Rien ne va plus à Hollywood. La menace d'une grève des acteurs et actrices planait sur la Cité des Anges depuis plusieurs semaines et le couperet est tombé aujourd'hui. La SAG-AFTRA (Screen Actors Guild ‐ American Federation of Television and Radio Artists), qui est le syndicat professionnel américain des acteurs, a officiellement annoncé sa mise en grève.
Il rejoint le mouvement lancé il y a deux mois par la WGA (Writers Guild of America, le syndicat des scénaristes américains qui protège leurs droits d'auteur), qui avait déjà tenté en vain un nouvel accord avec l'AMPTP (l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision).
Hollywood : la grève des scénaristes est lancée ! (et ce que ça implique pour vos séries préférées)Les deux syndicats revendiquent les mêmes demandes, à savoir une revalorisation des droits et des conditions de travail ainsi qu'une augmentation des salaires. Selon Variety, les pourparlers entre la SAG-AFTRA et les studios n'ont abouti ni à un accord ni à une prolongation des discussions, d'autant plus que le contrat du syndicat a officiellement expiré à minuit.
Une double grève historique à Hollywood
Le conseil d'administration national du syndicat s'est réuni ce jeudi matin pour appeler à la grève, voté unanimement par le comité, et a, après une longue discussion, officiellement lancé le mouvement lors d'une conférence de presse à midi (heure de Los Angeles) tenue par la présidente de la SAG-AFTRA, Fran Drescher (Une Nounou d'Enfer) et le directeur exécutif national et négociateur en chef, Duncan Crabtree-Ireland.
Ensemble, ils ont officiellement annoncé dans un discours émouvant et empli de sensibilité et de colère que la SAG-AFTRA s'allie au mouvement de grève de la WGA, et que les membres du syndicat vont rejoindre le piquet de grève vendredi 14 juillet.
Ce matin, la présidente de la SAG-AFTRA avait déclaré dans un communiqué que les réponses de l'AMPTP étaient "insultantes et irrespectueuses" :
"La SAG-AFTRA a négocié de bonne foi et était impatiente de parvenir à un accord qui répondait suffisamment aux besoins des artistes interprètes, mais les réponses de l'AMPTP aux propositions les plus importantes du syndicat ont été insultantes et irrespectueuses envers nos contributions massives à cette industrie. Les entreprises ont refusé de s'engager de manière significative sur certains sujets et nous ont bloqués sur d'autres. Jusqu'à ce qu'ils négocient en toute bonne foi, nous ne pouvons pas parvenir à un accord."
Cette double grève est historique puisque cela faisait quinze ans que les scénaristes d'Hollywood n'avaient pas lancé un mouvement aussi fort et la SAG-AFTRA, qui représente 160 000 artistes interprètes, n'avait pas fait grève depuis 1980 !
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Et il faut remonter jusqu'en 1960 - quand Ronald Reagan était président de la Screen Actors Guild - pour la dernière grève simultanée lancée par l'union des acteurs et des auteurs, qui avait abouti à des grandes avancées comme une amélioration des droits et des pensions des scénaristes et une garantie que les scénaristes tireraient 5% de leur revenu net des films sortis avant 1960 diffusés à la télévision, ainsi que le premier régime de retraite et d'aide sociale de la Guilde.
De son côté, l'AMPTP a également fait paraître un communiqué ce matin, dans lequel l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision se dit déçue :
"Nous sommes profondément déçus que la SAG-AFTRA ait décidé de se retirer des négociations. C'est le choix du syndicat, pas le nôtre. Ce faisant, il a rejeté notre offre d'augmentations salariales et résiduelles historiques, de plafonds considérablement plus élevés sur les cotisations de retraite et de santé, d'auditions sécurisées, de périodes d'option de série raccourcies, d'une proposition d'IA révolutionnaire qui protège les ressemblances numériques des acteurs, et plus encore.
Plutôt que de continuer à négocier, la SAG-AFTRA nous a mis sur une voie qui aggravera les difficultés financières de milliers de personnes qui dépendent de l'industrie pour subvenir à leurs besoins."
