Allociné : Quel a été votre parcours avant ce premier film ?
Gaby Dellal : J'ai été actrice pendant douze ans, mais plus au théâtre qu'au cinéma. Et puis j'ai eu mes enfants, donc j'ai moins travaillé. Ensuite, j'ai écrit et réalisé des courts métrages, dont Football, qu'on peut voir sur internet. Quand j'ai reçu le script d'Une belle journée, je me suis tout d'abord dit : un homme qui traverse la Manche à la nage, ça n'est pas pour moi ! Mais je l'ai quand même lu, et ça m'a beaucoup touchée. J'ai alors rencontré l'auteur, Alex Rose. Ensemble, on a retravaillé le script, qui me semblait un peu mièvre. Ce qui m'importait, c'était d'avoir Peter Mullan : avec un acteur pareil, impossible de tomber dans le sentimentalisme.
A-t-il accepté immédiatement ? Et est-il facile à diriger, lui qui est également réalisateur ?
Je lui ai écrit une lettre : "Cher Peter Mullan, j'adore votre travail, et j'aimerais beaucoup que vous jouiez le rôle de Frank. Si vous refusez, je crois que je vais me tuer...". Deux jours plus tard, il m'appelait. Il s'est très vite attaché à cette histoire. C'est quelqu'un de très loyal : il a fallu un an pour trouver l'argent pour ce film, eh bien Peter nous a toujours soutenus. Je lui suis très reconnaissante. Il est très facile à diriger, et même plutôt docile. C'est un bon réalisateur et un bon acteur, il sait donc que quand on joue, il ne faut se consacrer qu'à ça. D'ailleurs, dans The Magdalene sisters, il s'est donné un tout petit rôle.
On imagine que le tournage a demandé une certaine préparation physique...
Ca a été très difficile. Peter Mullan a dû s'entraîner pendant 6 mois. Il ne nageait pas très bien. Quant à Sean McGinley, qui joue son meilleur ami, il ne savait pas nager du tout ! Il a appris pour le film. Au début du tournage, il y a un an et demi, il était assez costaud. Maintenant il nage tous les jours, il est très fin. L'autre difficulté, c'était la température de l'eau : la Mer d'Irlande est encore plus froide que la Manche.
Après le football dans votre court-métrage, la natation à présent... Vous semblez vous intéresser particulièrement au sport, à l'exercice physique...
Pas du tout. Ce qui m'intéresse, c'est que ce sont des histoires d'hommes... Les gens qui ont vu Une belle journée me disent souvent : "C'est vraiment bizarre que ce film ait été réalisé par une femme." Mais moi je leur réponds : "Qui mieux qu'une femme peut raconter une histoire d'hommes ?" C'est peut-être parce que j'ai trois fils, ça m'a un peu donné l'esprit d'un garçon...
Votre film parle du manque de communication dans la famille, de l'incompréhension...
Si je devais résumer Une belle journée, je dirais que c'est l'histoire d'un homme qui nage d'une partie de sa vie à une autre. Il pourrait escalader une montagne ou courir un marathon, peu importe. Ce qui est triste pour Frank, et ce qui le rend d'autant plus courageux, c'est qu'il affronte la mer, l'élément qui a ruiné sa vie en emportant son fils. La question qui se pose, c'est vraiment : comment affronter ses démons ? C'est pour ça, me semble-t-il, que le film peut trouver un écho en chacun de nous. On a tous quelque chose à affronter, une "bête noire", même si, heureusement, c'est souvent moins grave que ce qui arrive à Frank.
Tous ces personnages ont l'air de grands enfants, de Billy Boyd à Brenda Blethyn, qui prend des cours de conduite en cachette...
Peut-être qu'il n'ont pas grandi, en effet. La maturité n'est pas seulement liée à l'âge, mais aussi à la confiance en soi, au fait d'avoir le courage de ses convictions. C'est aussi le problème du personnage de Chan, ce Chinois qui n'ose jamais prendre la parole.
Au début du film, on pense forcément à Ken Loach, et, peu à peu, le film part dans une autre direction.
J'ai lu dans un journal une expression comme "the new Ken Loach" à mon propos. C'est un grand honneur d'être comparée à lui, mais je ne crois pas que ce soit exact. Au départ, j'installe le film dans le monde réel, mais après je vais vers plus de fantaisie. Ce que j'espère, c'est que le film émeut les gens. J'aime quand, à la fin du film, les spectateurs ne peuvent pas s'empêcher de pleurer, même s'ils ont tout fait pour résister, même s'ils sont embarrassés...
Est-ce difficile de réaliser un film aujourd'hui en Angleterre ?
C'est très dur, et spécialement pour une femme. Les gens pensent qu'une femme n'est pas capable de mener à bien la réalisation d'un film. En France, vous avez davantage de réalisatrices, je pense à l'adorable Diane Kurys par exemple. En Amérique, en Angleterre, il y en a très peu.
Nous sommes à Dinard, au festival du film britannique. Quel regard portez-vous sur les films anglais ?
Je ne trouve pas qu'il soit incroyable, ce cinéma britannique. Je ne suis pas tellement impressionnée par les films anglais. Ce que j'aime, ce sont les films français. Bien sûr, j'aime Stephen Frears, Mike Leigh. Sinon, j'aime beaucoup Wong Kar Waï et les frères Coen. Mais par exemple, j'étais au Festival d'Edinburgh au mois d'août, et les deux films que j'ai préférés étaient 36 quai des orfèvres et surtout De battre, mon coeur s'est arrêté. J'adore ce film, et je n'ai rien vu d'aussi bien en Angleterre dernièrement.
Propos recueillis à Dinard le 9 octobre 2005 par Julien Dokhan