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    C'est l'une des morts les plus bouleversantes de l'Histoire du cinéma : 50 ans après, on ne s'en est toujours pas remis
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    "Soleil Vert", classique de la science-fiction d'un atroce pessimisme, était l'ultime film d'Edward G. Robinson. Mourant d'un cancer, il puisa dans ses dernières forces pour incarner un personnage dont la fin, à double lecture, est dévastatrice.

    Le 26 juin 1974 sortait en France Soleil Vert de Richard Fleischer. Adapté du roman Make Room ! Make Room ! de Harry Harrison et publié en 1966, le film est devenu un classique de la SF hors du commun d'un atroce pessimisme, dont le discours catastrophiste écologique et humain n'a hélas rien perdu de sa force. Bien au contraire.

    "Soleil vert, film de science-fiction, confine presque au documentaire. Tout ce que j'y ai montré à titre fictif est désormais d'actualité. Ce film est un adieu au second Paradis Terrestre détruit cette fois par les humains" dira Fleischer, terriblement lucide, des années après la sortie de son chef-d’œuvre absolu.

    "Il y avait un monde autrefois..."

    New York City. Année : 2022. Avec 40 millions d'habitants, la ville est devenue une métropole surpeuplée, où règnent la misère absolue et le manque de nourriture. Les gens s'entassent partout où ils peuvent : dans la rue, dans les cages d'escaliers...

    Un atroce brouillard jaunâtre de pollution flotte d'ailleurs en permanence au-dessus de la ville. L'écosystème, si fragile, a pratiquement disparu. Les arbres, les animaux ont disparus, victimes de la déforestation, la surexploitation, et la pollution.

    Le développement industriel à marche forcée et ses ravages, les effets non maîtrisés de la surconsommation et l'épuisement des ressources naturelles ont achevé d'hypothéquer l'avenir de l'Homme en quelques décennies à peine.

    MGM

    Pour les plus fortunés, qui ont accès à l'eau potable et à de vrais aliments cultivés dans des fermes protégées comme des forteresses, rien n'est trop beau. Une tranche de bifteck se négocie 500 $, un pot de confiture 150 $.

    De quoi donner la mesure de cette scène du film, terriblement émouvante, dans laquelle Robert Thorn (Charlton Heston) et Sol Roth (Edward G. Robinson) font un repas avec des aliments devenus inaccessibles pour le commun des mortels. Alors que Thorn est un enfant du "Soleil" et n'a rien connu d'autre, Sol, lui, qui a connu l'ancien monde, se souvient des saveurs oubliées...

    A la fois partenaire, ami et plus encore véritable père de substitution, Sol est le gardien de la mémoire d'un monde perdu à jamais; celui d'une Terre encore belle avant qu'elle ne soit condamnée et détruite par la main de l'Homme.

    Aidant Thorn à mener son enquête au coeur de la Soylent Corporation, Sol découvre avant lui l'effroyable vérité qui se cache derrière la composition de cette nourriture de substitution soit-disant faite avec des planctons.

    "Tu peux voir ça ? Ce n'est pas beau ?"

    Voulant prendre congé d'un monde qui n'est, depuis longtemps, plus le sien, et qui lui est insupportable, Sol décide de se faire euthanasier; une démarche d'ailleurs vivement encouragée par les Autorités.

    Après avoir donné ses préférences au personnel médical, Sol est conduit dans une pièce où on lui fait boire un breuvage qui ralenti les battements de son coeur jusqu'à l'éteindre en une vingtaine de minutes.

    Allongé sur un lit dans la pièce, tandis que la musique de Beethoven et Tchaikovsky est lancée, il découvre, bouleversé pour la dernière fois, les images époustouflantes d'un paradis terrestre disparu : des cerfs qui s'ébattent, des oiseaux, un levé et couché de soleil, une mer pas encore souillée, des fleurs en pleine floraison dans des prairies..

    Revoici la séquence, pour mémoire. Prévoyez un petit paquet de mouchoirs à portée de main, au cas où...

    "Je t'aime, Thorn" lance Sol à son ami, venu en urgence assister à ses derniers instants. "Tu peux voir ça ? Ce n'est pas beau ? Je te l'avais dit !" - "Oui... Comment pouvais-je savoir ? Comment pouvais-je l'imaginer ?" lui répond Charlton Heston, se mettant à pleurer...

    En une merveilleuse série de gros plans, Fleischer nous montre le visage si expressif de Robinson, à la fois illuminé et apaisé, avant de grimacer de douleur en lui révélant ce qu'il sait. Une scène porteuse d'une charge émotive à fendre les pierres en deux.

    Et pour cause : Edward G. Robinson était alors atteint d'un cancer en phase terminale. Cette scène est la dernière qu'il tourna, avant de s'éteindre deux semaines après.

    MGM

    Comme le révélera Fleischer, l'épouse de Robinson venait chaque jour sur le tournage, pour voir si tout allait bien pour son mari. Tous les jours, sauf un : celui où fut justement prévu le tournage de cette scène déchirante, qui lui était impossible à voir et à supporter.

    Les larmes de Heston ne sont d'ailleurs pas des larmes de cinéma, mais bien celle d'un acteur au courant de la gravité de l'état de son vieux complice en fin de vie, avec qui il avait déjà tourné à l'époque des Dix Commandements.

    Dans cette séquence où Robinson contemple une forme accélérée de la vie sur Terre, avec cette économie de mots s'effaçant devant la puissance évocatrice des images, c'est aussi la symbolique d'un immense acteur revoyant défiler sa propre vie, ses joies, ses luttes et ses peines, son oeuvre en tant qu'artiste, avant de tirer sa révérence.

    Nombreux sont les talents de cinéma à avoir vu leurs carrières progressivement éteintes au gré d'une succession de petits rôles de plus en plus anecdotiques. Dans les années 70, beaucoup de stars de l'âge d'or du cinéma hollywoodien terminèrent leurs carrières dans des films catastrophes et leurs castings cinq étoiles, alors très à la mode.

    Mais très peu en vérité ont terminé leurs carrières avec un ultime rôle ayant une résonnance aussi puissante et bouleversante que celui d'Edward G. Robinson dans Soleil vert, dont la fin nous laisse encore K.O debout.

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