La conférence de presse de Sean Penn
Rencontre avec Gus Van Sant et le scénariste Dustin Lance Black
Quelques semaines avant cette conférence de presse, on avait rendez-vous avec Gus Van Sant. Pas franchement loquace, le réalisateur américain, qu'on avait déjà rencontré pour la sortie de Paranoid Park, n'aime guère donner d'interviews. Cette fois, il a trouvé une astuce : imposer la présence à ses côtés de son scénariste, le brillant Dustin Lance Black , qui n'avait alors pas encore reçu son Oscar. Jeune homme en colère sous son air angélique, celui-ci a longuement évoqué son parcours et son combat. Morceaux choisis.
Premier round
Gus Van Sant : Harvey Milk
a ouvert la voie. Il a été la première voix d'un mouvement qui s'est développé au cours des années suivantes, qui est devenu plus visible et plus puissant. Mais son action ne pouvait avoir une portée plus large car il était un simple élu de San Francisco.
Dustin Lance Black : Avec Harvey Milk, on était seulement au premier round. Le combat vient d'ailleurs de reprendre avec vigueur. En Amérique, les progrès ont été lents. A cause de l'arrivée du sida, la question des droits avait été mise de côté. Avec le vote de la proposition 8, la communauté s'est remise en ordre de bataille. Attendons encore quelques années pour savoir si le combat de Milk est gagné ou perdu...
La découverte de Harvey MilkDustin Lance Black : J'ai grandi à San Antonio, Texas, chez les Mormons, dans un milieu conservateur, avec un beau-père militaire. Pas facile pour sortir du placard... Quand j'ai rejoint la baie de San Francisco, un metteur en scène de théâtre m'a raconté l'histoire de cet homme, Harvey Milk,
un homosexuel déclaré, élu par les citoyens, qui était aimé et célébré. C'était un peu un mythe, une légende. Quand Cleve Jones (interprété par Emile Hirsch dans le film]m'a présenté tous les documents d'époque, j'ai découvert la réalité, ce magasin qui n'était pas aussi joli que je l'imaginais, tout était un peu de travers... Harvey Milk est soudain devenu très humain, ce n'était plus une légende.
L'évolution du projet
Dustin Lance Black : J'étais un grand fan de Gus, donc je savais que le scénario était entre de bonnes mains. Il connaissait bien le sujet puisqu'il voulait en faire un film depuis 1992. Je crois qu'à l'époque, les producteurs souhaitaient un film centré davantage sur la vie politique, la mairie et moins sur le quartier de Castro et sur ce que c'est que d'être gay. Peut-être parce qu'à l'époque il n'y avait pas encore eu Brokeback Mountain, qui a prouvé qu'on pouvait faire un film rentable avec des personnages principaux gays. J'ai été complètement libre de raconter cette histoire comme je le voulais. Mais il y a finalement peu de scènes de sexe explicite. Ca correspond à la pudeur de Gus Van Sant, mais c'est aussi parce qu'on a voulu montrer la connection émotionelle entre les personnages. Représenter une histoire d'amour est plus honnête, et peut-être finalement plus audacieux.
L'usage des archives
G. V. S. : Nous avons fait un gros travail de recherches pour les images d'archives, à l'Université de San Francisco, à Miami... On a trouvé des articles de journaux, des photos qui permettaient d'illustrer la vie à Castro Street. On a mis aussi des plans de foule, car le budget du film ne nous permettait pas vraiment d'en tourner.
D. L. B. : Le premier document d'archive qu'on a voulu intégrer, c'était le discours d'Anita Bryant. Quand j'ai entendu ce discours homophobe, je n'arrivais pas à en croire mes oreilles, surtout qu'elle pense vraiment ce qu'elle dit. Si on l'avait mis dans le scénario, les gens auraient trouvé ça caricatural. C'est pour ça qu'on a choisi de montrer la vidéo originale, qui est très choquante, surtout pour des gens de ma génération.
