Guillermo del Toro reste finalement fidèle à lui-même. Alors qu'il tournera prochainement Les Montagnes hallucinées, une adaptation de l'oeuvre de Howard Phillips Lovecraft auquel il voue un véritable culte, le cinéaste a tout récemment confirmé qu'il travaillait sur un projet de jeux vidéo horrifique fortement influencé par l'univers de Lovecraft. "Il s'agit effectivement d'horreur, mais un jeu d'horreur très différent de ce qu'on a pu voir. Ce n'est pas un Survival Horror, mais plutôt un mélange des genres, assez étrange, quelque chose de très lovecraftien au fond".
Un projet qu'il veut en tout cas très ambitieux, puisque le jeu prendrait selon lui environ trois ans de développement, pour une sortie aux alentours de 2013, "dans le scénario le plus optimiste". Autre projet sur lequel il travaille : un titre baptisé Sundown, qu'il qualifie de "sensiblement similaire à Left 4 Dead, que j'adore et auquel je joue énormément." Enthousiaste, le cinéaste a même grillé la politesse à l'éditeur THQ, qui n'a pour le moment pas confirmé officiellement ces projets : "Guillermo del Toro figure parmi les artistes que nous respectons, et avec qui nous serions intéressé pour travailler. Néanmoins, nous n'avons pour l'heure aucune annonce formelle à faire sur une éventuelle collaboration".
En parfait défenseur de ce qu'il considère comme un art majeur, Guillermo del Toro en a d'ailleurs profité pour en remettre une couche auprès d'un auditoire rassemblé à Portland, alors qu'il faisait une lecture de livre en séance publique. "Les jeux vidéo sont les Comic-Book de notre époque" a-t-il déclaré; "c'est un medium qui n'a aucun respect de la part de l'intelligentsia. Ils s'exclament avec mépris : "Oh des jeux vidéo !" Et la plupart de ceux qui se plaignent des jeux vidéo n'y ont en plus jamais joué !" s'est emporté le réalisateur (" most people that complain about videogames have never fucking played them !").
"Je crois que Guillermo Del Toro n’a jamais créé un jeu vidéo..."
Du reste, l'incursion d'un cinéaste dans le domaine des jeux vidéo ne semble pas forcément ravir certains Game Designers dont c'est le métier, ou restent du moins sceptiques sur de telles démarches. Certains se souviennent peut-être de la violente polémique qui avait éclatée entre le Game designer Eric Viennot, fondateur de Lexis Numérique et auteur du très réussi In Memoriam, et Mathieu Kassovitz peu après la sortie du jeu Heavy Rain, alors que le cinéaste avait manifesté son souhait de travailler un jour à la conception d'un jeu. Leur altercation avait ainsi donné lieu à un vif échange de billets sur le blog du créateur de jeu. Ce dernier écrivit une "Lettre ouverte à trois vénérables cinéastes" lisible ici, à laquelle Kassovitz répondit sous forme de commentaire. Morceau choisi : "Je ne peut m'expliquer votre article autrement que par le sentiment d'une jalousie féroce. [...] Je me voit obligé de vous répondre et de contrôler mes humeurs pour ne pas vous insulter purement et simplement. Voici donc un mode d'emploi pour éclairer votre lanterne sur les raisons de ma présence "soudaine" dans votre jardin virtuel". Ambiance...
L'implication de Guillermo del Toro n'a elle aussi pas manqué de susciter certaines interrogations, comme chez le grand Ken Levine. Game Designer de renom auquel on doit notamment des jeux comme Bioshock, Thief ou encore le cultissime System Shock 2, celui-ci s'est récemment exprimé sur ce sujet au cours d'une interview accordée à Develop. "Je crois qu’il n’a jamais créé un jeu vidéo. Peut-être a-t-il le génie pour le faire. Mais les bons jeux sont très, très difficiles à faire. Dans notre industrie, il y a cette impression que les jeux vidéo sont créés par des juniors, une attitude du genre "Un jour, vous pourrez rejoindre notre ligue" a-t-il déclaré. Et d'ajouter : "dans notre industrie, il y a trop de gens impressionnés par l’industrie du film qui sont prêts à tout pour signer des ententes avec de gros réalisateurs uniquement parce qu’ils sont de gros réalisateurs".
Un complexe d'infériorité qui n'a pas de raison d'être
Comme certains auteurs / créateurs talentueux de son milieu, il n'a pas manqué d'être contacté par Hollywood, toujours à l'affût de telles opportunités. "On m'a offert une fois l'opportunité de créer un jeu avec un réalisateur très talentueux. Ma réponse a été : pourquoi ? Pourquoi un designer de jeux voudrait faire ça ? Pourquoi avec deux meneurs créatifs ? Et pourquoi voudrais-je avoir un réalisateur de film pour m’aider à créer un jeu, c’est aussi ridicule que de me voir demander de réaliser un film avec un vrai réalisateur". Agacé par un certain complexe d'infériorité que développe régulièrement l'industrie du jeu vis-à-vis de celle du cinéma alors que ce complexe n'a aucune raison d'être, ainsi que par le mélange des genres, il ajoute : "Je peux définitivement dire que l’histoire n’est pas plus importante que le jeu chez Irrational. C’est pourquoi je ne fais pas de cinématiques. Cette route est dangereuse, il faut se concentrer sur le jeu. Voir un projet comme une oeuvre interactive, voilà la véritable ambition".
Olivier Pallaruelo avec Gamasutra, MTV, HardGamers et Develop.
Et puisque l'on parle de Lovecraft et si vous n'avez pas lu tout le bien que l'on pense d'un titre comme Amnesia : the Dark Descent, c'est par ici !
