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"En 1956, un spécialiste de la fertilité, reconnu dans tout le pays, rencontre une ancienne chanteuse de nightclub. Dix ans plus tard, ils publient une étude scientifique qui révolutionna notre compréhension de la sexualité humaine" (Introduction du pilote)
Un torse, une poitrine nue, une silhouette dévêtue, des ébats passionnés... Si l'imagerie autour de la sexualité et la sensualité a toujours su faire vendre au cinéma et à la télévision, l'histoire de cette même sexualité a rarement été explorée. Encore moins celle de ceux qui lui ont donné un corps scientifique, l’ont détaillée et offerte au monde. Pour sa nouvelle série de rentrée, Showtime a décidé d'ouvrir la voie en donnant les clés du mystère à la créatrice Michelle Ashford, déjà à l'oeuvre sur Pacific ou encore Boomtown. Dans Masters of Sex, diffusée aux Etats-Unis le 29 septembre, elle s'inspirera directement de l'ouvrage de Thomas Maier ("Masters of Sex: The Life and Times of William Masters and Virginia Johnson") pour raconter l'histoire de William Masters et Virginia Johnson, un sexologue et son assistante, qui, à la fin des années 50, ont entamé des recherches sur la sexualité des hommes et des femmes afin de la comprendre, d'en saisir les troubles, d’en paramétrer les mystères... Mais qui étaient vraiment Masters et Johnson ?
La rencontre de deux opposés
Le duo Masters et Johnson, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre improbable. La rencontre de deux opposés qui s’avéreront complémentaires. Né en 1915 dans l'Ohio, William Masters se destine à la médecine et se spécialise dans l'obstétrique. A la fin des années 40, il va conduire d’ambitieuses recherches sur la gynécologie et l’infertilité au sein de la Washington University of Saint Louis, une Faculté de Médecine très réputée. Là même où il rencontrera celle qui lui deviendra bientôt indispensable... Dix ans plus jeune que Masters, Virginia Johnson aurait pu ne jamais se trouver là. Enfant, celle qu’on surnomme Ginie a de multiples talents, saute même plusieurs classes et possède un don pour la musique, notamment le piano. Elle étudie son art à l’Université avant de poursuivre une petite carrière dans la chanson. Mais, en 1956, alors divorcée et mère de deux enfants, Virginia veut obtenir un diplôme. C’est ainsi que cet esprit libre et ambitieux accepte un emploi à la Faculté de médecine dans laquelle exerce le très sérieux Masters…
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"Le sexe n’est pas de l’ordre de la médecine"
Si Masters engage Johnson parce qu'il a besoin d'une assistante pour ses recherches au sein de son Département de Gynécologie, le duo dévie rapidement vers des recherches d’un autre genre. A l’époque, Masters est déjà fasciné par la question scientifique posée par l’acte sexuel. Il se demande quels sont les effets physiologiques générés par l’acte et souhaite avidement comprendre avec exactitude et donc mesurer scientifiquement ce qui arrive au corps durant l’amour. Des questions qui, à l’époque, ne se posent pas dans la communauté scientifique. Les conventions sociales sont alors très étriquées et les scientifiques ne considèrent pas du tout le sexe comme une un sujet d’étude, ni une question médicale, mais plus comme une question personnelle et tabou qui ne se règle que dans une chambre. Et encore. A cet égard, Johnson et Masters sont des pionniers et amènent plus loin les travaux non scientifiques menés des années plus tôt par le Dr. Kinsey. Respecté et respectable, Masters veut entrer dans l’histoire et demande à Johnson de l’assister dans ses recherches, en secret…
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Observer des "anonymes" faire l’amour : vers des découvertes révolutionnaires
Si la majorité des femmes qui participent à leurs recherches sont des prostituées, Johnson parvient tout de même à recruter des étudiants et des employés de la Faculté. C’est bien grâce à elle que l’étude obtiendra des sujets un peu différents. Ces derniers vont consentir, contre rémunération, à participer à l’étude, soit en se masturbant dans leur laboratoire soit en faisant l’amour avec un autre "anonyme", le corps couvert de matériel médical. Johnson et Masters assistent aux ébats, étudiant et enregistrant les réponses physiologiques via des moniteurs et ce, sur des centaines d’individus à travers les années. On estime que 382 femmes et 312 hommes ont été observés. Conduites sur plusieurs années, ces recherches et ces expérimentations audacieuses les amènent à faire des découvertes qui vont démystifier tout un tas d’idées reçues. Ils établissent notamment que, pendant l'amour, les êtres humains passent par un cycle sexuel composé de quatre étapes (phase d’excitation, phase en plateau, orgasme et enfin, résolution). Leurs recherches inscrivent également de multiples avancées concernant la sexualité féminine, prouvant notamment que la femme, contrairement à l’homme, est capable d’orgasmes multiples. Ils sont également les premiers à étudier la sexualité des personnes âgées, notifiant la normalité d’une question alors tabou.
