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    Terrifier 3 : "On n'aurait jamais pu imaginer ce qu'il s'est passé"… L'interdiction aux moins de 18 ans et le succès vus par le distributeur du film
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Responsable de la distribution chez ESC Editions, Victor Lamoussière revient avec nous sur le parcours déjà incroyable de "Terrifier 3", interdit aux moins de 18 ans en France.

    Il y a encore deux semaines, Terrifier 3 n'était certes pas considéré comme une sortie banale, car il suscitait une vraie attente chez les fans d'horreur qui ont fait d'Art le Clown leur nouveau chouchou. Mais qui aurait imaginé le voir aussi haut au box-office, rivalisant avec le très familial Robot sauvage, le biopic Lee Miller ou encore Joker : Folie à deux ?

    Alors que son distributeur craignait que cette sanction ne porte un coup fatal à son parcours en salles, Terrifier 3 a déjoué tous les pronostics, attirant 244 182 spectateurs dans 154 salles, avec une moyenne par copie spectaculaire (1 586 entrées par écran).

    Comme Saw III, dernier film d'horreur interdit aux moins de 18 ans en France, en 2006, Terrifier 3 a su tirer profit de cette classification rare. Et Victor Lamoussière, responsable de la distribution chez ESC Editions, l'un des trois distributeurs (avec Shadowz et Factoris), revient avec nous sur ce succès qui le dépasse, et les montagnes russes par lesquelles il est passé en peu de jours.

    Terrifier 3
    Terrifier 3
    Sortie : 9 octobre 2024 | 2h 05min
    De Damien Leone
    Avec Lauren LaVera, David Howard Thornton, Jason Patric
    Presse
    3,2
    Spectateurs
    2,6

    AlloCiné : Il y a une dizaine de jours, vous faisiez part de votre inquiétude quant à la carrière en salles de "Terrifier 3", suite à son interdiction. Depuis il a attiré près de 245 000 spectateurs en cinq journées d'exploitation. On imagine que "soulagement" est le sentiment qui prédomine chez vous actuellement ?

    Victor Lamoussière : Je vous avoue que le sentiment qui prédomine est difficile à déterminer précisément, dans le sens où on est un passés par toutes les émotions qui peuvent exister depuis dix jours. Le 4 octobre, on apprend l'interdiction aux moins de 18 ans à midi. À ce moment-là, on se dit qu'on est morts, qu'on va perdre la plupart de nos copies et que le film est enterré, surtout qu'on n'a pas eu les réponses des cinémas le vendredi soir, mais plutôt le lundi matin qui précédait la sortie.

    Donc on a vraiment passé un très mauvais week-end. Finalement, les salles nous ont quand même plutôt suivis le lundi matin pour la sortie le mercredi. Avec un nombre de séances plus limité, néanmoins, et plutôt le soir. Donc, au final, un plan de sortie un petit peu moins large que ce qu'on espérait au tout début de la programmation du film. Mais mardi soir, veille de la sortie, la programmation était sauvée malgré tout. Déjà, ça a été un premier soulagement.

    Ensuite il est vrai que, depuis sa sortie, le film a réalisé des résultats absolument démentiels qui allaient absolument au-delà de toutes nos espérances. On n'aurait jamais pu imaginer ce qu'il s'est passé. Il y a bien sûr eu un effet de buzz assez incroyable autour de la sortie, suite à cette annonce d'interdiction aux moins de 18 ans. Ça fait qu'on est très heureux aujourd'hui, oui, parce que le film a réalisé des entrées absolument dingues.

    Mais depuis quelques jours, pour nous, c'est un un peu la guerre, parce qu'à partir de mercredi [le 16 octobre, ndlr], pour sa deuxième semaine d'exploitation, le film sera sur plus de 268 copies. Donc il y a eu des appels dans tous les sens, on a dû relancer des impressions d'affiches en dernière minute, on avait prévu plein de goodies et on n'a absolument plus rien. Ça nous a un petit peu dépassés et on n'a pas eu trop le temps de dormir depuis une semaine. Il va nous falloir encore un peu de temps pour réaliser, mais c'est magnifique.

