Pourquoi la série Severance a visé juste et parle à tout le monde
Mégane Choquet
Mégane Choquet
-Journaliste
Journaliste spécialisée dans l'offre ciné et séries sur les plateformes quel que soit le genre. Ce qui ne l'empêche pas de rester fidèle à la petite lucarne et au grand écran.

Depuis son arrivée sur le petit écran, la série "Severance" a retourné le cerveau de nombreux spectateurs mais a aussi soulevé une nouvelle priorité majeure dans le monde du travail.

Production unique en son genre devenue un phénomène grâce au bouche-à-oreille et un accueil critique favorable, cette série de science-fiction notée 4,4 sur 5 par les spectateurs d'AlloCiné est considérée comme une des meilleures œuvres télévisées de ces dernières années.

Son succès lui a valu de nombreuses nominations et récompenses grâce à sa première salve d'épisodes qui avait fasciné son public pour son intrigue haletante et ses nombreux rebondissements.

Et la deuxième saison de Severance a créé un engouement encore plus fou, qui a fait de la série la plus vue de tous les temps sur Apple TV+. Grâce la sortie de la saison 2 de la série créée par Dan Erickson et produite par Ben Stiller, la plateforme de streaming a connu une croissance de 126 % du nombre d’abonnés en janvier 2025.

Une série à laquelle on peut s'identifier

Si la majorité des fans louent l'écriture, les personnages, les rebondissements et l'univers qui n'est pas Lost de Severance, la série a su attirer un public pour sa thématique principale, entre Black Mirror et The Office.

Pour rappel, Severance raconte l'histoire de Mark Scout (Adam Scott), qui travaille pour Lumon Industries. Les employés de cette entreprise ont tous subi une opération chirurgicale de séparation entre leurs souvenirs liés à leur vie professionnelle et ceux liés à leur vie privée, qu'on appelle la "dissociation" ("severance", en anglais).

Une partie du public s'est identifiée à la série sur les conséquences que le travail peut avoir sur la santé mentale. Ben Stiller a d'ailleurs évoqué pour AlloCiné les retours qu'il avait pu avoir du public à ce sujet :

"Je pense que le moment où la série est enfin sortie, alors que nous l'avons préparée au pic de la pandémie, a été un heureux hasard. Je pense que cela a eu pour effet de permettre aux gens de faire un bilan de leur propre situation professionnelle et personnelle.

C'était vraiment intéressant d'entendre les retours des gens et de voir comment les gens réagissaient de différentes manières. Je sais qu'il y a un fan de la série qui était un vétéran de la guerre en Irak qui nous a parlé de ses expériences avec le stress post-traumatique.

Il s'est identifié d'une certaine manière à la série et s'est posé des questions sur la façon dont une puce de dissociation affecterait les gens de cette manière, sans traiter de souvenirs traumatisants. Et ainsi de suite, d'une extrémité à une autre du spectre, l’aspect étrange et amusant de la série, qui, je pense, est aussi, d’une certaine manière, une évasion amusante de la vraie vie."

L'équilibre vie personnelle / vie professionnelle au cœur des priorités

Depuis la pandémie mondiale, les priorités de certains et certaines ont changé, notamment dans le monde du travail. Et de plus en plus de personnes, qui ont eu l'occasion de réfléchir sur eux-mêmes et leur existence, souhaitent préserver leurs vies personnelles et trouver un équilibre entre le travail et le privé.

D'après une étude du cabinet de recrutement spécialisé Robert Half - la 4ème édition de son baromètre "Ce que veulent les Candidats" -, les tendances sur le marché du recrutement ont évolué ces dernières années du côté des salariés.

Ces derniers, toutes générations confondues, sont devenus plus exigeants ces 12 derniers mois sur trois critères précis : le salaire (62%), l'équilibre vie pro/vie perso (51%) et le sens du travail (44%).

Si le salaire reste en première position, toutes générations confondues, l'équilibre vie pro/ vie perso arrive systématiquement en 2e position, avec une part particulièrement élevée de 56% pour les 35-44 ans.

"Aujourd'hui, l'équilibre entre vie pro et vie perso est au cœur de tous les sujets", nous a expliqué Pierre Sperat-Czar, Talent manager chez Robert Half, "Lorsqu'on fait passer des entretiens aux candidats, ils ont tous très souvent la question du télétravail, des horaires de travail flexibles et la culture de l'entreprise vis-à-vis de la liberté du salarié sur ces questions".

