Pionnière parmi les pionniers, Alice Guy (Alice Guy-Blaché à partir de son mariage en 1907) est la première réalisatrice de fiction de l'histoire du cinéma. Une double actualité en salles la remet en lumière et est une occasion rare de voir ses films sur grand écran. Une sélection de ses oeuvres, parmi lesquelles le fameux La Fée aux choux, sont réunie sous le programme nommé Alice Guy, première femme réalisatrice !
Autre film dans l'actualité : la ressortie du documentaire Be natural, l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché de Pamela B. Green, initialement sorti en 2020. Le documentaire prend la forme d'une enquête visant à faire (re)connaître la cinéaste et son œuvre de par le monde.
Un parcours qui l'emmènera aux Etats-Unis
D'abord secrétaire de Léon Gaumont, elle se voit rapidement confier la direction d'un service spécialisé dans la réalisation de vues animées de fiction, puis dirige au début des années 1900 plus d'une centaine de phonoscènes, premiers films de cinéma synchronisés à des enregistrements phonographiques.
Après son mariage, elle est envoyée par Gaumont aux Etats-Unis pour promouvoir le chronophone et en 1910, pendant sa période américaine, elle devient la première femme à créer une société de production, la Solax Film Co. En 1912, elle et son mari font construire des studios à Fort Lee, dans le New Jersey et, alors qu'Hollywood n'existe pas encore, Solax devient l’une des plus grandes maisons de production américaine. Après son divorce, elle doit vendre le studio et décide de rentrer en Europe. Ni Léon Gaumont ni personne dans le monde du cinéma ne lui réserve l'accueil qu'elle mérite et personne ne veut lui donner de travail : elle ne tournera plus jamais.
Une oeuvre comptant une centaine de films
Les films d'Alice Guy se comptent par centaines et ceux qui ont été retrouvés sont tous d'une richesse phénoménale : elle y aborde des thèmes de société qui lui sont chers, démontant par exemple les clichés sur le désir féminin. Tous témoignent d'une inventivité folle et de qualités exceptionnelles dans la direction d'acteurs. Pourtant, des décennies plus tard, certains livres d'Histoire résument sa carrière en une ligne ou, parfois, évitent carrément de mentionner son existence.
"Le fait qu'on l'ait effacée des livres d'Histoire, c'est plus ou moins vrai et cela s'est fait à plusieurs niveaux et différemment selon les époques, nous indiquait Véronique Le Bris (dans article initialement publié en 2020, coécrit avec Léa Bodin), journaliste, autrice du livre 50 femmes de cinéma et créatrice du Prix Alice Guy, qui récompense chaque année le meilleur film francophone réalisé ou coréalisé par une femme. Alice Guy avait tout contre elle, pas uniquement le fait d'être une femme. Léon Gaumont, quand elle est revenue des Etats-Unis, n'a pas été très élégant. Puis, Henri Langlois, qui aurait pu changer la donne, n'a pas été séduit par ses films, peut-être parce qu'ils étaient, comme Les Résultats du féminisme, trop critiques pour pouvoir plaire aux commentateurs masculins. L'historien Georges Sadoul, qui ne la portait pas dans son cœur, a beaucoup contribué à effacer son nom et ensuite, tous les historiens se sont référés à lui. Enfin, la mémoire des frères Lumière est très forte en France et trop parler d'Alice Guy aurait certainement diminué la puissance de leur légende."
En vieillissant, Alice Guy est devenue très attachée à l'idée d'écrire ses mémoires (rééditées récemment dans la collection L'imaginaire de Gallimard, La Féé-cinéma, Ndlr.). Comme si, de son vivant, elle savait déjà qu'on essayait de minimiser son importance dans l'histoire du cinéma. "Elle a eu conscience de ça toute sa vie. Elle a commencé à écrire ses mémoires au moment de la Seconde guerre mondiale", indique Véronique Le Bris. "A cette époque, elle a déjà 70 ans. C'est aussi à ce moment que naît son désir de retrouver ses films. Quand elle finit d'écrire son autobiographie, elle sait qu'elle ne trouvera pas d'éditeur avant sa mort et elle ne parviendra finalement à retrouver que trois de ses films."
"Elle était une pionnière, elle était extrêmement puissante à l'époque, il paraît donc indispensable qu'elle reste dans les mémoires, et la qualité de ses films, qui abordent des sujets de société très forts, des choses qu'on a peu vues au cinéma, est indiscutable."
Le programme Alice Guy, première femme réalisatrice ! est un bout à bout de 14 courts métrages réalisés par Alice Guy ou attribués à Alice Guy pour Gaumont entre 1900 et 1907 ainsi que d’un petit Bonsoir anonyme au pochoir en conclusion :
- Faust et Méphistophélès (1903) : dans son laboratoire, le Docteur Faust travaille et invoque le tentateur…
- Le Matelas alcoolique (1906) : qui se promène tout seul, comme par magie, sur les fortifications.
- La Marâtre (1906) : ou les malheurs d’un garçonnet mal aimé.
- Questions indiscrètes (1906) : une chanson interprétée par Félix Mayol extraite du catalogue Gaumont des, ancêtres des clips, ici colorée au pochoir.
- Le Fils du garde-chasse (1906) : drame familial bucolique.
- Chirurgie fin de siècle (1900) : une opération très burlesque et salissante.
- La Fée aux choux (1900) : considéré comme le premier film de fiction avec scénario.
- Sur la barricade (1907) : un épisode héroïque de la Commune librement adaptée de Victor Hugo.
L’Hiver : danse de la neige (1900) :, une gracieuse danseuse personnifie la saison.
- Coucher d’une parisienne (1900) : scène naïvement leste où une jeune femme se met au lit.
- Les Chiens savants (1902) : merveilleusement emmenés par leur ravissante dresseuse, Miss Dundee.
- Chien jouant à la balle (1905) : un numéro de cirque dans un décor peint.
- Chapellerie et charcuterie mécaniques (1900) : où l’on découvre une machine extraordinaire qui fabrique des saucisses et recrache des hauts-de-forme.
- Chez le photographe (1900) : un client capricieux vient se faire tirer le portrait.
- Bonsoir (1910) : le salut final d’une fée multicolore.
Ce programme est actuellement à l'affiche.