Après une présentation réussie à la Quinzaine des Cinéastes cette année lors du Festival de Cannes, le nouveau film de Patricia Mazuy (Sport de filles, Paul Sanchez est revenu, Bowling Saturne) sort enfin au cinéma.
Dans un registre totalement différent, la réalisatrice réunit deux grandes actrices du cinéma français : Isabelle Huppert et Hafsia Herzi.
De quoi parle "La Prisonnière de Bordeaux" ?
Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…
Un duo de choc étonnant dans un mélodrame de haut vol
Depuis plusieurs années, le cinéma français a eu son lot de drames et de comédies sociales mettant en scène des bourgeois sauveurs des minorités avec des tas de clichés et Patricia Mazuy a voulu prendre le contre pied de ce genre de films avec La Prisonnière de Bordeaux.
Même si la prémisse reste dans la même lignée - une femme bourgeoise blanche qui va aider une jeune mère de banlieue issue de l'immigration - La Prisonnière de Bordeaux excelle dans son traitement de la lutte des classes en prenant réellement le sujet à bras le corps avec une ode à la sororité et un humour grinçant mais bienvenu.
La finesse d'écriture de Patricia Mazuy, Pierre Courrège et François Bégaudeau permet de proposer un film hybride, tantôt comédie sociale, tantôt thriller politique, en confrontant ces deux femmes opposées dans une espèce de bulle d'amitié illusoire.
"Ce qui m'a plu, c'est le rapport entre ces deux femmes, ces beaux personnages de femmes, cette amitié improbable qui se crée entre ces deux femmes, mais en même temps qui est très réaliste parce qu'en amitié, on peut être ami avec n'importe qui", nous a expliqué Hafsia Herzi.
Car La Prisonnière de Bordeaux se distingue aussi pour son traitement des personnages, avec des portraits réjouissants de femmes qui, malgré leurs différends, sont mises au même niveau de la répartie et du courage et s'entraident finalement pour s'extraire de l'oppression masculine qu'elles vivent à des endroits propres à leur échelle sociale.
"Alma et Mina sont toutes les deux prisonnières de ce quotidien qu'elles n'ont pas choisi, mais par amour, elles se doivent de vivre ce quotidien qui est extrêmement difficile pour les gens qui sont dehors, mais qui ont de la famille ou des gens qu'ils aiment enfermés.
Le film montre bien, qu'on soit riches, pauvres, ça concerne tout le monde, la prison. Ça, c'est très réaliste, parce que j'ai passé beaucoup de temps en prison aussi, en observation. Et c'est vrai qu'il y a tous les profils. Ce ne sont pas des profils particuliers, il y a vraiment de tout."
L'alchimie folle entre Hafsia Herzi et Isabelle Huppert
Déjà partenaires de jeu dans le film Les Gens d'à côté d'André Téchiné, sorti en juillet dernier, Hafsia Herzi et Isabelle Huppert ont réussi à créer une alchimie folle dans La Prisonnière de Bordeaux en se fondant totalement dans leurs personnages comme nous l'a confié Hafsia Herzi :
"On a d'abord fait une lecture avec Isabelle et Patricia. Après, on a chacune travaillé de notre côté avec Patricia. J'ai pu improviser à quelques moments car j'adore ça et Patricia m'a laissée placer quelques petites improvisations.
Avec Isabelle, on s'est vraiment laissé porter, on n'a pas trop cherché à intellectualiser et ça s'est très bien passé. C'est très intérieur aussi. Et parfois, on n'est pas obligé de tout raconter aussi. C'est bizarre ce que je vais dire, mais c'est comme si on ne jouait pas vraiment. On était dedans, on était les personnages le temps du tournage."
En cassant les codes préétablis, La Prisonnière de Bordeaux permet d'offrir un duo étonnant mais savoureux formé par deux actrices de haut niveau et une fable romanesque décalée mais d'une grande richesse émotionnelle sur la prise de liberté.
"Pour moi, elles sont toutes les deux prisonnières de ce quotidien qui leur est infligé", conclut Hafsia, "Mais on va dire que celle qui se libère, c'est le personnage d'Alma. Elle n'a pas vraiment demandé à être libérée, mais ce qui va se passer avec Mina va lui permettre de se libérer".
Propos recueillis à Cannes le 19 mai 2024 par Mégane Choquet.
Le film "La Prisonnière de Bordeaux" est actuellement au cinéma.