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Masters et Johnson, les guides et thérapeutes de l’Amérique
En 1964, Masters et Johnson ouvrent leur clinique spécialisée. Ils y mènent alors la phase complémentaire de leurs recherches anatomiques qui consiste à aider les couples à vivre mieux leur sexualité et à régler leurs problèmes, qu’il s’agisse d’impuissance, de vaginisme, de frigidité, d'éjaculation précoce... La thérapie sexuelle est née et, par elle, ils inventent également une forme de sexothérapie qui consiste à retrouver le désir par le toucher. Toutes ces recherches commencent à sauter aux yeux du public et des professionnels lorsque le duo publie en 1966 les résultats de sa première étude, "Human Sexual Response", qui deviendra un best-seller. Les noms de Masters et Johnson se font alors entendre un peu partout et des couples arrivent de tout le pays pour que le duo les aide à résoudre leurs problèmes sexuels. En 1970, leur deuxième livre, Human Sexual Inadequacy, sort en librairies et devient de suite un succès. Les deux livres seront traduits dans 30 langues : Masters et Johnson sont devenus des vedettes.
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Les maîtres de la controverse
Audacieuses et étonnantes, les méthodes de Johnson et Masters ont toujours été entourées de nombreuses controverses. Le duo a notamment essuyé de sévères critiques pour avoir fait appel à des prostituées. Ces dernières vivant une expérience de la sexualité totalement différente de celle de la population générale, les résultats que leurs performances offraient ne pouvaient, selon certains, être fiables. Pour d’autres détracteurs, le "sexe en laboratoire" étant différent d’une expérience sexuelle pratiquée en toute intimité, les résultats scientifiques qui en sortaient ne pouvaient qu'être contestables. Un point que Masters et Johnson ont d'ailleurs toujours accepté. On leur reprocha également d’avoir fait appel à des assistants sexuels, appelés alors "partenaires de substitution" pour aider des patients handicapés pour qui il était, autrement, impossible d'avoir une vie sexuelle fonctionnelle avec un partenaire. Rappelons qu'en France, l'assistanat sexuel est assimilé à de la prostitution, mais que cette pratique est acceptée dans beaucoup d’autres pays.
Pour autant, la plus grosse controverse qui entoura leurs travaux reste leur étude sur l’homosexualité, sortie dans "Homosexuality in Perspective" en 1979 et dont les recherches se seraient étendues de 1968 à 1977. Au début de leurs recherches, l’homosexualité était encore classée comme un trouble psychologique par l’association américaine de psychiatrie (elle fut déclassée en 1973). Le livre, qui s'intéressait à donner des résultats et les réponses physiologiques enregistrés pendant l'acte sexuel, éclairait donc l'homosexualité et, par ricochet, l'hétérosexualité (par exemple, un couple d'homosexuels vivant ensemble depuis au moins un an comprendrait mieux, et de manière plus détendue, les désirs de son partenaire qu'un couple hétérosexuel, etc.). Une approche plutôt moderne à une époque qui comprenait pourtant déjà mal l'homosexualité.
