Réalisateur de nombreux courts métrages d'animation, primés à travers le monde (dont une Palme d'or du court métrage en 1988 pour Fioritures), Garri Bardine était à Paris pour présenter son nouveau film, Le Vilain petit canard. Pour la première fois, à l'âge de 70 ans, le cinéaste passe au long métrage. Nous nous sommes entretenus avec lui pour parler de son nouveau film, ses projets, mais aussi en savoir sur ce qui l'inspire, ses méthodes de travail, et connaître son sentiment sur l'animation à l'heure actuelle.
"Le Vilain petit canard" est votre premier long métrage. Pourquoi avoir attendu près de 30 ans avant de passer au format long? Et quelles ont été les différences et difficultés que vous avez observé pour ce film par rapport au court?
G.B. : La principale difficulté que j’ai, c’est que je n’ai pas d’assistant, pas de premier assistant. Je suis seul pour faire tout ça ! Et garder en tête tout le film, pendant 6 ans, c’est vraiment difficile ! C’est la raison pour laquelle c’est le premier long métrage, et sans doute le dernier que je ferai! Mais bon... Si jamais une idée me vient que j’ai vraiment très envie de faire, peut être que je remettrai le couvert ! Ne jamais dire jamais ! Le Vilain petit canard devait obligatoirement être un long. On ne pouvait pas traiter ce sujet sous la forme d'un court métrage.
En choisissant de réaliser "Le Vilain petit canard", quels étaient les thèmes que vous souhaitiez aborder? Il peut en effet il y avoir plusieurs lectures pour le film...
G.B. : C’est le même thème qu’un de mes précédents courts métrages, Adagio, réalisé en origami. C’est le thème de la tolérance. Après avoir fait Adagio, je me suis rendu compte que ce thème exigeait quelque chose de plus et qu’il fallait le traiter un peu plus profondément. J’avais envie de m’exprimer encore sur ce sujet, j’avais des choses à dire.
Pour Le Vilain petit canard, ce que je voulais au départ, c’était parler de quelqu'un –je ne savais pas que ça allait être un canard-, qui soit différent et qui soit entouré de haine. Et ce conte s’est adapté absolument idéalement à mon objectif de départ. En fait, je n’ai pris du conte d’Andernsen que la scène finale et tout le reste, c’est moi qui l’ai inventé.
Origami, court métrage sur le thème de la tolérance, ayant précédé Le Vilain Petit Canard...
Dans "Le Vilain petit canard", il est donc question de tolérance. Y-a-t-il encore d'autres thèmes que vous aimeriez aborder ?
G.B. : Pour le moment, je n’ai pas encore réfléchi à la question. Le prochain projet sur lequel je travaille actuellement est quelque peu différent. C’est un scénario original que j’ai écrit. Mais après ce projet là, je ne sais pas encore ce que je vais faire. Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir... C’est ma raison de vivre, je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Peut-on en savoir un peu plus sur ce projet sur lequel vous travaillez actuellement ?
G.B : Ca sera trois mélodies et trois techniques différentes. Il va y avoir de la pâte à modeler, des marionnettes traditionnelles et quelque chose d’autre de moins traditionnel, au sujet duquel je ne dirai rien ! Parce qu’il faut un peu que je garde des surprises ! En ce moment, j’écris le story board, je m’occupe du découpage, j’écoute la musique jusqu’à en avoir mal à la tête ! C’est en écoutant la musique que je créé le film, la mise en scène. La musique est superbe. C’est de la musique classique : le Rondo Capriccioso de Camille Saint Saens, l’Elégie de Massenet. Et il y a du jazz avec Let my people go de Louis Armstrong. Je conçois ce projet un peu comme un déjeuner en trois plats. L’entrée et le plat principal sont de la musique classique, et le dessert du jazz!
La musique occupe une place importante dans votre filmographie...
G.B. : En fait, j’ai une idée qui me vient, un sujet que je veux traiter, et après, comme un tapis, je décide avec quel fil je vais le broder, quelle musique je vais utiliser pour étayer mon propos. Je fais une moisson de musiques que j'aime. En général, ce ne sont pas les morceaux les plus simples ! Après je réunis toutes les musiques que j'aimerais utiliser... Je crois, en fait, que je préfère la musique à l’animation !