Les autres enjeux de la grève
Car outre la revalorisation des droits, des conditions de travail et des salaires, la SAG-AFTRA a placé au centre des négociations avec l'AMPTP deux enjeux majeurs pour l'avenir de l'industrie des films et des séries : le streaming et l'intelligence artificielle.
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Les pontes de la production du streaming, comme Netflix, Amazon, Apple, Disney et autres ne divulguent pas avec transparence les données significatives représentant les succès ou les échecs de leurs programmes, qui jouent dans la balance des bonus ou augmentations de salaires des scénaristes et des acteurs. Sans des données d'audience claires, les négociations peuvent être faussées. La SAG-AFTRA a proposé d'utiliser les mesures de Parrot Analytics, une société de données tierce.
Le syndicat a également souhaité réglementer l'usage de l'intelligence artificielle, notamment pour que les acteurs soient rémunérés pour l'utilisation de leurs images générées par ordinateur mais aussi pour que des limites soient fixées sur de telles ressources technologiques et leurs potentielles dérives. La SAG-AFTRA a renouvelé ses inquiétudes et envies sur ces sujets lors des discussions :
"Comme vous le savez, au cours de la dernière décennie, votre rémunération a été gravement érodée par la montée en puissance de l'écosystème du streaming. De plus, l'intelligence artificielle constitue une menace existentielle pour les professions créatives, et tous les acteurs et interprètes méritent un libellé contractuel qui les protège contre l'exploitation de leur identité et de leur talent sans consentement ni rémunération.
Malgré le dévouement de notre équipe à plaider en votre nom, l'AMPTP a refusé de reconnaître que d'énormes changements dans l'industrie et l'économie ont eu un impact néfaste sur ceux qui travaillent pour les studios."
Un autre sujet mis sur la table des négociations entre la SAG-AFTRA et l'AMPTP concerne les conditions de casting, qui, depuis la crise sanitaire, repose beaucoup sur les entretiens Zoom ou les self-tapes (des auditions enregistrées directement par les acteurs et interprètes), qui "ne sont pas réglementées et hors de contrôle" :
"Trop de pages, trop peu de temps et des exigences déraisonnables ont fait des auditions auto-enregistrées un fardeau massif, quotidien et sans compensation pour la vie des artistes interprètes. Des règles et limitations raisonnables, ainsi que l'accès à d'autres formats de casting, sont absolument nécessaires pour garantir un accès équitable aux opportunités de travail et protéger les artistes interprètes contre l'exploitation."
Les conséquences de la grève ?
De nombreuses productions, notamment du côté de la télévision, sont déjà à l'arrêt depuis plusieurs semaines et le mouvement lancé par les acteurs va totalement paralyser la production américaine. Les films et séries ne seront plus tournés, les opérations promotionnelles seront stoppées (même les posts sur les réseaux sociaux des artistes interprètes) et les junkets (tournées d'interviews) seront également annulés, tout comme les apparitions de talents lors de conventions, comme la prochaine Comic-Con de San Diego.
C'est pour cela que les dernières campagnes marketing et promotionnelles pour les grosses productions estivales, telles que Mission Impossible : Dead Reckoning - partie 1, Oppenheimer et Barbie, ont été avancées et mises en boîte rapidement, car ce sont des films de studios de grande importance pour l'industrie, surtout en ces temps de crise.
L'avant-première du dernier film de Christopher Nolan à Londres a même été avancée d'une heure, d'après Variety, pour que la distribution puisse s'y rendre et assurer les derniers instants de promotion avant que l'annonce fatale et définitive de la grève de la SAG-AFTRA ne soit faite.
Après avoir donné quelques interviews sur le tapis rouge, le casting d'Oppenheimer a quitté l'avant-première et n'était pas présent aux côtés du réalisateur lors de la présentation de la projection du film. Christopher Nolan a expliqué au public que les acteurs sont partis préparer leurs pancartes pour rejoindre la grève.
Si ces deux grèves concernent surtout les États-Unis, les conséquences seront également désastreuses en Europe et dans le reste du monde pour les coproductions européennes et internationales et les films et séries tournés en Europe et dans le monde. Ainsi, Variety a révélé que les équipes de Gladiator 2 et Mortal Kombat 2, qui se tournent respectivement au Maroc et en Australie, se préparent à mettre leur production à l'arrêt.
