Ça parle de quoi ?
Joseph Cross ressemble à son métier. Solide comme du béton. Marié, deux enfants, son existence est parfaitement organisée. Pourtant cette nuit, seul au volant, il doit prendre une décision qui peut ruiner sa vie.
On refait le film
Ça n'est pas évident lorsque l'on voit le titre et le synopsis. Ou même la bande-annonce, qui ne précise pas le concept du film. Certains spectateurs risquent pourtant d'avoir un sentiment de déjà vu devant Le Choix, et pour cause : il s'agit d'un remake. Celui de Locke, thriller dramatique signé Steven Knight, avec Tom Hardy dans le rôle de cet homme avec qui nous passions 90 minutes dans l'habitacle de sa voiture.
Sorti sur quatre petites copies au coeur de l'été 2014, le long métrage n'avait attiré que 10 993 personnes dans les salles françaises, donc Le Choix paraîtra inédit pour une très grande majorité du public. Et son parti-pris est très facilement exportable : comme Tom Hardy, Vincent Lindon passe l'intégralité du film au volant de sa voiture, et le spectateur n'entendra que les voix des autres acteurs et actrices du film avec lesquels il interagit au gré de son trajet, pour résoudre des problèmes d'ordre personnel et professionnel.
"Il y a eu ce désir de faire quelque chose avec Vincent Lindon au départ", nous dit le réalisateur Gilles Bourdos (Espèces menacées) au moment d'évoquer le pourquoi du comment de ce remake. "J'ai cherché un projet qui me poserait la question de l'interprétation, puisque mon désir initial, c'est Vincent Lindon. Et il s'est passé une chose assez curieuse : j'avais vu Locke, mais à l'étranger, non sous-titré, et beaucoup de choses m'avaient un peu échappé du récit. Puis j'avais trouvé le scénario sur Internet, et je l'ai lu après avoir vu le film. Et c'est surtout le récit qui m'est resté en tête."
"Renouer avec la tradition de ces films conceptuels comme The Guilty, Phone Game ou Buried"
"Quand on lit le scénario, il fonctionne comme une pièce de théâtre : il y a des textes, des dialogues... Donc je me suis emparé de ce projet, avec la complicité de Steven Knight, l'auteur du texte original qu'on a retravaillé avec le scénariste Michel Spinosa. Mais je dirais que je me suis surtout emparé d'un texte, plus que d'un film. C'est le texte qui m'intéressait, et la situation cinématographique qui consistait à propulser ce personnage tout seul sur la route, enfermé dans cette bulle de verre et avec face à un choix existentiel à faire."
"Ça pourrait être adapté au théâtre. C'est un procédé, qui ressemble à 'La Voix humaine' de Jean Cocteau, où tout se passait au téléphone. C'est un film de 30 minutes, mais le procédé était déjà là. Et puis, ça renoue avec la tradition de ces films conceptuels comme The Guilty, Phone Game ou Buried, avec des personnages uniques dans un lieu unique. Mais en France, ça n'a jamais été fait à ma connaissance. Et ce qui m'intéressait, c'est qu'en général, dans ce type de film, la tension naît toujours d'artifices de fiction. Là nous sommes face à une problématique du quotidien qui pourrait arriver à n'importe qui. Donc tenir la tension autour d'une problématique du quotidien, c'est ce qui m'intéressait le plus."
D'où le titre, là où celui de l'original mettait en avant le nom du protagoniste : "C'est au cœur de l'enjeu du film. Joseph a un choix à faire. Et, en grec, le choix, c'est le 'krisis', la crise. C'est un personnage qui est en crise, qui a un choix à faire et ce choix peut faire basculer ou pas sa vie."
"Ce film est un prototype", surenchérit Vincent Lindon. "C'est du jamais vu. Ça n'a jamais été fait. C'est un film qui n'a jamais été fait sur quelque chose que tout le monde fait [conduire et interagir avec des gens pendant le trajet, ndlr]. Alors que le cinéma, c'est parfois des choses qui ont été souvent faites, mais que personne ne fait jamais. Donc Le Choix c'est exactement le contraire et c'est ça qui m'a attiré."
"J'essaye aussi de choisir un rôle de manière à ce qu'il y ait un libre échange entre lui et moi, que ce soit une bonne affaire. Là, celui-ci m'a apporté la mise en abyme d'être tout seul. Je suis rarement seul. Mais là, par la force des choses, je l'étais pendant les six jours du tournage. Seul, seul, seul, vraiment. J'ai joué seul, ce qui ne m'est jamais arrivé. J'ai joué avec des voix, c'est formidable. J'ai joué avec des voix qui m'ont d'ailleurs aidé à trouver ma voix. Ça m'a apporté, en tant qu'acteur, de réaliser qu'une voix c'est presque aussi important que le physique, si ce n'est aussi important. C'est énorme, la voix. Ce n'est pas pour rien qu'on a inventé la radio."
"Un film qui n'a jamais été fait sur quelque chose que tout le monde fait"
"Il y a quelque chose de fantasmagorique derrière, il y a quelque chose de sexy, de sensuel, qui laisse une place à l'imaginaire. Donc, j'ai joué seul avec d'autres gens dont je n'entendais que la voix. Mais en même temps, j'ai pris conscience à quel point une voix était importante. Et ça, c'est la première fois. Ça m'a apporté, en tant qu'homme même. Et puis faire un film de courte durée, comme ça, condensé, avec autant de textes, des plans séquences qui durent quelquefois jusqu'à dix minutes, ça m'a montré, l'air de rien, que je me suis pas ramolli, que je suis pas tombé dans le confort. Qu'à mon âge, j'étais encore capable de prendre un risque."
"Une bonne affaire, c'est quand les deux parties gagnent. Donc, j'ai gagné autant que le personnage, si ce n'est même plus. Voilà les raisons pour lesquelles je fais des films." Une preuve supplémentaire, si besoin était, que Vincent Lindon est aussi intense dans Le Choix que lorsqu'il s'agit de parler d'un film en-dehors des plateaux.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 12 novembre 2024