Génie du comique, dans la lignée de Charles Chaplin et Buster Keaton, Harold Lloyd a lui aussi laissé une trace indélébile dans le cinéma. Reconnaissable avec son éternel chapeau de canotier et ses lunettes à monture d'écailles toujours vissées sur le nez, Harold Lloyd a tourné dans près de 200 films muets et parlants au cours de sa carrière, entre 1914 et 1947.
Son film le plus fameux reste Monte là-dessus !, en 1923, et sa célébrissime scène dans laquelle il se retrouve suspendu dans le vide, accroché aux aiguilles d’une horloge.
Revoici la légendaire séquence, pour le plaisir..
Une fausse bombe qui se révèle être parfaitement authentique
Mais avant que sa carrière ne soit mise sur orbite, et ne connaisse la popularité, Harold Lloyd fut victime d'un atroce accident qui le laissa horriblement défiguré.
En avril 1919, l'acteur signa un accord avec la firme Pathé Distributions, pour jouer dans deux films à venir. Avec sa popularité de plus en plus affirmée, il fut décidé de faire une belle promotion de cet accord, en convoquant des photographes pour immortaliser la poignée de mains.
Le dimanche 24 août 1919, Harold Lloyd arriva au studio de photographie à Los Angeles. Durant la séance de photos où il prenait la pose, Lloyd reçut une malle pleine d'accessoires de films. L'un des membres de son équipe de gagmen trouva sympathique et drôle de lui faire allumer une cigarette avec une fausse bombe. Après tout, c'était bien dans la veine des gags mis en place à l'écran. L'ennui, c'est que la fausse bombe se révéla en fait être parfaitement réelle et dévastatrice...
Comment une vraie bombe a-t-elle pu se trouver dans un lot d'accessoires de films inoffensifs ? Un peu plus tôt ce mois-là, Pathé avait testé des bombes puissantes pour une séquence d'un autre film, qui ne concernait pas Lloyd.
Les bombes furent testées dans un parc, et lorsqu'une d'entre elles s'est révélée trop puissante, brisant carrément une table en chêne, il fut décidé qu'elle serait trop dangereuse pour une utilisation à l'écran, et fut abandonnée.
Il semblerait donc que cette bombe abandonnée ait terminé sa course dans une caisse de fausses bombes. Et comme elles se ressemblaient toutes... Un terrible manque de vigilance dont Lloyd fit les frais durant sa séance de pose photo.
La déflagration fut terrible. Elle fit un trou de près de 5m dans le plafond du studio, ravagea le visage de Lloyd, le laissant temporairement aveugle. Son pouce et son index furent arrachés. Les médecins suggérèrent à Lloyd de songer illico à changer de voie de carrière : il "pourrait être un photographe ou un réalisateur, mais plus un acteur".
Le public n'y voit que du feu
Peu de temps après, Samuel Goldwyn, le tout puissant patron de la MGM, rendit visite à Lloyd. Avant de faire fortune au cinéma à Hollywood, Goldwyn fut un ancien... vendeur de gants. Il proposa donc à Lloyd de lui envoyer quelques connaissances qui lui feraient une prothèse sur mesure pour cacher sa blessure.
Il fut ainsi équipé d'une prothèse assez révolutionnaire pour l'époque, qui nécessitait de prendre un moule de sa main gauche, puis d’inverser le moule pour simuler la main droite incomplète. La zone manquante fut découpée et insérée dans un gant de cuir fin, et lorsque la main droite de Lloyd fut insérée dans le gant, elle semblait complète. L'index et le majeur du gant étaient cousus ensemble.
"Le gant de cuir était maintenu fermement par un système de jarretières en caoutchouc, fixé au haut du bras de Lloyd. Lorsqu'elle était maquillée, la prothèse était difficile à détecter, et c'est exactement ce que Lloyd voulait" raconte, dans un passionnant billet, Annette D’Agostino Lloyd (aucun lien de parenté !), professeure de communication à l'université Hofstra.
Si Lloyd s'est plusieurs fois exprimé sur cet accident, jamais il n'a mentionné publiquement la perte de ses doigts ; pas même dans son autobiographie An American Comedy qu'il publia assez tôt, en 1928. Il ne souhaitait pas que le public vienne voir ses films pour le prendre en pitié. A force de courage et d'entraînement, il est même devenu ambidextre, surmontant son handicap.
En 2020, un groupe de fans baptisé Talking Movies, nota d'ailleurs que les empreintes des mains laissées par l'acteur au fameux cinéma Grauman's Chinese, situé sur Hollywood Boulevard, révélaient que sa prothèse n'avait pas assez de pression pour laisser une empreinte complète.
Une belle leçon d'abnégation et de courage finalement, au service d'un art auquel Harold Lloyd a tant donné, pour la plus grande joie des cinéphiles du monde entier.