Des questions se posent également pour des séries comme The White Lotus, dont la saison 3 est prévue en Thaïlande. Comment des productions européennes et internationales qui font appel à des talents américains pourront-elles poursuivre ? Quelques rescapés n'auront pas à se poser la question comme Emilia Perez, la comédie musicale de Jacques Audiard avec Selena Gomez et Zoe Saldana, ou la saison 2 des Anneaux de Pouvoir, dont les tournages se sont achevés il y a quelques semaines.
Par ailleurs, certains acteurs européens et internationaux de l'industrie pourraient rejoindre le mouvement en solidarité avec la SAG-AFTRA, comme l'estime un agent représentant de grandes stars britanniques à Variety : "Beaucoup d'acteurs parlent de faire grève en soutien, et cela affectera sans aucun doute l'activité au Royaume-Uni dans son ensemble".
D'ailleurs, la U.K. Actors Union Equity, la guilde des acteurs britanniques, a rapidement déclaré qu'elle soutiendrait la grève de la SAG-AFTRA par "tous les moyens légaux", d'après Variety.
Certains grands noms de l'industrie ont réagi à la décision de la SAG-AFTRA comme Bob Iger, le PDG de Disney, qui qualifie la situation de "perturbante". Il a expliqué à Variety qu'il s'agissait "du pire moment au monde pour ajouter cette 'perturbation'" à un contexte où "la reprise post-COVID est encore en cours".
"Je comprends le désir de toute organisation syndicale de travailler au nom de ses membres pour obtenir le maximum de rémunération et être rémunéré équitablement en fonction de la valeur qu'ils offrent.
Nous avons réussi, en tant qu'industrie, à négocier une très bonne entente avec la guilde des réalisateurs qui reflète la valeur que les réalisateurs apportent à cette belle entreprise. Nous voulions faire la même chose avec les scénaristes, et nous aimerions faire la même chose avec les acteurs. Leur niveau d'attente n'est tout simplement pas réaliste."
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De son côté, Casey Bloys, le PDG de HBO, estime que la grève "devrait rappeler à tout le monde que cette industrie n'est rien sans les talents des scénaristes et des acteurs". Même s'il espère que la situation s'arrangera, il a indiqué au micro de Variety que la grève allait "tout ralentir".
"Cela va causer beaucoup de souffrance pour tout le monde, pour toutes les parties. Ce n'est pas très amusant d'envisager d'avoir à gérer, d'avoir à comprendre cela en tant qu'industrie", explique-t-il. Concernant ses programmes, il estime que les conséquences de la grève se feront ressentir courant 2024, où la situation sera bien plus difficile, si l'AMPTP et les syndicats ne trouvent pas d'accord.
Les prochains festivals, comme Toronto ou la très attendue Mostra de Venise, qui accueille tous les ans un parterre de stars, sont aussi menacés par la grève. Un attaché de presse senior a confié que le mouvement allait chambouler ce genre d'évènements à Variety :
"Les films présentés à Venise sont axés sur les stars. Vous avez besoin des clichés des acteurs à Venise car il y a des photos célèbres d'eux qui arrivent sur les bateaux, et c'est une plate-forme tellement importante pour les potentiels films primés. Beaucoup de longs-métrages en compétition reposent sur leurs réalisateurs, donc cela n'affecterait pas nécessairement l'avenir des récompenses des films, mais le festival perdrait une part de son glamour."
La saison des cérémonies pourrait également être totalement bouleversée par la grève, alors que les Emmy Awards viennent tout juste d'annoncer leurs nominations. Si les prochains films attendus, comme Killers of the Flower Moon, Dune : partie 2, Challengers, Wonka ou encore Napoleon, n'ont pas leur campagne promotionnelle habituelle, cela pourrait altérer leurs chances en salle ou aux cérémonies de récompenses, comme les Oscars.
Reste à savoir combien de temps cette double grève des scénaristes et des acteurs va durer mais certains insiders des médias américains pensent qu'elle peut durer jusqu'à cet automne.
