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    C'est l'un des 10 films de science-fiction à voir dans sa vie, pourtant l'auteur du roman original a détesté le scénario
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Classique de la science-fiction d'un atroce pessimisme, "Soleil Vert" est un sommet absolu du genre, dont le cri d'alarme garde toute sa puissance, 50 ans après. Mais l'auteur du roman original n'a pas du tout aimé son scénario...

    Le 26 juin 1974 sortait en France Soleil Vert de Richard Fleischer. Adapté du roman Make Room ! Make Room ! de Harry Harrison et publié en 1966, le film est devenu un classique de la SF d'un atroce pessimisme, dont le discours catastrophiste écologique et humain n'a hélas rien perdu de sa force.

    "Soleil vert, film de science-fiction, confine presque au documentaire. Tout ce que j'y ai montré à titre fictif est désormais d'actualité. Ce film est un adieu au second Paradis Terrestre détruit cette fois par les humains" dira Fleischer, lucide, des années après la sortie de son chef-d’œuvre absolu.

    Plongeant ses racines dans une prise de conscience collective - et progressive - des enjeux liés à l'écologie au début des années 1970, Soleil Vert s'inscrit aussi dans le courant de ces œuvres désenchantées, et en particulier les œuvres de science-fiction, produites à cette époque aux Etats-Unis.

    Les lendemains qui déchantent sont ainsi fréquents dans la science-fiction ; un genre qui par définition reflète nos peurs face aux changements sociaux ou technologiques. Dans Soleil Vert, le cataclysme arrive par érosion : la fin du monde par disparition d'un élément essentiel à notre existence, en l'occurrence l'eau et la nourriture.

    Mais l'agonie de l'espèce humaine est lente et progressive - comme le souligne d'ailleurs l'extraordinaire générique d'ouverture -, le temps nécessaire pour épuiser les ressources de la planète.

    MGM

    Le genre apocalyptique apparaît comme un moyen de porter un jugement - souvent sévère - sur notre société. A l'époque de la sortie du film, certaines critiques reprochèrent à Richard Fleischer d'avoir inclus trop d'éléments contemporains. En somme, de ne pas livrer un film de SF assez intemporel, dans la veine de ce que fit brillamment Kubrick avec 2001 : l'odyssée de l'espace.

    Mais c'était ne pas comprendre la démarche de Fleischer, qui souhaitait au contraire établir une franche proximité avec le spectateur, le faire réagir et le révulser devant la société qu'il dépeint, dans laquelle les hommes en sont réduits à n'être qu'une simple statistique et traités comme du bétail, juste bons à être envoyés à l'abattoir. Dans le sens le plus littéral du terme d'ailleurs, avec l'atroce révélation finale du film.

    "L'auteur du livre sur lequel ce film est basé a été maltraité"

    Dans un billet publié sur son blog (et archivé), intitulé A cannibalised novel becomes Soylent Green (une nouvelle cannibalisée devenue Soleil Vert), l'auteur du roman torpillait pourtant l'adaptation de son oeuvre. Du moins, son script.

    "Comme c'est l'usage à Hollywood, l'auteur du livre sur lequel ce film est basé a été maltraité. Toutes les astuces habituelles ont été utilisées : une société factice a été créée pour dissimuler le fait que c'était en réalité MGM qui achetait les droits du film ; un contrat a été rédigé pour empêcher l'auteur d'avoir un quelconque contrôle sur le scénario - et, bien sûr, une comptabilité créative a permis de s'assurer qu'aucun bénéfice du film ne parvienne à l'auteur" écrivait-il dès l'entame de son billet. Les joies du fameux Hollywood Accounting...

    Selon lui, la MGM ne manifesta guère d'enthousiasme pour un thème -les conséquences de la surpopulation- jugé banal. D'où l'idée des scénaristes d'introduire le thème du cannibalisme, au coeur de la révélation finale.

    MGM

    "C'est à ce moment-là que je suis entré en scène, immédiatement impressionné par deux faits incontournables : la compétence véritablement professionnelle de tous ceux qui ont participé à la réalisation du film et la qualité vraiment épouvantable du scénario, qui a métamorphosé, dénigré et vidé le roman duquel il avait été pris.

    Le fait qu'un film ait été réussi malgré ce qui pourrait être considéré comme un obstacle majeur peut être attribué au talent des concepteurs artistiques et des décors, au réalisateur Richard Fleischer et aux excellents acteurs (ainsi qu'à, je le soumets avec une humilité appropriée, la force du roman)".

    Harry Harrison fut contractuellement interdit de modifier quoi que ce soit le script. Il ne se priva toutefois pas d'y apporter un certain nombre de remarques. Il pointa par exemple la faiblesse initiale d'une scène dans le script, pauvrement écrite, pourtant cruciale : celle où Robert Thorn (Charlton Heston) et Sol Roth (Edward G. Robinson) font un repas avec des aliments devenus inaccessibles pour le commun des mortels. Alors que Thorn est un enfant du "Soleil" et n'a rien connu d'autre, Sol, lui, qui a connu l'ancien monde, se souvient des saveurs oubliées...

    Grâce au talent de deux immenses acteurs, comme l'auteur le reconnait lui-même, celle-ci est devenu mémorable. A revoir ci-dessous...

    Le personnage de Sol fut justement beaucoup remanié par rapport au roman. Dans ce dernier il meurt des suites d'une pneumonie peu après avoir participé à une manifestation contre la corruption des méga corporations.

    Très loin donc du choix du suicide assisté, préféré dans le film. "La seule chose qu’il ne ferait jamais serait de se suicider. Ignorant complètement ce fait, le scénariste incompétent introduit ce vieux cliché de la SF" écrit le romancier dans son billet. Tout en reconnaissant aussi l'impact visuel de cette séquence dans le film, porteuse d'une charge émotive à fendre les pierres en deux.

    "Je promets de ne plus jamais laisser personne foutre en l'air un de mes livres"

    D'une entame de billet qui résonnait comme une charge contre le film, Harry Harrison tempère finalement en bout de course avec ce commentaire reconnaissant les mérites du chef-d'oeuvre de Fleischer :

    "Suis-je satisfait de ce film ? Je dirais oui à 50%. [...] Le message du livre a été livré. C'était une expérience passionnante de voir un film majeur produit par un grand studio. Au bout du compte, Soleil vert fonctionne comme film. Ça bouge, ça garde l’intérêt, c’est visuellement excitant. Le message qu'il délivre le place au-dessus du simple divertissement.

    Mais ce fut une rude bataille. La main levée, je promets de ne plus jamais laisser personne me baiser ou foutre en l'air un de mes livres. J'attends avec impatience le jour où [...] je pourrai traduire l'un de mes autres romans en un film intéressant et réussi".

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