En 2014, Locke de Steven Knight rejoignait The Guilty de Gustav Möller, Buried de Rodrigo Cortes ou Phone Game de Joel Schumacher dans la liste des films qui ne se focalisent que sur un personnage et un lieu, reléguant le reste à des voix et du hors-champ. Dix ans après ce long métrage qui nous asseyait aux côtés de Tom Hardy, dans sa voiture, Gilles Bourdos fait de même avec Vincent Lindon dans Le Choix.
S'il y a quelques petites différences dans l'adaptation (le rôle de l'épouse de Joseph Cross, tenu par Emmanuelle Devos, a été quelque peu étoffé), le concept reste le même. Et, à l'exception de quelques plans vus de l'extérieur, qui font office de respiration, nous ne quittons jamais l'habitacle de la voiture conduite par Vincent Lindon. Et nous insistons bien sur ce dernier terme, car Le Choix va à l'encontre de l'une des astuces du cinéma.
"En général, au cinéma, on pose la voiture de jeu, celle du comédien, sur une sorte de plateforme qui est tractée", nous explique Gilles Bourdos. "Pas là : elle n'est ni tractée, ni attachée. C'est Vincent qui roule. Et nous on le précède, en sachant qu'on a changé de dispositif de caméra à chaque prise, mais ça rend l'exercice extrêmement périlleux, du point de vue de la route, de la technique et du jeu. Mais c'est ce qui permettait de donner corps à la tension, à la crédibilisation de cette route et de l'enjeu du parcours qu'il fait."
"Je n'aurais pas pu jouer autrement"
"Je n'aurais pas pu jouer autrement", ajoute Vincent Lindon. "Je suis en voiture la majeure partie du temps, et nous sommes allés en studio pour des petites choses qui étaient infaisables autrement : un plan qui part du téléphone, va vers mon visage puis sort de la voiture par une vitre pour rentrer par l'autre. Ce n'était pas tant impossible qu'interdit, on ne pourrait pas laisser une équipe faire ça sur l'autoroute à 130."
"Mais le reste du temps, c'est moi qui roule. Et tant mieux car ça donne une véracité incroyable au projet et que mon esprit est occupé, or on ne fait jamais aussi bien les choses où l'on doit se concentrer que quand une autre fait appel à vous. Le fait de conduire me distrait et m'oblige à être vrai quand je parle avec les autres au téléphone tout en regardant la route sans arrêt. Si je ne conduisais pas pour de vrai, j'aurais peut-être oublié, en restant trop longtemps à ne pas regarder la route."
"Là, quand il y a un appel de phare, je regarde dans le rétroviseur. Quand je veux doubler, je suis obligé de mettre le clignotant. C'est tout un habillage qui fait que cela donne de la véracité au projet, de la véracité à la voiture, aux comédiens et j'ai envie de dire que ce sont des béquilles sur lesquelles je m'appuie pour pouvoir me donner complètement à ce que je vis."
Au détour d'une phrase, le comédien révèle que les prises de vues ont duré six jours. Mais comment ont-elles eu lieu ? A-t-il été possible de tourner dans l'ordre chronologique du récit, chose qui, là encore, se fait très rarement au cinéma ? Ou en séquençant le film selon les interlocuteurs de Joseph Cross ?
"Nous avons tourné des grands blocs mais pas dans l'ordre chronologique exact", explique Gilles Bourdos. "J'ai plus travaillé en fonction des personnages. Il y avait un ordre chronologique qui était celui des personnages. Et chaque acteur interagissait en direct avec Vincent : soit au téléphone dans une voiture devant, avec moi, soit depuis chez lui. Il jouait tout le temps en direct avec ses partenaires, et le son que vous entendez, c'est celui capté par l'ingénieur, planqué à l'arrière du véhicule et qui chopait le son du retour sur les enceintes Bluetooth."
"C'était évidemment très compliqué (rires) Un casse-tête chinois parce que, évidemment, Vincent ne pouvait pas m'entendre. Donc pour corriger des choses ensemble, il fallait qu'on s'arrête sur le bord de l'autoroute, qu'on rediscute, qu'on remonte, que je rappelle les autres acteurs au téléphone. Pour ça, il fallait des acteurs avec qui j'ai beaucoup de complicité, avec qui j'avais de l'expérience et qui sont tous des formidables acteurs. Ils se prenaient beaucoup en charge, ils m'ont beaucoup aidé."
"Je me suis dit que je n'allais pas y arriver, que je n'allais jamais y arriver"
Si les situations paraissent justes et naturelles, Le Choix est donc une affaire de précision. Jusque dans son texte : "C'était très écrit, très travaillé en amont", dit Gilles Bourdos. "Mais il y a eu un gros travail fait avec Vincent Lindon lui-même sur le texte pour préparer, pour répéter, pour se l'approprier à sa manière, pour changer une phrase à droite, à gauche… Pour qu'il y ait le sentiment de la plus grande spontanéité."
"Mais cette spontanéité qu'on voit à l'écran, elle est très travaillée. Parce que si vous laissez les acteurs en improvisation, vous allez avoir, comme quand on parle dans le réel, beaucoup de scories, de répétitions, de choses inutiles. Et le cinéma, ce n'est pas ça. Le cinéma, c'est une illusion du réel, donc une condensation du réel. Et pour arriver à cette illusion du réel, il faut beaucoup travailler en amont."
"Oui, j'ai eu le trac", raconte Vincent Lindon, en guise de conclusion. "Je me suis dit que je n'allais pas y arriver, que je n'allais jamais y arriver, que c'était trop difficile pour moi, qu'il y avait un texte trop long à apprendre, trop de choses à faire, que j'allais être trop enfermé. Mais, vous savez, si c'était à refaire, je ne le referais pas. Mais je l'ai fait. Il y a plein de choses dans la vie comme ça."
"Et ce film est un prototype. C'est du jamais vu. Ça n'a jamais été fait : c'est un film qui n'a jamais été fait sur quelque chose que tout le monde fait. C'est très intéressant. Surtout que le cinéma, c'est quelquefois des choses qui ont été souvent faites, mais que personne ne fait jamais. Donc là c'est exactement le contraire." Et le résultat est à voir au cinéma depuis le 20 novembre.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 12 novembre 2024