    Vous aviez quand même l'espoir que cette interdiction ait un effet positif ? Comme pour "Saw III", seul film interdit aux moins de 18 ans en France et meilleur score de la saga ?

    L'annonce étant tombée très tardivement, on n'a pas vraiment eu le temps, honnêtement, de penser à ça. Quand l'annonce tombe, notre première réaction a d'abord été de prévenir les exploitants tout de suite. Il n'y avait pas le choix. On a ensuite fait ce petit communiqué, mais là aussi c'était le vendredi après-midi pour une sortie le mercredi suivant. C'était vraiment quatre jours avant la sortie, il n'y en avait rien calculé, rien de prémédité.

    Mais il y a toujours cette crainte : on travaille sur des films violents qui titillent un petit peu la commission à chaque fois, donc il y a toujours, dans un coin de notre tête, cette idée qu'un jour, le moins de 18 ans va tomber. Mais honnêtement, on pensait que ça passerait sur Terrifier 3 alors qu'on avait déjà sorti des films comme The Sadness il y a quelques années. Et, à titre personnel, entre un Terrifier 3 et un The Sadness, c'est au second que j'aurais attribué cette interdiction aux moins de 18 ans si j'avais dû la donner à l'un d'entre eux.

    Tout s'est fait extrêmement vite. On fait notre communiqué dans un premier temps, déjà pour signifier qu'on déplore quand même cette décision : même si là, il s'est passé tout ce qu'il s'est passé avec le film, de manière générale et que ce soit pour d'autres distributeurs à l'avenir ou même pour nous, on pense encore aujourd'hui que, d'un point de vue moral et symbolique, une interdiction aux moins de 18 ans pour un film d'horreur qui n'a absolument rien de politique, qui est grand guignol, ça ne reste jamais souhaitable. Restreindre l'accès aux salles de cinéma à une partie du public n'est jamais souhaitable selon nous.

    "Restreindre l'accès aux salles de cinéma à une partie du public n'est jamais souhaitable selon nous"

    La première chose était donc de faire ce communiqué pour signifier qu'on regrettait ce choix. Et le deuxième objectif du communiqué, fait dans la précipitation en une demi-heure, c'était aussi et surtout de rassurer les exploitants quant au fait qu'on était habitués à distribuer ce genre de film, qu'on a souvent eu des interdictions aux moins de 16 ans, voire des interdictions aux moins de 16 ans avec avertissement, et que ça s'était toujours très bien passé dans les salles de cinéma, qu'il n'y avait jamais eu de débordement.

    Ces films, ça reste des films de niche, réservés à un public averti, qui connaît ce cinéma et qui a envie d'aller voir ça en salles. C'est un public connaisseur, curieux, cinéphile, respectueux des salles, respectueux de son voisin aussi dans la salle. Quand l'annonce tombe, notre but était de rassurer les cinémas pour qu'ils gardent le film. J'aimerais bien pouvoir me vanter et dire que tout était parfaitement calculé, prémédité, étudié pour que ça fasse un tel buzz en 48 heures. Mais non, absolument pas.

    On est une toute petite équipe de distribution donc le but, à ce moment-là, c'était juste sauver le film, sauver ce qu'on appelle le plan de sortie. En revanche, ça a pris une dimension… Mais je n'ai même pas eu le temps, honnêtement, de me dire : "Génial, moins de 18 ! On va 260 000 entrées en six jours !" Objectivement, jusqu'à la veille de sortie du film, on se disait : "Si on fait au moins aussi bien que Terrifier 2 [70 939 entrées, ndlr], c'est top."

    Et dans nos rêves les plus inavoués, on espérait pour la première fois dépasser le cap symbolique des 100 000 entrées en fin de carrière. C'est un rêve mais, non, jamais on n'aurait pu imaginer tout ça.

    Quel est désormais votre objectif d'entrées ?

    Aujourd'hui, les objectifs sont déjà clairement totalement dépassés. À partir de maintenant, honnêtement, ce n'est que du bonus et du bonheur. Même là, quand je vous parle de ces chiffres, que ça sort de ma bouche, ça me paraît très bizarre parce qu'on n'aurait jamais imaginé atteindre un tel score avec les films que nous sommes habitués à sortir en salles.

