C'est peu dire que le décès aussi prématuré que brutal de Michel Blanc, à l'âge de 72 ans, suscite une vive émotion. Non seulement au sein de ses compagnons de la bande du Splendid, mais aussi parmi les spectateurs et les cinéphiles, qui ont été bercés par les films de ce grand acteur - réalisateur.
Un acteur qu'on a très, trop longtemps, réduit au registre du comique justement, avec son inoubliable rôle du dragueur looser et hypocondriaque Jean-Claude Dusse des Bronzés. Un rôle qui fit beaucoup pour sa popularité. Mais qui l'a aussi longtemps empêché de diversifier son métier d'acteur, comme un boulet dont il ne parvenait pas à se défaire.
De très grands rôles dramatiques
Depuis son décès, on cite beaucoup, et à raison, les nombreux rôles où il a justement brillé dans le registre dramatique, comme autant d'exemples démultipliant son immense talent. Les Témoins d'André Téchiné. Tenue de soirée chez Bertrand Blier, grâce à qui il remportera un Prix d'interprétation au Festival de Cannes en 1986.
Extraordinaire et inquiétant dans Monsieur Hire, chez Patrice Leconte. Fabuleux et génial dans le chef-d'oeuvre Uranus de Claude Berri, où, dans une France en pleine épuration, il campe un militant communiste et père de famille brûlant d'une passion secrète pour sa voisine. Ou encore, pour prendre un exemple nettement plus récent, sa composition dans L'Exercice de l'Etat, qui lui a valu le César du Meilleur acteur dans un second rôle.
Un grand (télé)film passé sous silence
Il est un film -un téléfilm plutôt- très rarement cité, qui mérite pourtant pleinement sa place dans les grands rôles de l'acteur : 93, rue Lauriston.
Diffusé en 2004 sur Canal+ et réalisé par Denys Granier-Deferre, ce brillant téléfilm, qui n'aurait pas démérité en salle, revient justement sur la période noire de l'Occupation. L'histoire ? Henri Laffont, petit truand soudain promu au rang de parrain, et son adjoint, Pierre Bony, policier déchu, sont arrêtés le 30 août 1944, puis rapidement jugés et fusillés moins de quatre mois après. Pendant l'Occupation, ils ont été bien au-delà de la collaboration. Leurs noms et l'adresse du siège de leurs activités : 93, rue Lauriston, dans le 16e arrondissement de Paris.
C'est à cette adresse, tristement connue sous le surnom de "Carlingue", que des truands ont extorqué, torturé et tué, pour le compte des Allemands, et le leur. Michel Blanc incarne brillamment l'inspecteur Blot, qui a arrêté Laffont et Bony, et fut chargé d'enquêter sur les ramifications de la Gestapo française, avec ses relations dans le Tout-Paris.
Son épais rapport d'enquête sera compromettant pour certaines personnalités publiques ayant fréquenté les deux collaborationnistes. Mais à l’heure de la fin de l’Epuration, ses accusations n’intéressèrent plus personne, ou presque... L'heure était alors à la fabrication du mythe de la France résistante et héroïque, que fera voler en éclat l'extraordinaire documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la pitié, en 1969.
Une oeuvre peu diffusée
Sur un solide scénario écrit par Jean-Claude Grumberg, qui couchera ses souvenirs de cette période, régulièrement éclairé par des séquences en flashback, Denys Granier-Deferre convoque un formidable casting entourant Michel Blanc, dont Samuel le Bihan, qui incarne Léon Jabinet, jeune provincial naïf qui rejoint la Gestapo française.
A notre connaissance, 93 rue Lauriston n'a été diffusé que deux fois sur le petit écran. Il a été un temps disponible dans le catalogue Amazon Prime, mais ce n'est hélas plus le cas. Pour voir cette pépite, il faut se tourner vers une édition DVD.