Deux ans après Annie Colère, la réalisatrice Blandine Lenoir adapte le roman graphique de Camille Jourdy, "Juliette, les fantômes reviennent au printemps" publié aux éditions Actes Sud Bd.
Rebaptisé Juliette au printemps, le long métrage emmené par Izïa Higelin, Sophie Guillemin, Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky, Eric Caravaca et Liliane Rovère suit Juliette, une jeune illustratrice de livres pour enfants. Cette dernière quitte la ville pour retrouver sa famille quelques jours : son père si pudique qu’il ne peut s’exprimer qu’en blagues, sa mère artiste peintre qui croque la vie à pleines dents, sa grand-mère chérie qui perd pied, et sa sœur, mère de famille débordée par un quotidien qui la dévore. Elle croise aussi le chemin de Pollux (Salif Cissé), jeune homme poétique et attachant. Dans ce joyeux bazar, des souvenirs et des secrets vont remonter à la surface.
Une adaptation de bande dessinée
Un portrait de femme et plus globalement de famille tendre et émouvant qui traite de thèmes forts comme la dépression, la charge mentale, la place qu'on occupe dans la famille qui va déterminer notre rapport aux gens, la maternité, le deuil et les non-dits qui peuvent avoir des conséquences.
Dans le dossier de presse du film, Blandine Lenoir explique avoir été séduite par la BD de Camille Jourdy : "Je suis tombée sous le charme de cette histoire riche en dialogues sur une famille qui ne parvient pas à communiquer, et des personnages de Camille Jourdy, très bien dessinés (à tout point de vue !), fantaisistes et désespérés, pétris d’imperfections. J’ai eu immédiatement beaucoup de bienveillance et de tendresse pour eux, et j’ai eu envie de m’en emparer pour les emmener dans mon univers, qui n’est pas si éloigné du sien."
Côté adaptation, la réalisatrice a travaillé la structure du scénario avec Maud Ameline, nommée au César du meilleur scénario original en 2013 pour Camille Redouble. Blandine Lenoir précise avoir notamment creusé les enjeux des personnages et l’avancée du récit, pour quitter l’aspect "chronique" de la bande dessinée.
"Je suis allée gratter sous les dessins pour en faire surgir les séquences qui affleuraient, y ajouter mes envies de cinéma… Je me suis sentie très libre dans cette adaptation, grâce à la confiance de Camille Jourdy. D’ailleurs, quand elle a lu le scénario, elle ne savait plus ce qui venait d’elle ou de moi ! C’est naturellement que ses personnages ont rencontré les miens, comme des cousins éloignés qui se reconnaissent. J’ai ensuite invité Camille à écrire les dialogues avec moi, d’autant plus que des passages entiers de la bande dessinée ont été conservés. Ça a été une écriture très joyeuse."
Des thématiques fortes
Une écriture joyeuse pour des thématiques qui le sont moins puisque le sujet principal de Juliette au printemps est celui de la dépression. Après la ménopause dans Aurore et l'avortement dans Annie Colère, Blandine Lenoir évoque donc un autre sujet de société. Elle précise : "Au-delà de la dépression, le sujet du film est la difficulté à aborder son mal-être en famille, ce premier geste instinctif d’aller chercher du réconfort auprès de ceux qu’on pense connaitre par cœur, et ce chagrin de ne pas parvenir à se faire comprendre. Juliette aimerait retrouver le soulagement du petit enfant qui chasse son chagrin en étant dans les bras de ses parents. Hélas, adulte, la consolation est plus difficile à trouver…
Juliette a vécu un choc dans son enfance qu’elle a oublié. Un chagrin familial, parfois ça rassemble, parfois non. J’ai essayé de faire entendre chacune des « voix » de l’histoire de cette famille coincée dans le tabou pour aboutir à une odyssée commune, celle de la difficulté à dépasser la douleur."
Trouver le casting parfait
Malgré le sujet, il en résulte un film solaire, tendre et émouvant. La relation entre les deux sœurs, incarnées par la solaire Izïa Higelin et la parfaite et trop rare Sophie Guillemin, parvient à avancer quand les deux sœurs prennent enfin le temps de discuter ensemble.
La réalisatrice revient sur son choix de comédienne pour Juliette : "Parce que son personnage est « empêché », j’ai demandé à Izïa de retenir son énergie magnifique, mais on la sent présente, prête à s’exprimer. Izïa a quelque chose de l’enfance intact, une grande sensibilité, la force et la fragilité réunies. Avec son sourire quasi juvénile et ses grands yeux curieux, elle m’est apparue idéale pour incarner Juliette, une jeune femme qui s’est « arrêtée » dans l’enfance, comme paralysée par le traumatisme."
L'autre point fort du film est donc Marylou, la grande sœur de Juliette incarnée par Sophie Guillemin et qui décroche ici l'une des plus beaux rôles de sa carrière. Un rôle pour lequel, la comédienne se met littéralement à nue.
Blandine Lenoir explique : "Une des raisons qui m’ont donné envie d’adapter la bande dessinée de Camille Jourdy, c’est le désir de mettre en scène les moments amoureux que vivent Marylou et son amant dans la serre, au milieu de la nature, avec la lumière du jour. Le défi était de représenter une sexualité joyeuse, charnelle, sensuelle, avec des corps « normaux » qui ne correspondent pas aux canons imposés, ce qui est finalement assez rare au cinéma. Dans la plupart des films, les scènes de sexe sont jouées par des acteurs et actrices avec des corps jeunes, très minces et musclés, qui font l’amour avec beaucoup de sérieux et pas mal de brutalité… on ne s’y reconnait pas toujours !"
Le cinéma français décourage les formes et les physiques "hors-normes".
Blandine Lenoir ajoute : "J’ai commencé le casting avec la directrice de casting Constance Demontoy, en cherchant justement l’actrice d’une quarantaine d’années qui pourrait incarner Marylou, une femme qui, comme 80% des femmes de notre pays, ne fait pas une taille 38, et qui serait à l’aise avec la nudité ! Et je n’ai pu rencontrer que huit actrices tellement le cinéma français décourage les formes et les physiques hors normes.
Voilà comment j’ai rencontré Sophie Guillemin, et j’ai été immédiatement frappée par sa cinégénie spectaculaire. C’est une actrice généreuse. Elle est extraordinaire par son physique et son regard magnifique, mais elle peut aussi être ordinaire, c’est-à-dire qu’on peut malgré tout s’identifier facilement à elle. Oui, elle peut être madame tout le monde, débordée par la charge mentale de la gestion de la vie de famille, frustrée par son couple qui ne fonctionne plus, épuisée de jouer le rôle de l’ainée de la famille sur laquelle tout le monde peut compter… De fait, elle ne supporte plus d’être celle qu’on désigne comme « forte » dans sa famille. Comme pour Juliette, la vie est pesante, mais elle n’a pas pu s’autoriser à se le formuler. "
Juliette au printemps est à voir au cinéma dès ce mercredi 12 juin.