Sorti sur Netflix le 20 décembre dernier, Maestro a été largement acclamé et a ainsi hérité de quatre nominations aux Golden Globes, trois nominations à la Mostra de Venise, et devrait glaner plusieurs nominations lors des prochains Oscars.
Dans le biopic, Bradley Cooper se met en scène – dans sa seconde réalisation après A Star Is Born – et incarne le chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein, aux côtés de Carey Mulligan dans la peau de son épouse, Felicia Montealegre Cohn Bernstein. Le film retrace ainsi la grandiose histoire d’amour qui les a unis toute leur vie.
Leonard Bernstein était fumeur, il n’est donc pas étonnant de le voir fumer dans le film. Cela dit a-t-on le droit, en France, de le voir avec une cigarette à la main sur l’affiche promotionnelle officielle du film publiée par Netflix ? C’est la question que nous nous sommes posés.
La loi Évin
Pour faire court, la loi Évin de 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, interdit, entre autres, toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac (sauf aux enseignes des débits de tabac et sous conditions).
Dans le monde du cinéma, la liste des affiches censurées à cause de la loi Évin sont nombreuses. Prenons Pulp Fiction (1994) : sur l’affiche américaine du film culte de Quentin Tarantino, Uma Thurman tient une cigarette, laquelle sera effacée sur l’affiche française.
En 2009, la suppression de la pipe de Jacques Tati sur une publicité affichée dans le métro provoque une polémique. Ce sera ensuite le tour de l’affiche de Gainsbourg (Vie héroïque) de se voir interdire d’être exposée dans le métro par la RATP.
Sur celle-ci, on voyait Eric Elmosnino laissant échapper de la fumée de sa bouche. Pas de cigarette en vue pourtant : les producteurs avaient déjà pris leurs précautions.
Ainsi, en 2012, une circulaire est alors publiée, précisant que la loi Évin et sa jurisprudence n’interdisent pas la représentation de "personnages, historiques ou non, fumant surtout quand cela correspond à un trait de sa personnalité, dès lors que le but ou l’effet de cette communication n’est pas de nature publicitaire."
Et Maestro alors ?
AlloCiné a interrogé Netflix sur le sujet. La réponse : l’affiche est bien légale et respecte les critères suivants de la loi Évin. Tout d’abord, elle émane d’un annonceur qui n’a aucun lien avec l’industrie ou la distribution du tabac et a une finalité exclusivement culturelle ou artistique.
De plus, la personne représentée est un personnage historique, ou dont la notoriété est reconnue (ce qui s’applique pour des personnes disparues ou non), et figure dans une œuvre d’art qui fait partie intégrante d’une promotion publicitaire pour une manifestation artistique.
Enfin, puisque les produits de consommation du tabac représentés et utilisés dans les œuvres culturelles ou artistiques doivent être inséparables de l’image et de la personnalité de la personne qui y figure, ce qui semble être le cas pour Leonard Bernstein, l’affiche est donc autorisée.
Netflix promet de réduire la représentation de cigarette à l'écran
En 2019, le groupe Truth Initiative dénonçait la représentation du tabac dans les programmes populaires auprès des jeunes spectateurs, une représentation qui avait alors pratiquement quadruplé l’année précédente.
À l’époque, la deuxième saison de la série Stranger Things avait été notamment pointée du doigt avec un décompte de 262 cigarettes à l’écran.
Réagissant à l’étude, Netflix avait alors promis de réduire la représentation des cigarettes et cigarettes électroniques dans ses futures productions – films et séries originaux – destinées au jeune public mais aussi aux adultes, sauf pour "des raisons d’exactitude historique ou factuelle" et si cela était "essentiel à la vision créatrice de l’artiste ou si cela fait partie de la définition d’un personnage, historiquement ou culturellement".
Disney et HBO Max vont plus loin
Chez Disney, on est plus strict : la politique anti-tabac du studio, qui existe depuis 2001 pour les œuvres destinées au public âgé de 13 ans et moins, interdit aux personnages de fumer des cigarettes, pipes ou autres chichas à l’écran. Cette directive a été étendue en 2015 à l’ensemble des univers du studio – à savoir Marvel, Pixar et Star Wars.
Quant à HBO Max, la plateforme a décidé en 2022 de s’attaquer à des monuments du cinéma, supprimant les cigarettes présentes sur les affiches des films culte de son catalogue.
La démarche n’a toutefois pas forcément fait l’unanimité, notamment sur Twitter où les internautes n’ont pas hésité à comparer les affiches avant/après. Le résultat était en effet plutôt étrange, comme on peut le constater pour les affiches des westerns John McCabe (1971) et Juge et Hors-la-loi (1972) ci-dessous.
Trop de tabac dans les films français ?
En 2021, la Ligue contre le cancer a publié une enquête dénonçant la valorisation du tabagisme dans les films français.
“Le tabac demeure quasi omniprésent dans les films français : entre 2015 et 2019, 90,7% comprennent au moins un événement, un objet ou un discours en rapport avec le tabac : personnes en train de fumer, présence de cendriers, cigarettes, personnage qui parle de tabac....”, rappelait la Ligue dans une enquête menée avec l’institut Ipsos.
Elle faisait alors appel à la vigilance des réalisateurs, le tabac étant la première cause de mortalité en France.
Maestro est à découvrir en exclusivité sur Netflix.