Gérardmer, février 2003. Il ne le sait pas encore, mais dans quelques jours, Hideo Nakata sera une nouvelle fois sacré dans le domaine de la peur avec trois récompenses, dont le Grand Prix du Festival, attribués à Dark water, son nouveau thriller en salles ce 26 février. Alors en attendant, le cinéaste japonais passe de micros en caméras pour évoquer son film et sa carrière, qui commence enfin à susciter l'intérêt des médias occidentaux.
Curieux parcours que celui de cet homme massif au visage dur et parfois impénétrable mais à la politesse toute japonaise. Passé des études d'ingénieur au cinéma, des films érotiques au phénoménal Ring, célébré pour ses oeuvres de terreur alors qu'il jure ne pas être un réalisateur de films d'horreur, Hideo Nakata n'est pas à une contradiction près. Etudiant ingénieur puis en sociologie avec l'envie de devenir journaliste au début des années quatre-vingt, le futur cinéaste passe le plus clair de son temps dans les salles obscures. "J'avais beaucoup de temps libre", raconte-t-il, "j'en profitais pour découvrir des films. J'ai dû en voir 300 en un an. Quelques films d'horreur, mais c'était l'époque des slashers et je n'aimais pas trop ce genre. Je préférais les classiques américains et européens, italiens et français surtout".
Erotisme pour la Nikkatsu
Voilà Hideo Nakata touché par le virus du septième art. Rédacteur d'un mémoire sur le cinéma philippin à la fin de ses études, il se dirige alors vers le studio Nikkatsu, principalement connu dans le pays pour ses films à caractère érotique. "Il y avait un concours d'entrée que j'ai réussi. A cette époque, une place à la Nikkatsu était très convoitée. Tout d'abord parce que le studio travaillait avec de grands réalisateurs. Ensuite parce que la production japonaise avait beaucoup baissé dans les années quatre-vingt. On ne produisait plus qu'une vingtaine de films par an. Et la Nikkatsu était le seul studio qui recrutait encore des jeunes".
Le jeune Nakata devient ainsi l'assistant de Masaru Konuma, réalisateur de soft porns. "Pour moi, cinéphile, c'était un rêve de travailler à la production d'un film". Mais seconder le vieux metteur en scène n'a rien d'une sine cure. "Konuma était très sévère avec ses assistants, parfois, il nous traitait comme des animaux. Il s'est passé quelque chose de très fort entre nous deux, une relation passionnelle. Quelque fois, j'ai eu envie de le tuer". Loin de ses plans d'homicide, Hideo Nakata préférera lui consacrer un documentaire, le bien nommé Sadistic and masochistic, en 2001.
Le phénomène "Ring"
L'heure de voler de ses propres ailes se rapproche. Déjà réalisateur d'une série télévisée (God's hand) en 1992, Hideo Nakata part en Angleterre en 1993 pour préparer un documentaire sur le metteur en scène Joseph Losey. Faute de budget pour boucler la post-production, Joseph Losey, the man with four names est repoussé, pour finalement sortir en 1998 après le succès de Ring. Le néo-réalisateur se tourne alors vers la société WoWow et son producteur Takenori Sento. "Je leur ai proposé le concept d'un thriller qui se déroule dans le milieu de la télévision. Je crois que mon expérience dans le domaine de la télévision les a convaincus". Ghost Actress connaît une sortie anecdotique en 1996 mais sa conception a une influence décisive sur la future carrière d'Hideo Nakata. Deux ans plus tard, Takenori Sento décide de lui confier les clés de l'adaptation du célèbre roman Ring écrit par Kôji Suzuki.
La suite est connue. Sorti dans les salles japonaises en décembre 1998, Ring, présenté en double programmation avec un autre film (opération promotionnelle courante au Pays du Soleil Levant), se transforme vite en véritable phénomène de société, attire des millions de spectateurs, fait exploser les ventes de son roman d'origine (qui sont alors multipliées par six !) et relance totalement le genre du film de fantôme. "Je suis allé voir le film plusieurs fois en salles. Ring était le premier des deux films présentés. Pendant l'entracte de quinze minutes, les spectateurs prenaient leur portable pour conseiller à leurs amis de venir voir le film". Surprise, ce sont surtout les collégiennes qui se précipitent et leur héroïne est... Sadako, le fantôme vengeur de l'intrigue, dont les Japonaises imitent le style (longs cheveux plaqués devant les yeux). "Les filles qui s'appelaient vraiment Sadako faisaient l'objet de moqueries".
En route vers Hollywood
Catalogué cinéaste de la peur, Hideo Nakata n'hésite cependant pas à se tourner vers d'autres genres une fois Ring 2 tourné dans la foulé des premières aventures de Sadako. Il travaille ainsi sur le film romantique Chaos, une adaptation libre de La Belle au bois dormant (Sleeping bride) tirée d'un manga en 2000, et sur le drame Last scene en 2001. Destin ou malédiction, c'est cependant toujours dans le domaine de la peur qu'Hideo Nakata se fait le plus remarquer : pour The Embalmer tout d'abord, puis Dark water qui le voit débarquer puis triompher dans les Vosges en 2003.
Peu enclin à l'utilisation des effets spéciaux, Hideo Nakata explique à grands renforts de gestes sa théorie implacable du suspense : "dans un film d'horreur, la peur des protagonistes et des spectateurs doivent être parallèles. Elle est comme une vague, la tension augmente puis se relâche. Et j'aime faire durer le relâchement, pour impatienter le spectateur". Une technique qui séduit Hollywood, qui a déjà racheté les droits de Ring (dont le remake, Le Cercle - the Ring, a rapporté plus de 120 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis), Chaos (prévu avec Robert De Niro et Benicio Del Toro) et Dark water. Hideo Nakata, lui, vient de s'engager avec la MGM pour réaliser True believers. Un thriller. La peur n'a pas fini d'encercler le cinéaste japonais.
Thomas Colpaert
"Dark water" en vidéo : - - -
La malédiction "Ring" en vidéo : - -
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