S'il y a bien un écrivain dont l'oeuvre n'en finit pas de peupler l'imaginaire de cinéastes de genre et créateurs de jeux, c'est bien Howard Phillips Lovecraft. Chez John Carpenter par exemple : son cultissime The Thing, au-delà d'être un Remake de La Chose d'un autre monde, était aussi une variation autour des Montagnes hallucinées, nouvelle publiée en 1936. Guillermo del Toro figure aussi au rang de ses plus grands admirateurs, et prépare d'ailleurs une adaptation de cette même oeuvre, avec James Cameron à la production.
Côté jeux, on ne compte plus les variations autour du mythe de Cthulhu : le cultissime Alone in the Dark édité en 1992 par Infogrames, Darkness Within : The Dark Lineage, Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth sorti en 2006...Une longue liste à laquelle il convient de rajouter la trilogie des Penumbra, des jeux d'aventures de type Survival Horror développé par Frictional Games, un minuscule studio de cinq personnes basé en Suède. Des titres accueillis avec bienveillance par la communauté de joueurs, en particulier Penumbra : the Dark Plague avec son ambiance terrifiante et immersive.
Teaser de "Penumbra : the Dark Plague"
Petit mais costaud
Une entrée en matière laborieuse certes, mais nécessaire pour évoquer le travail de ce studio, petit par la taille mais immense par le talent. Le 8 septembre dernier, le studio sort son nouveau jeu : Amnesia : The Dark Descent. Une descente aux Enfers au sens littéral du terme, intégralement réalisée en vue subjective à l'aide du moteur du jeu. Influencé par L'Affaire Charles Dexter Ward, un des rares romans publié par Lovecraft, Amnesia : the Dark Descent se déroule au XIXe siècle, dans un château perdu au milieu de la forêt, quelque part en Prusse. Le joueur se glisse dans la peau d'un certain Daniel. Amnésique, on ignore tout ou presque de lui au début du jeu. Dans une lettre qu'il s'est écrite à lui-même, ce dernier a fait le choix de tout oublier, afin de mener à bien une ultime tâche : tuer le baron Alexander von Brennenburg. Pataugeant avec rage dans les marais nauséeux de son subconscient, Daniel s'enfonce toujours plus profondément dans les entrailles du château, tandis qu'une ombre démoniaque le traque sans relâche pour le tuer.
Difficile de se faire une place au soleil tant les titres estampillés "Survival Horror" abondent sur consoles et PC; pas toujours avec bonheur du reste. Cette appellation est même parfois galvaudée, lorsque l'on constate la propension de certains titres à se muer en jeux d'action mâtinés d'horreur, ce qui n'est pas du tout la même chose. Un bon exemple est Resident Evil 5. Amnesia : the Dark Descent opère donc un véritable retour aux fondamentaux.
Une peur viscérale et implacable
Si le titre de Frictional Games ne rechigne pas à avoir recours de temps à autre à quelques artifices pour loger la peur chez le joueur, il fait surtout appel à un mécanisme implacable : l'auto-suggestion et la force d'imagination des joueurs, aidée il est vrai par une bande-son proprement terrifiante. Mais il y a plus : ici, il n'y a aucune arme. Extrêmement vulnérable, le joueur n'a pas d'autre choix que de fuir les confrontations qui tourneront systématiquement en sa défaveur. Fuir et se cacher dans la pénombre, en priant pour que la créature ne le trouve pas. Mais restez trop longtemps dans le noir, et Daniel finira par devenir fou. Le seul moyen de préserver sa santé mentale précaire est de rester dans les sources d'éclairages, qui sont limitées tout au long du jeu.
Il faut ainsi voir par exemple le niveau des geôles du château où, entre hurlements et autres sanglots d'enfants, la respiration du héro devient haletante, tandis que son pouls s'accélère alors qu'il vient de croiser une monstruosité. Dans cette ambiance glaçant le sang, l'ouverture d'une simple porte tient du calvaire pour les nerfs...Sans doute avec un brin de sadisme, les développeurs suggèrent de jouer dans l'obscurité avec un casque sur les oreilles pour renforcer l'immersion. Pour avoir appliqué à la lettre la consigne, il est fortement suggéré d'avoir le coeur (très) très bien accroché. Tout en brassant les thèmes chers à l'univers de Howard Phillips Lovecraft (culpabilité héritée, fuite et destin compromis par des forces obscures, aliénation mentale et physique...), réalisé par une petite équipe de passionnés qui joue d'ailleurs sa survie avec ce titre, gigantesque pied de nez aux productions dotées d'un budget au minimum cent fois supérieur, Amnesia : the dark Descent s'inscrit au panthéon du Survival Horror.
A l'heure où les films d'horreur surfent avec plus ou moins de bonheur sur la vague des Hostel, prenant davantage un virage franchement gore au détriment de la peur, il est réjouissant de se demander si ce n'est finalement pas du côté des jeux vidéo qu'il faut aller chercher une nouvelle forme de peur authentique, sensorielle, viscérale. Jouer à se faire peur en somme. Voilà un sacré et délicieux paradoxe.
Amnesia : vidéo de Gameplay
Amnesia : the Dark Descent - Gamescom Trailer
Infos pratiques
Site officiel du jeu
Possibilité d'acheter le jeu soit directement sur le site de Frictional Games, soit sur la plateforme de téléchargement Steam.
Prix : 14 euros environ.
Olivier Pallaruelo