Les testaments audio enregistrés par Milk
G. V. S. : Il existe plusieurs enregistrements de ces testaments. Harvey en a fait plusieurs pour les donner à différentes personnes. Il souhaitait qu'on les entende après sa mort, au cas où il se ferait tuer. Dans ces documents, il désigne son successeur à la mairie de San Francisco.
D. L. B. : C'est vrai que ce personnage très conscient de ce qui lui arrive est intéressant d'un point de vue dramatique. On pourrait le juger complètement égocentrique, sauf qu'il avait raison !
G. V. S. : Il recevait pas mal de menaces de mort, iavait donc des raisons de penser que quelque chose pouvait lui arriver...
Les motivations de Dan White, l'assassin de Milk
D. L. B. : Harvey a vraiment voulu sympathiser avec Dan, ce qui surprenait beaucoup ses amis. Evoquer cela dans le scénario a constitué un défi pour moi. J'espère qu'on se rend compte que White est un homme frustré, pas seulement sur le plan sexuel, mais surtout politiquement. C'est un type complexe. Il n'y a pas une seule raison qui explique le meurtre. Je ne crois pas que ce soit un crime homophobe, ou pas seulement. Il était de l'ancienne garde, du San Francisco Catholique d'avant. C'était difficile pour lui de voir un homosexuel, mais aussi de voir des femmes noires, des militantes. Plus tard, une fois sorti de prison, il a d'ailleurs raconté à des amis qu'il avait aussi eu l'intention de tuer Carol Silver, une militante feministe, et Willie Brown, qui a été le maire noir de San Francisco. On ne peut pas limiter ce duel à homo/hétéro ou libéral/conservateur, il y a aussi l'histoire familiale compliquée de Dan White à prendre en compte...
Le message de Harvey
D. L. B. : Les gays et lesbiennes doivent se pencher sur leur histoire, se demander pourquoi ils ont obtenu ce succès en 1978 et pourquoi il y a eu un recul depuis.
Ils doivent se souvenir du message d'Harvey, prononcé à une époque beaucoup plus homophobe qu'aujourd'hui : sortez du placard, soyez vos propres représentants plutôt que de demander aux hétéros de vous représenter, faites un travail d'éducation autour de vous, auprès de toutes les communautés, auprès des gens qui pourraient voter contre vous... Et peut-être qu'alors on avancerait non pas à petits pas, mais à pas de géant.
La proposition 8
D. L. B.: Je vis en Californie, et je peux vous dire que pendant la campagne sur la proposition 8, on ne voyait aucun homosexuel, personne ne prononçait le mot "gay" ni même "mariage" ! Après il ne faut pas s'étonner qu'on ait perdu... On a commis les mêmes erreurs que dans les années 70. Mais on n'en a pas fini avec la proposition 8, puisque chaque Etat doit se prononcer sur le sujet -en attendant une loi fédérale, ce qui est mon rêve. En 1964, le mouvement des Noirs pour les droits civiques a été un succès parce qu'il y a eu une loi fédérale. Si on avait dû procéder Etat par Etat, comté par comté, ville par ville, ça n'aurait pas abouti.
Un autre monde est possible...
J'ai lu que plus de 75% ses spectateurs américains du film étaient hétérosexuels. C'est fantastique si le message passe auprès de tous ces spectateurs -dont peut-être certains pensaient qu'ils allaient voir un film sur le lait... (sourire)
Je sais aussi que beaucoup de gays vont voir le film avec leurs parents, leur famille, comme une forme d'éducation. Plus généralement, je crois aussi que le film dit quelque chose d'important aux gens de ma génération, à tous ceux qui ne se sentent pas représentés, les travailleurs, les membres des minorités : c'est l'idée qu'on n'a pas forcément besoin d'énormément d'argent et de pouvoir pour changer les choses. Si vous êtes un petit groupe de gens très investis, vous pouvez changer votre ville, et pourquoi pas votre pays.
Propos recueillis par Julien Dokhan
Le "vrai" Harvey Milk