Et faites-vous de la musique justement ?
G.B. : Malheureusement, non ! C’est un grand regret. Si j’avais fait de la musique depuis longtemps, aujourd’hui je serai chef d’orchestre ! Je ne suis pas envieux de nature, mais j’envie quand même les chefs d’orchestre ! Mais c’est vrai qu’en tant que réalisateur, je suis quelque part un chef d’orchestre aussi ! Je dirige le processus de création.
Garri Bardine, à Paris, octobre 2011 ©Allociné
Lorsque vous avez commencé à faire de l'animation, on peut affirmer que vous étiez d'une certaine façon avant-gardiste... Quelles ont été vos influences ? Qui vous a donné envie de faire de l'animation ?
G.B. : Personne ne m’a influencé pour choisir cette profession. En fait, je suis acteur de formation. Je suis rentré dans ce monde en faisant des doublages de film d’animation, en tant qu’acteur. Ca m’a beaucoup plu. Quand j’ai vu ces films, je me suis dit, "c’est bien, je pense que je serai capable d’écrire un scénario pour un film d’animation". Et après l’avoir fait, je me suis dit, "je pense que je pourrai tourner un film d’animation". J’ai appris nulle part. Mes convictions et mon envie de faire du cinéma ne s’appuyaient sur aucun savoir, aucune connaissance réelle. Il semblerait que je n’ai pas fait fausse route !
Puisque vous avez commencé en tant qu'acteur, prourquoi n'avoir pas fait de la fiction ?
G.B. : Je pense qu’en animation, on peut dire beaucoup plus de choses, même avec peu de moyens. Je ne pense pas faire de fiction un jour. J’ai eu une occasion une fois de le faire, mais je ne me suis pas décidé à y aller.
Au cours de votre carrière, vous avez utilisé toute une palette de techniques d'animation. Quelle est votre technique préférée ?
G.B. : C’est difficile de répondre. Tout dépend de l’idée qui va me venir. De l’idée découle la forme. Dans la mesure où je travaille image par image, la seule matière avec laquelle je ne travaillerai pas, c’est une matière qui sent mauvais (rires) ! Tout dépend de l’idée, donc peut être que je vais inventer encore d’autres matériels. En fait, je ne peux pas dire à l’avance, c’est quand l’idée me vient qu’une forme associée me vient.
La pâte à modeler est sans doute la technique qui offre le plus de possibilités. C’est plus expressif. Dans le cas précis du Vilain petit canard, j’ai choisi la pâte à modeler pour bien le différencier des oiseaux à plume, qui sont si fiers de leur plumage, et pour faire ressortir sa différence.
Le Vilain Petit canard, premier long métrage de Garri Bardine,
dont la réalisation a nécessité 6 ans de travail ©KMBO
Que pensez-vous de la 3D relief? Etes-vous tenté de réaliser un film en 3D relief?
G.B. : J'ai vu et aimé Là-haut, par exemple. Je comprends parfaitement les possibilités qu’offre l’ordinateur pour l’animation. Mais pour moi, ce n’est pas tant la forme qui m’intéresse, mais plutôt comment transcrire une idée pour le cinéma. Il y a des réalisateurs qui m’expliquent que, avec la 3D, on peut faire des panoramas comme ci, des profondeurs de champs comme ça. Mais ça ne signifie pas qu’il y ait une profondeur d’idée. C’est souvent vide. Ce que je sais en tout cas, c’est qu’on n'a pas encore fait le tour des possibilités de faire du cinéma. Par exemple, j’ai vu à Paris le film The Artist. Je suis sorti convaincu qu’un film en noir et blanc, sans parole, nous avait davantage transporté, ému, qu’un film en 3D. La question est de savoir comment on va raconter une histoire. Celle des moyens employés est moins importante. Je préfère le travail artisanal. Pour l'anecdote, nous avons fait des projections avec des enfants et l’un d’eux a dit : "on n'a pas l’habitude de voir des films comme ça, mais ça nous a beaucoup plu !" Vis-à-vis des enfants, il faut vaincre la force de l’habitude.
Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris, le 21 octobre 2011. Traduction assurée par Monique Gailhard.
Le Vilain petit canard