataille de Solferino", il y a une puissance, une intensité assez impressionnante.

    © RECTANGLE PRODUCTIONS - WILD BUNCH - FRANCE 3 CINÉMA

    Parlons de Bernard Menez qui est pour vous une idole !

    Cela faisait au moins 7-8 ans que je rêvais de faire un film avec lui, si ce n’est même 10. Avec Hélène Ruault, ma scénariste, nous avons amorcé plusieurs projets de courts ou moyens métrages avec lui, mais nous nous étions interrompu dans l’écriture. C’est un désir qui vient de loin de travailler avec lui.

    "Travailler avec Bernard Menez, un désir qui vient de loin"

    Ce désir est né le jour où j’ai vu ce film fondateur pour moi, qui était Du côté d'Orouët, de Jacques Rozier. J'ai eu l’impression que ça me parlait totalement et qu’un jour, je pourrai essayer de faire.  Et par ailleurs, le personnage que jouait Bernard Ménez me parlait aussi très intimement. J’avais l’impression de voir un frère à l’écran.

    Je vois maintenant Bernard Menez comme un père. A chaque fois que j’ai imaginé un rôle pour lui, c’était toujours un père. Je le trouve très émouvant. Son personnage et lui portent ces contrastes entre le rire, la gravité, la mélancolie, et il passe vraiment de l’un à l’autre dans le film. Même quand il fait rire, il est très touchant.

    © RECTANGLE PRODUCTIONS - WILD BUNCH - FRANCE 3 CINÉMA

    Vous avez également fait appel à Solène Rigot, qui a la particularité d’être à la fois très féminine et très juvénile…

    Jusque-là, Solène Rigot avait plutôt joué des rôles d’adolescentes garçon manqué, assez blagueuse. Cette question de la sensualité, de la féminité est quelque chose, qu’à l’époque, elle n’avait pas encore vraiment exploré au cinéma. Elle avait 20 ans au moment du tournage et c’est la première fois qu’elle joue quelqu’un de son âge, voire légèrement plus vieux.

    Dès le début, ça m’intéressait qu’il y ait un écart d’âge avec Vincent Macaigne, mais pas trop important non plus. Il y a quand même un décalage entre eux qui me semble assez évident. On imagine bien qu’un musicien comme Maxime ait l’impression de voir sa jeunesse filer derrière, qui a ce sentiment d’échec et de peur de la solitude qu’il peut projeter sur une jeune fille qui incarne une forme de renouveau, de réveil.

    C’est comme si sa jeunesse, sa fraicheur allait déteindre sur lui, et c’est d'ailleurs le cas. Ce que j’aime beaucoup chez Solène Rigot, c’est qu’elle a à la fois quelque chose de très frais, très sain et est assez différente de l’image qu’on pourrait avoir d’une jeune fille qui fait tourner la tête à un homme. C’est quelqu’un dont on ne se méfierait pas a priori, quelqu’un de très rassurant, attachant.

    Il y a quelques mois, Les Cahiers du cinéma avait mis à sa Une une nouvelle génération de réalisateurs, dont vous faites partie. Plutôt qu’une étiquette, on pourrait parler d’un maillage entre une nouvelle génération ?

    Il y a des circulations entre les films. Evidemment Vincent Macaigne, par exemple, circule de films en films… Tom Harari, mon chef opérateur, était aussi celui de Justine Triet sur "La Bataille de Solférino", et sur son moyen métrage précédent. Il a également collaboré avec Katell Quillévéré, Virgil Vernier sur Orléans. Sans oublier son frère Arthur Harari, qui avait fait "La main sur la gueule" il y a quelques années; c'est peut être un des premiers films important de cette génération de réalisateurs. Je pourrai également citer Damien Maestraggi, qui est mon monteur et celui de Justine Triet et Stéphane Demoustier.

    On peut trouver encore plein de circulations... Héléna Cisterne, décoratrice, qui a travaillé sur le film de Katell, et sur le film Vandal d’Hélier Cisterne, dont c’est la sœur. Guilhem Amesland passe de films en films également. Ili a même fait une apparition en tant qu’acteur dans "La bataille de Solferino". Même le chien de "Tonnerre" a été repris par Sophie Letourneur dans son nouveau film. A la base il n’avait jamais joué au cinéma! Ces connexions passent aussi par la production... Emmanuel Chaumet a produit Sophie Letourneur, Justine Triet, Antonin Peretjatko. Il y a comme ça des circulations. Mais ça ne se limite pas à ça.

    "Je ne sais pas si on peut parler d’un nouveau cinéma français. On peut parler de nouveaux réalisateurs français"

    Je ne sais pas si on peut parler d’un nouveau cinéma français, mais, en tout cas, on peut parler de nouveaux réalisateurs français. Ce sont des gens qui passent un peu en même temps au long métrage, qu’on connaissait peu ou mal avant. Ce sont des gens qui ont souvent pour point commun d’avoir fait leur premier film dans des conditions assez difficiles financièrement, qui ont fait leur film un peu envers et contre tout, sans attendre. Ces réalisateurs se sont inventés des cadres différents de tournage, de production et savent faire avec peu. Et en ça, ça peut rappeler un tout petit peu la fin des années 50 avec la Nouvelle vague, quand des jeunes réalisateurs se sont mis à faire des films avec peu d’argent.

    Le fait qu’il y ait plusieurs réalisateurs qui émergent presque en même temps a provoqué un petit effet d’entrainement médiatique. Tant mieux. Mais évidemment ces étiquettes, il faut s’en méfier. Et ça regroupe des réalisateurs aux films très différents et parfois ça peut être réducteur. Mais le dénominateur commun assez juste, c’est ce désir de faire des films même quand le système ne l’autoriserait pas, même s’il ne faudrait pas non plus enfermer cette jeune génération dans des films un peu bricolés, ce serait réducteur là encore.

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    Tonnerre

    Tonnerre Bande-annonce VF

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet, le 15 janvier 2014, à Paris

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