    ESC Distribution

    Mais on reste très prudents, dans le sens où on sait qu'il y a eu ce phénomène de buzz, de curiosité. On sait qu'on est à l'ère TikTok, où les choses arrivent et repartent aussi vite qu'elles sont venues. On garde vraiment les pieds sur terre car, comme je vous le disais, on n'a même pas trop eu le temps, encore, de réaliser tout ce qu'il se passe. Et il y a Smile 2 qui arrive là, on sait que c'est très attendu.

    Donc on reste très prudents. Maintenant, on se dit que si on arrive à faire entre 400 et 500 000 entrées, ça sera déjà magnifique parce que, à nouveau, ce sont des chiffres qu'on n'aurait jamais imaginés, envisagés il y a encore quelques jours. On est prudents et super heureux, car ce serait mentir que de dire qu'on ne l'est pas. Il va juste nous falloir encore un peu de temps pour comprendre tout ce qui s'est passé.

    A quel moment avez-vous senti que quelque chose se passait ou aller se passer au box-office ?

    Dès le mercredi de sortie. Je vous avoue que je suis un gros geek et que, quand on sort un film, je suis sur tous les sites, maintenant qu'on peut réserver son rang avec sa place de cinéma. Là, j'ai encore quinze onglets ouverts par exemple, et je regarde les préventes sur la journée. Donc c'est là qu'on a très vite vu qu'il se passait un truc : à 16h, toutes les séances du soir commençaient à être complètes.

    Et dès le jeudi matin, c'était des coups de fil dans tous les sens, les salles de cinéma qui voulaient commencer à rajouter des séances, de nouvelles salles qui nous appelaient aussi pour proposer le film. On est sortis sur 150 copies environ, et on sera sur presque 270 copies à partir de la deuxième semaine. Ça a été un raz-de-marée. Dès le mercredi, on a vu que ce n'était pas les préventes qu'on a l'habitude de faire. C'était bien plus gros.

    Surtout qu'on a vu que ça continuait le jeudi, le vendredi. Ça n'était pas un épiphénomène.

    Complètement. On savait quand même que le film était attendu, contrairement au 2, qu'on a quasiment sorti à l'aveugle : c'était certes Terrifier 2, mais la franchise n'existait absolument pas en France à ce moment-là. Il y avait quelques fans, vraiment hardcore, qui suivent ce qu'il se passe aux États-Unis, mais c'était quand même un gros sans dedans le vide. Un film sur un clown tueur, de 2h20, interdit au moins de 16 ans… Sur le papier, ça n'était quand même pas gagné.

    Mais le film avait marché, avec un peu plus de 70 000 entrées. On était très contents, déjà de ces chiffres. Et ça a un peu installé la franchise en France, donc on savait qu'il y avait une attente autour du 3, il y a maintenant une communauté de fans qui existe autour de la franchise, donc on savait qu'on ferait un démarrage correct dans tous les cas. Malgré tout, on a vu que ça prenait des proportions tout de suite énormes.

    "Dès le mercredi, on a vu que ce n'était pas les préventes qu'on a l'habitude de faire. C'était bien plus gros"

    On savait que ça partirait bien parce qu'on savait que les fans avaient hâte de le voir et qu'on était les premiers à le sortir au monde. On a eu l'autorisation de pouvoir le sortir deux jours avant les Américains : c'était un petit cadeau qu'on voulait faire aux fans du film en France. On savait que ça démarrerait bien, mais là on a vu que ça a quand même duré jeudi, vendredi, samedi, dimanche. Et on continue de faire des chiffres très corrects pour un lundi et un mardi. Alors qu'on parle d'un film d'horreur, interdit aux moins de 18 ans. On reste très prudents mais on est absolument ravis. C'est hallucinant.

    Quels retours avez-vous, en tant que distributeur ? Car on sait que le film fait débat sur sa violence notamment.

    Ce qu'on voit, c'est que les fans sont ravis. Ils sont aux anges. On s'en doutait quand on a vu le film. On adore la franchise et on était super content parce qu'on s'est dit que Damien Leone avait parfaitement géré la chose. Il avait fait un film de fan pour les fans, donc on savait qu'il leur plairait, et ce sont les retours que l'on a.

