"Le tabac demeure quasi omniprésent dans les films français : entre 2015 et 2019, 90,7% comprennent au moins un événement, un objet ou un discours en rapport avec le tabac : personnes en train de fumer, présence de cendriers, cigarettes, personnage qui parle de tabac....", dénonce la Ligue dans une enquête menée avec l'institut Ipsos.
Le tabac, première cause de mortalité en France, est donc trop valorisé dans le cinéma français selon l'association. Cette dernière appelle à la vigilance des réalisateurs.
PLUS DE 150 FILMS FRANÇAIS DÉCORTIQUÉS
En effet, toujours selon cette étude, la présence du tabac dans un film est de 2,6 minutes en moyenne, soit l'équivalent de six spots publicitaires. Pour les besoins de l'enquête, Ipsos et La Ligue ont analysé plus de 150 œuvres sorties entre 2014 et 2019.
Malgré la loi Evin, promulguée en 1991 et interdisant la publicité pour le tabac, la cigarette a continué d'être très présente dans le cinéma français.
"Alors que le tabagisme a diminué ces quinze dernières années, y compris dans la jeune génération, il continue d’être omniprésent au cinéma", déplore le Pr Albert Hirsch, pneumologue et administrateur de la Ligue contre le Cancer au micro de La Croix.
"Les personnages principaux sont souvent fumeurs (21,2 %), et en plus, ils fument dans des endroits où c’est interdit, comme les cafés ou les hôtels", précise-t-il, dénonçant un lobbying insidieux de l'industrie du tabac.
"Évidemment, il n’existe aucun document écrit attestant d’accords entre les industries du tabac et du cinéma, mais un tel écart entre la réalité et la fiction ne peut s’expliquer autrement", conclut le professeur.
"Il s’agit moins de montrer une marque que d’illustrer un comportement, avec cette idée que fumer est quelque chose de glamour, sexy. Pour cela, les cigarettiers n’ont pas besoin de payer. Le cinéma leur fait de la publicité gratuite", explique Amélie Eschenbrenner, porte-parole du Comité national contre le tabac (CNCT).
OMNIPRÉSENCE DE LA CIGARETTE ?
Dans son étude, la Ligue constate une forte augmentation du taux de fumeurs à l'intérieur des lieux de convivialité (cafés, restaurants...) dans les films, une pratique désormais illégale dans la vie réelle. Ainsi, 21,5% des scènes de tabagisme se situent dans un lieu de travail, au bureau, 16,6% dans un café, restaurant ou discothèque.
Face à "l'omniprésence de la cigarette", 58% de jeunes de 18 à 24 ans considèrent qu'il s'agit d'incitations au tabagisme et 54%, que les industriels du tabac jouent un rôle dans le placement de produits, selon le sondage Ipsos réalisé en janvier auprès de 1500 jeunes de 18-34 ans, dont 1110 de 18-24 ans.
Depuis le 1er confinement en mars 2020, 66% des 18-24 ans indiquent passer plus de temps devant des films ou séries, quel que soit le support (TV, ordinateur, tablette, smartphone....), selon la Ligue. Cela est très inquiétant pour l'association, qui suggère que les scènes de tabagisme soient signalées, comme pour la violence.
Il ne s’agit pas d’interdire le tabac dans les films, mais de le faire en conscience, car on sait que cela a une influence sur les jeunes.
"Il ne s’agit pas d’interdire le tabac dans les films, mais de le faire en conscience, car on sait que cela a une influence sur les jeunes, en particulier les préadolescents", note Amélie Eschenbrenner, porte-parole du CNCT pour La Croix.
"Faire une fiction sur Serge Gainsbourg sans alcool ni cigarette n’aurait pas de sens. Ce qui est anormal en revanche, c’est de faire d’un personnage emblématique un fumeur, alors que la cigarette n’a aucune raison d’en être un attribut", note le Pr Albert Hirsch.
D'après l'enquête, des films d'animation comme Pourquoi j'ai pas mangé mon père et Le petit prince, ou Mustang n'ont rien à se reprocher, contrairement à d'autres comme Amis Publics, Les vieux fourneaux, Nous finirons ensemble ou encore La folle histoire de Max et Léon, qui se déroule en 1939 ou J'accuse à la fin du XIXe siècle.
La Ligue dénonce avec acharnement la valorisation du tabagisme dans les films français depuis plus de 15 ans.
"La Ligue dénonce avec acharnement la valorisation du tabagisme dans les films français depuis plus de 15 ans", affirme son président, le Pr Axel Kahn, dans un communiqué. Il dénonce les "campagnes aussi agressives qu'insidieuses auprès des plus jeunes" de l'industrie du tabac.
LUTTER CONTRE LES LOBBIES DU TABAC
"Il faut continuer à dénoncer les puissants lobbies du tabac qui n'hésitent pas à apporter des financements pour voir leurs produits apparaître à l'écran, de façon plus ou moins directe. La Ligue ne cherche pas à stigmatiser certains films, mais souhaite aider l'industrie du cinéma à stopper ces pratiques inacceptables", conclut le professeur.
Jacqueline Godet, présidente de la Ligue contre le cancer de 2012 à 2019, avait déjà alerté le CNC à plusieurs reprises sur ce sujet, en vain, a confié le professeur Albert Hirsch dans les colonnes de La Croix . "Le sujet n’est actuellement pas en discussion", regrette-t-il.