Comment est né le projet d'Edouard Louis ou la transformation ?
François Caillat : J’ai eu envie de travailler sur l’idée de transformation, en racontant la trajectoire d’Edouard Louis, jeune et prolixe, dans lequel toute une génération semble se retrouver. J’avais connu Edouard Louis à l’occasion d’un précédent film, Foucault contre lui-même, il m’avait secondé pour écrire un scénario sur le philosophe où l’on parlait déjà de transformation. Cette fois-ci, c’est lui qui est l’objet du film. “Edouard Louis, ou la transformation” est mon sixième documentaire sur des écrivains et penseurs.
Vous filmez Edouard Louis sur scène. On ne lui connaissait pas ses talents de performer.
“Performer”, je ne sais pas, mais acteur, oui. Il a toujours souhaité le devenir. Dès son enfance il jouait dans les spectacles amateurs de son village. Ensuite il a fait le lycée à Amiens en section Théâtre. C’est donc un désir ancien. Le grand saut, c’est lorsque le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier a monté au théâtre son récit autobiographique “Qui a tué mon père”. Edouard Louis a été choisi pour jouer son propre rôle et je trouve qu’il s’en tire très bien. D’autant qu’il y a là une mise en abîme assez étonnante : l’auteur, l’acteur et le sujet du récit sont confondus.
Edouard Louis est l'incarnation du transfuge de classe, une étiquette qui simplifie l'écrivain et l'enferme dans une image figée. Dans votre film, vous vous attachez à le montrer vivant, joyeux, parfois drôle...
Oui, c’était exactement mon projet. Donner à une pensée qui a déjà bien circulé (cinq livres en moins de dix ans) un cadre très vivant. Un corps, un visage, des regards, un sérieux plein de vie. Je voulais filmer quelqu’un qui parle devant nous, qui se dévoile, qui élabore progressivement des idées avec des hésitations, des silences. Parfois il y a des moments drôles et imprévus, c’est tout le contraire d’un discours programmé, calibré, attendu. Edouard Louis apparaît dans ce film alerte et chaleureux parce qu’il prend le pas sur sa pensée. Il existe soudain devant nous.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à Edouard Louis ? Est-ce cet extrait de "En finir avec Eddy Bellegueule" : "De mon enfance je n'ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n'ai éprouvé un sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n'entre pas dans son système, elle le fait disparaître." ?
Non, la souffrance ne m’attire pas spécialement, ni comme individu ni comme réalisateur. Je suis plus sensible à l’enthousiasme, aux espoirs, aux projets liés aux dispositions créatives de l’humain. L’idée de “La transformation” (ce qui est le sujet et le titre du film) me plaît beaucoup. C’est l’idée d’un avenir possible, à choisir, promouvoir et parfois exiger. Edouard Louis parle d’une réinvention de soi. J’y trouve une forme d’optimisme nécessaire.
Envisagez-vous de prolonger l'expérience avec Edouard Louis ?
Cette expérience était un film, c’est-à-dire une rencontre, un travail partagé, une envie commune sur un temps limité. On a fabriqué ensemble un objet “à voir et entendre”. L’objet est maintenant là, terminé. Chacun reprend sa course.