Mais, le bas blessait dans une autre partie de cette étude. Dans leur clinique, Masters et Johnson auraient en effet aidé des patients homosexuels et bisexuels à soigner leurs troubles sexuels, mais auraient aussi mené une thérapie censée détourner les patients qui le souhaitaient de leur identité sexuelle. Certains de ces patients supportaient mal leur sexualité et souhaitaient ainsi "devenir" hétérosexuel. D'autres patients, bisexuels, souhaitaient également "devenir" exclusivement hétérosexuels. L'étude spécifiait alors que cette thérapie, jamais explicitée dans l'ouvrage, fonctionnait sur un certain nombre de patients et que la conversion sexuelle, tentée depuis des siècles, était donc possible. Déjà décriés à l'époque, ces résultats furent définitivement ridiculisés à la sortie d'un autre livre, celui de Thomas Maier. En 2009, ce dernier stipule en effet dans sa biographie que Virginia Johnson elle-même avait de sérieuses réserves au sujet du programme bien qu'elle l'ait soutenu publiquement. Elle suspectait même que les résultats avaient pu être fabriqués par William Masters. Selon elle, ce livre, sorti à la va vite, n'aurait jamais dû paraître.
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Un couple
L’histoire fascinante de Johnson et Masters s’éclaire également au regard de leur propre relation. Une relation très complexe entretenue durant trois décennies et qui pourrait être décrite comme une relation de nécessité, chacun ayant véritablement construit l'autre. Au début de leur collaboration, Masters fait d'ailleurs une proposition scientifique, et pourtant très limite, à Johnson. Il lui demande si elle accepterait d'avoir des relations sexuelles avec lui, afin qu'il puisse enregistrer, sans parasitage aucun, leurs propres réponses physiologiques. Selon Thomas Maier, leur biographe, ils entretinrent par la suite une liaison qui finira par s'étioler. Par la suite, Virginia fait la rencontre d'un certain Hank Walters qu'elle désire fortement épouser. Une union qu'elle aurait alors envisagé comme une sorte de liberté, qui l'aurait éloignée des recherches de son ancien partenaire et rapprochée du bonheur. Voyant sa collaboratrice s’envoler, Masters lui aurait alors annoncé qu'il allait divorcer de sa femme, avec qui il était marié depuis 29 ans, afin de garder leur partenariat en vie. Virginia aurait accepté cette proposition comme on prend une décision professionnelle. Ils finissent donc par se marier en 1971 sans véritables liens affectifs et sans qu'il s’agisse d’un mariage d’amour. Vingt ans plus tard, Masters divorce de Johnson pour retrouver un amour de jeunesse. Elle-même finira par retomber dans les bras de son premier amour.
Après avoir pris sa retraite en 1994, Masters, atteint depuis plusieurs années de la maladie de Parkinson, décède en 2001. Thomas Maier, qui officie également en tant que consultant pour la série de Showtime, a souvent parlé de Virginia Johnson comme d'une femme secrète qui a mis énormément de temps à se confier. Dans différentes interviews parues depuis dans la presse américaine et même sur son blog, l'auteur ne cesse de vanter ses louanges, la décrivant même comme "l'une des femmes les plus remarquables du 20ème siècle". Cette dernière n'aura malheureusement pas la chance de voir Lizzy Caplan l'incarner et Michael Sheen camper son partenaire. Elle s'est éteinte il y a peu, le 24 juillet dernier, à l'âge de 88 ans.
"Masters of Sex" sera disponible en France dès le 11 octobre sur OCS
Raphaëlle Raux-Moreau
"Masters of Sex: The Life and Times of William Masters and Virginia Johnson" a d’abord été publié en 2009 aux Etats-Unis avant d’être réédité en 2013.