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D'après l'étude de Robert Half, la recherche d'un meilleur équilibre vie pro/vie perso serait d'ailleurs une des raisons majeures qui pousserait à quitter une entreprise pour les salariés entre 18 et 35 ans (27%) et ceux entre 45 et 65 ans (29%) .

Une fiction proche de la réalité

Bien que Severance se déroule dans une autre réalité, qui relève de la science-fiction puisque la technologie de dissociation n'existe pas, son propos reste proche du réel.

"Je comprends pourquoi toute personne qui travaille peut s'identifier aux personnages de la série", selon Pierre Sperat-Czar, "Tout le monde, je pense, s'est déjà posé la question : 'Si ça m'arrivait à moi ? J'arrive au travail, j'oublie qui je suis à l'extérieur. Une fois que je sors, j'oublie qui j'étais à l'intérieur'".

L'environnement de travail aseptisé de Severance contribue à l'aliénation de ses personnages. Et le lieu de travail a un impact important sur le bien-être du salarié. Chez Robert Half, les équipes se déplacent dans les entreprises pour retranscrire leurs descriptions et ressentis aux futurs candidats. "Ils veulent être sur un lieu où ils se sentent bien, parce qu'ils ne font pas une dissociation entre eux au travail et eux à la maison."

L'environnement de travail est également important pour le bien-être et la santé mentale d'un candidat à l'embauche. Comme dans Severance, les bureaux fonctionnent de plus en plus en open space ou en flex office. "Le but, c'est de bien s'entendre avec tout le monde donc les candidats cherchent à connaître la vie d'entreprise", explique Pierre Sperat-Czar.

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Mais contrairement à l'environnement aseptisé et robotisé de Severance, les candidats à l'embauche veulent "une bonne ambiance de travail" et "une vie d'entreprise qui soit un peu plus sociable".

Donner du sens au travail

Dans la série Severance, Mark et les autres employés de Lumon effectuent des tâches répétitives et abrutissantes. Dans leur département de Raffinement des Macrodonnées, ils doivent analyser des données, compiler des données et en mettre certaines dans les corbeilles. On ne sait pas pourquoi, ni comment ils arrivent à effectuer ces tâches.

"On ne comprend pas ce qu'ils font avec les chiffres. À un moment, il y en a un qui explique à la nouvelle arrivée: 'Oui, il faut le sentir, tu verras, ça va venir tout seul'. Mais même nous, on comprend pas comment il arrive à sentir ces choses-là.

C'est vraiment la partie qui m'impacte, c'est de se dire : En fait, on sait pas ce qu'on fait, mais on doit le faire. Dans quel but ? Aucune idée. L'entreprise les enferme dans un pseudo cocon en disant: Oui, vous êtes bien, vous êtes dans un environnement stable, sain, etc. Mais en fait, non, tout est faussé puisqu'ils sont dissociés de la réalité d'eux à l'extérieur."

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Cette interrogation est évocatrice pour le public, qui se pose souvent la question du sens du travail. Cette demande est de plus en plus importante pour les salariés et les candidats, notamment de la nouvelle génération, selon Pierre Sperat-Czar.

"Aujourd'hui, la nouvelle génération qui arrive sur le marché de l'emploi et qui est déjà sur le marché de l'emploi va avoir un regard plus critique sur ce qui se passe et non pas seulement sur des missions qui vont être confiées, mais également sur un environnement de travail.

Quand on leur présente une fiche de poste, ils nous challengent parce que les missions peuvent être hyper attractives. Le but, c'est de savoir ce qu'il y a derrière, pas la face cachée, mais de donner un maximum d'informations qui ne sont pas lisibles. Il y a la nouvelle génération qui va vraiment challenger et une ancienne génération qui est plus dans l'acceptation de ce qu'on va proposer."

Mais depuis quelques années, on constate une priorisation du sens du travail pour toutes les générations puisque l'étude de Robert Half estime le sens du travail est le troisième critère (44%) sur lequel les candidats, toutes générations confondues, sont devenus plus exigeants.

Propos de Ben Stiller recueillis par Mégane Choquet le 10 décembre 2024 et propos de Pierre Sperat-Czar de Robert Half recueillis par Mégane Choquet le 30 janvier 2025.

Les deux saisons de "Severance" sont disponibles sur Apple TV+.

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