Ça parle de quoi ?
Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule.
Un livre, un jour
A l'origine de Leurs enfants après eux, le film, il y a un livre, signé Nicolas Mathieu et lauréat du Prix Goncourt en 2018. Ce qui, un peu comme la Palme d'Or côté cinéma, lui offre une plus belle exposition. Et c'est ainsi qu'environ deux millions de personnes ont déjà lu l'histoire d'Anthony, Steph et Hacine à ce jour, ce qui fait un beau potentiel d'entrées pour son adaptation cinématographique. Qui devait d'abord être une série chapeautée par Gilles Lellouche.
"On l'a rencontré en 2022 car il voulait qu'on co-écrive avec lui l'adaptation de Leurs enfants après eux, pour en faire ce qui devait être une série", nous raconte Zoran Boukherma, l'un des deux réalisateurs. "On devait co-écrire et peut-être se partager la réalisation des épisodes et, à ce moment-là, nous n'avions pas encore lu le roman de Nicolas Mathieu mais nous nous sommes rattrapés et nous avons eu un véritable coup de foudre pour son écriture et ce qu'il raconte."
"Je pense qu'on s'est beaucoup retrouvés dans ces adolescents qui s'ennuient à la campagne. On n'a pas grandi dans la même France que les personnages du livre, puisque nous avons grandi dans le Sud-Ouest, mais dans un milieu social qui était très similaire à celui d'Anthony, et ça nous a beaucoup parlé. Mais Gilles s'est consacré à L'Amour ouf, qui lui a pris beaucoup de temps, donc il en avait moins pour Leurs enfants après eux."
"Donner un souffle et un écrin de cinéma à ces personnages"
"Et, avec Ludovic, nous avons eu la sensation que cette histoire méritait plutôt le grand écran que la série. Je crois que nous avions envie de donner un souffle et un véritable écrin de cinéma à ces personnages, et on trouvait que le grand écran convenait mieux à cette histoire."
Que Gilles Lellouche se soit entiché de cette histoire n'est pas étonnant quand on voit L'Amour ouf. Car les deux films, très cinématographiques et référencés, racontent une histoire d'amour contrariée au long cours et nous plongent dans les années 90 aux côtés de leurs personnages. Mais c'est Ludovic et Zoran Boukherma qui ont mené l'adaptation de Leurs enfants après eux à bien.
Ce qui, à première vue, constitue un gros virage de la part des réalisateurs de Teddy et L'Année du requin, comédies horrifiques mélangeant acteurs amateurs et professionnels, avec des dialogues qui sentent bon l'accent de leur Sud-Ouest natal. Mais quelque chose relie les trois longs métrages, au-delà de leur identification aux personnages : une envie de raconter leur jeunesse au cinéma.
"Nos deux précédents films étaient des films qui avaient une dimension fantastique et horrifique", répond Zoran Boukherma. "Mais je crois que derrière ça, ce qui nous intéressait, c'était de parler de la France dans laquelle on a grandi. Nous, nous sommes particulièrement attachés à l'idée de filmer les classes populaires, parce qu'on en vient. C'est peut-être parce que c'est ce qu'on connaît le mieux aussi, et c'est vraiment ce qu'on a retrouvé dans le roman de Nicolas Mathieu : une justesse sur le regard qui porte à cette classe-là en particulier."
"Pour nous, Leurs enfants après eux représentait la continuité de ce qu'on avait entamé comme démarche dans ces films. Parce que l'idée de mettre du genre dans la France dans laquelle on a grandi, c'était aussi une manière de nous décomplexer aussi formellement. On a grandi dans une famille qui n'était pas particulièrement cinéphile, avec des références qui nous paraissaient, quand on arrivait à Paris en école de cinéma, ne pas être les bonnes références."
"Teddy et L'Année du requin étaient des moyens d'insuffler du cinéma qui avait été le nôtre quand on était enfant dans nos histoires, mais dans des films qui étaient quand même, pour nous, des films aux problématiques sociales."
"On s'est beaucoup retrouvés dans ces adolescents qui s'ennuient à la campagne"
"Et Leurs enfants après eux, on l'a vraiment envisagé dans la continuité de ça, avec l'idée de se dire qu'on va regarder une histoire dure, de reproduction de classe. C'est la fin de la sidérurgie dans une région, donc on montre comment une génération évolue sans cet horizon commun qui est l'usine."
"En même temps, on voulait regarder, avec nos références à nous, qui sont très américaines, et se dire que même si on a cette histoire qui est sociale, on va quand même lui donner cet écrin de cinéma et oser une mise en scène un peu à l'américaine. Elle est là, pour nous, la continuité de Teddy et L'Année du requin."
Contrairement à ces deux films, où l'intrigue était plus resserrée, celle de Leurs enfants après eux s'étend de 1992 à 1998. Ce qui a représenté un gros défi, pour raconter le temps qui passe : "On aurait pu vouloir changer d'acteur, mais on a préféré que le spectateur puisse s'attacher à un visage, quitte à moins le faire changer", nous dit Ludovic Boukherma.
"Pour sentir le temps qui passe, on a joué sur le personnage de Patrick [Gilles Lellouche, quand même présent mais devant la caméra seulement, ndlr] qui s'épaissit à mesure que le film avance. Ou Paul Kircher a collaboré avec une chorégraphe, pour travailler comment est-ce qu'on est à 14 ans un peu maladroit, comment on fume sa cigarette quand on ne sait pas fumer. Puis comment on grandit, on se redresse et on prend de l'assurance. On a joué sur des petites choses comme ça pour faire passer le temps."
"Je pensais beaucoup au film Un Français avec Alban Lenoir, que je trouve très réussi par rapport à cette idée de suivre un personnage depuis ses 20 ans en nous montrant comment il grandit et change", explique Paul Kircher, interprète d'Anthony d'un bout à l'autre du film.
"Ce qui était intéressant, c'était de voir comment Anthony, avec cet héritage paternel qu'il a - car on le renvoie toujours à une figure masculine - il confronte cela avec la personne qu'il devient, et comment il grandit en répétant les mêmes expériences et en se mettant dans la peau de quelqu'un qui ne l'est pas. Ce qui peut être assez marrant à certains moments et assez douloureux aussi pour, ensuite, le voir devenir un adulte."
"Les rêves sont un peu illimités parce qu'ils ne sont pas confrontés avec la réalité"
"Quand il grandit, il est beaucoup plus ancré dans la réalité, quand il y avait ce truc à imaginer, avec les autres acteurs aussi, au début du film, quand c'est un ado qui se croit un peu dans un film : il s'est construit avec les films qu'on lui a montrés, issus de la culture américaine."
"Parce que l'histoire est marquée par des références à la pop culture, d'Iron Maiden à Bruce Lee en passant par Rocky et des trucs comme ça, son monde intérieur est construit par ça, par les jeux vidéo, la Mega Drive, des trucs des années 90, avec la moto, puis son père, son cousin."
"Ça lui donne un sentiment que tout est possible dans sa tête. Car les rêves sont un peu illimités parce qu'ils ne sont pas confrontés avec la réalité. Et sa nécessité de construire ce monde intérieur, ce monde intérieur de l'adolescent de 14 ans qui est vraiment perché." Après Le Lycéen et Le Règne animal, celui qui a remporté le Prix du Meilleur Espoir au dernier Festival de Venise confirme son talent dans cette belle fresque intimiste, doublée d'une adaptation réussie signé Ludovic et Zoran Boukherma.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 21 novembre 2024