    Les gens qui avaient hâte de voir le film, qui connaissent la franchise, sont super contents parce que c'est un très bon épisode : un parfait mélange du 1 et du 2, mieux rythmé, avec un peu plus de moyens, toujours aussi inventif dans les abominations qu'il peut montrer… Toujours aussi drôle aussi, et ça on le rappelle à chaque fois : ça ne se prend jamais au sérieux. Il y a quelque chose de très marrant dans la franchise Terrifier.

    ESC Distribution

    La différence, là, c'est qu'on est allés au-delà de la petite communauté de fans de ce genre de films avec l'effet de buzz. Ça a drainé un public beaucoup plus large, même de gens qui n'avaient pas forcément le 1 ou le 2, et qui y sont allés parce qu'ils ont entendu parler du phénomène. Forcément, pour ces gens-là, l'expérience a dû être un peu spéciale parce que ça reste du cinéma particulier. On reste dans du cinéma d'horreur indépendant, américain. Ce n'est pas un blockbuster, ce n'est pas du cinéma d'horreur mainstream. Ça reste réservé à un public averti.

    Il y a des gens qui sortent assez déroutés par le film, à cause de la violence ou parce que l'histoire leur semble un petit peu étrange et folle. C'est un cinéma particulier qui, à la base, s'adresse à un public presque pointu, curieux de ce cinéma et un peu connaisseur. Là ça a pris une dimension beaucoup plus large. On sait que, quand on s'adresse à beaucoup de monde, on ne peut jamais faire l'unanimité. Et de toute façon, ça n'est jamais l'ambition qu'on a eue sur Terrifier.

    Vous parliez du fait que, sur le plan moral, il n'était pas souhaitable qu'un film soit interdit aux moins de 18 ans. Mais pensez-vous que "Terrifier 3" peut créer un précédent ? Que les distributeurs et réalisateurs aient moins peur de cette classification au vu de l'impact positif que cela a eu sur vous ou "Saw III".

    Peut-être, mais ça ne serait pas souhaitable selon moi. Comme cela faisait longtemps que ça n'était pas arrivé, il y a eu cet effet absolument dément. Si, dans trois semaines, nous avons un nouveau film d'horreur interdit aux moins de 18 ans, ça ne sera pas pareil. Si une habitude se créé et que nous en avons un tous les deux mois, il n'y aura pas cet effet. Là c'est aussi parce que ça n'était pas arrivé depuis vingt ans.

    Pour autant, je ne souhaite pas que l'expérience se réitère à l'avenir. Ni pour nous, ni pour d'autres distributeurs. L'interdiction aux moins de 18 ans n'est jamais souhaitable. Par contre, ce que ça va peut-être changer - et j'en serais honoré si, à notre tout petit niveau, on a pu changer quelque chose sur ce plan - c'est que ça va peut-être faciliter la programmation des films d'horreur en général, peut-être même des films d'horreur interdits aux moins de 16 ans.

    "En tant que distributeur, c'est souvent un parcours du combattant que de réussir à programmer des films interdits aux moins de 16 ans dans les salles de cinéma"

    En tant que distributeur, surtout quand on est un petit, un indé, c'est souvent un parcours du combattant que de réussir à programmer des films interdits aux moins de 16 ans dans les salles de cinéma. Si ça peut effectivement faire changer les mentalités à ce niveau-là, rassurer encore plus les exploitants quant au fait qu'on s'adresse à un public très majoritairement respectueux des salles de cinéma et des séances, tant mieux. C'est l'avenir qui nous le dira.

    Il y a certes eu deux ou trois séances un peu animées ce week-end, mais les exploitants sont globalement très contents. Et, encore une fois, on en avait l'intime conviction depuis le départ, parce qu'on connaît quand même notre public, et les séances se sont globalement très bien passées. Pas de débordement, des exploitants très contents. Si ça peut faciliter cela, l'entrée de ces films dans les salles de cinéma, on en sera ravis, même si on n'a pas la prétention de faire changer quoi que ce soit.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 15 octobre 2024

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